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testèrent inutilement contre cette usurpation de ses droits héréditaires. Le nouveau roi se contenta de répondre qu'il ne méconnaissait pas ces droits; mais que, la main d'un enfant étant impuissante, dans les conjonctures présentes, à protéger le royaume, il entendait, sa vie durant, conserver une couronne dont, après lui, Conradin pourrait prendre possession. L'on pouvait s'attendre du moins que l'avènement de Manfred au trône de Sicile imprimerait aux affaires de la péninsule une face nouvelle. Ce prince, né en Italie, élevé dans les mœurs du pays, était sans lien essentiel avec l'Allemagne, et son avénement servait à certains égards la politique pontificale dont le but constant avait été de séparer l'Empire du royaume de Sicile. Il avait lui-même un intérêt visible à empêcher que le chef de l'Empire ne prît pied au sud des Alpes. Après s'être appuyé sur les Gibelins comme régent du royaume, il avait cherché, aussitôt son élévation au trône, à se rapprocher des Guelfes. Venise, Gênes, les villes guelfes de Lombardie, comprenant qu'il était devenu l'ennemi naturel de l'Empire, le reconnurent pour roi et conclurent alliance avec lui. Mais la cour de Rome rompit des mesures qui eussent peut-être rendu la paix à l'Italie. Soit qu'il partageât la défiance de ses prédécesseurs pour la famille de Frédéric, soit qu'il jugeât qu'il était de l'honneur du saint-siège de poursuivre jusqu'à la fin une race condamnée par l'Église, Alexandre, par une sentence du mois d'avril 1259, déclara Manfred déchu de ses possessions et dignités, ordonna de cesser les saints offices partout où il séjournerait, et cita à comparaître ou frappa d'anathème les prélats qui avaient participé à son sacre 3. Seuls les Florentins et, avec eux, quelques villes guelfes de la Toscane avaient refusé de reconnaître le nouveau roi. Le pontife les encou ragea à la résistance et appela aux armes les peuples de la

1. Diurnali di Matteo di Giovenazzo, § 108.

2. Cherrier, Hist. de la lutte des papes et des empereurs, t. III, p. 76-80, et

notes.

3. 10 avril 1259. Raynald. eod. anno. no 13. Cf. Cherrier, ibid. p. 83, note 3.

Marche d'Ancône, du duché de Spolète et du Patrimoine de saint Pierre. Ainsi traversé dans son alliance avec les Guelfes, Manfred s'unit plus étroitement aux Gibelins et, prenant bientôt l'offensive, envoya des troupes attaquer les Florentins. Les communes gibelines de la Lombardie et de la Toscane secondèrent ces troupes d'une partie de leurs milices. Défaits par ces forces réunies, les Florentins se virent contraints de recevoir dans leurs murs un podestat gibelin, et, sur la fin de l'année suivante, Manfred, contre qui l'Angleterre n'avait fait encore aucune démonstration, non seulement continuait à régner sur le sud de l'Italie, mais il dominait la Toscane et menaçait les États mêmes de l'Église 1.

Alexandre venait alors de rentrer à Rome, où la mort récente de Brancaleone, en relevant le parti guelfe, avait faci lité son retour. Avant de reprendre possession du palais de Latran, comme il se trouvait à Anagni, il fut témoin d'un événement qui eût dù le porter à des sentiments de conciliation, si la cour pontificale, moins attachée à ses desseins, eût considéré davantage l'intérêt des peuples. Ces guerres continuelles qui depuis tant d'années déchiraient la péninsule, et dans lesquelles, selon le mot d'un contemporain, le sang italien avait coulé « comme l'eau 3 », la fureur des factions. tour à tour abattues ou triomphantes, les calamités de toute sorte qui en étaient la suite, avaient à la fin exalté les esprits. Beaucoup attribuaient à la colère divine les maux dont ils supportaient le poids, et cette idée, s'ajoutant à l'opinion qui

1. Pour ces derniers événements, voir Cherrier, ibid. p. 100-116. Cf. Potthast, Reg. pontif. nos 17879, 17946.

2. Gregorovius, Storia di Roma, t. V, p. 370-372. Brancaleone mourut à Rome dans les derniers mois de l'année 1258. Malgré la défense du pape, le peuple élut sénateur un oncle de Brancaleone, qui ne put se soutenir et fut chassé du Capitole vers le mois de mai 1259. Alexandre, qui, lors de la mort de Brancaleone, avait quitté Viterbe pour se rendre à Anagni, resta dans cette dernière ville jusqu'au commencement de novembre 1260, date à laquelle il revint à Rome.

3. « Viginti anni sunt vel circa, quod, occasione sedis apostolicæ ac imperialis, sanguis italicus effunditur velut aqua. » Monach. Patav. Chron. anno 1258.

s'était répandue qu'en 1260 serait inauguré «l'Évangile éternel, »> amena l'une des plus étranges manifestations auxquelles le monde eût encore assisté. Vers l'automne de cette année, on vit tout à coup des centaines, des milliers d'individus parcourir processionnellement le centre de l'Italie, nus jusqu'à la ceinture, tenant une croix d'une main, se meurtrissant de l'autre à coups de discipline et s'écriant d'une voix lamentable: «< Paix! Paix! Seigneur, ayez pitié! ». La nuit, ils marchaient, munis de torches allumées et faisant également retentir l'air de leurs cris. De Pérouse, où ils s'étaient montrés d'abord, ces étranges pénitents se dirigèrent vers Rome, que leur présence remplit d'une pieuse terreur, puis ils gagnèrent le royaume de Sicile. Manfred leur ayant fermé l'entrée de ses États, ils remontèrent vers le nord de l'Italie. De là, par une sorte de contagion, d'autres pénitents imitant les premiers, ces processions s'étendirent en Allemagne, en Pologne, portant ainsi jusqu'aux extrémités de l'Europe les signes de l'inquiétude des esprits et du malheur des peuples 1.

Loin d'être touché de ces manifestations, Alexandre, en ce même moment, réitérait l'anathème contre Manfred et ses partisans, comprenant dans cette sentence les villes de Toscane et de Lombardie qui lui prétaient secours ou obéissance 2. Il ne put donner suite à ces rigueurs. Le 25 mai 1261, il expirait à Viterbe. De nouvelles luttes qui avaient éclaté à Rome pour l'élection du sénateur l'avaient contraint de quitter encore une fois la capitale de la catholicité. Par un de ces caprices qui montraient que l'esprit de liberté avait péri à Rome comme il périssait dans les autres républiques italiennes, la faction guelfe avait nommé sénateur, non plus à temps, mais à vie, Richard, comte de Cornouailles, bien qu'il fût désigné à l'Empire, tandis que le parti gibe

1. Pour tout ce qui concerne ce singulier événement, voir notamment Salimbene, Monach. Patav., Galvan. Flam:na; cf. Raynald. anno 1260, no 611; Gregorovius, Storia di Roma, t. V, p. 373-378.

2. 18 novembre 1260. Potthast, Reg. Pontif. uo 17969.

lin avait, dans les mêmes conditions, porté son choix sur Manfred. Déjà l'on avait vu Brancaleone, citoyen de Bologne, puis Emmanuel de Madio, originaire comme lui de la Haute Italie, élus à la dignité sénatoriale. C'était la troisième fois que les Romains de l'une ou de l'autre faction, trahissant leur impuissance à se gouverner eux-mêmes, appelaient un étranger à la tête de leur cité.

Les troubles causés par cette double élection se prolongèrent après la mort d'Alexandre. Les cardinaux, alors au nombre de huit, qui l'avaient accompagné à Viterbe, subissant à leur tour l'influence des partis, laissèrent s'écouler plusieurs mois sans lui donner de successeur. Ils se décidèrent enfin à prendre le futur pape hors du sacré collège et, le 29 août 1261, proclamèrent, sous le nom d'Urbain IV, un Français, Jacques Pantaleon, patriarche titulaire de Jérusalem, que les intérêts de la Terre sainte avaient amené à Viterbe. A une initiative et à une fermeté qui avaient manqué à son prédécesseur 3, le nouveau pontife joignait une prudence dont, à peine nommé, il donna les preuves. Sentant le préjudice que portait aux droits temporels du saint-siège l'une ou l'autre des deux élections qui avaient eu lieu à Rome, il intervint entre les partis, sous apparence de les pacifier, et obtint qu'on désignât des « prud'hommes » chargés d'administrer provisoirement la cité et de préparer une élection définitive. C'était détourner, pour un temps, le péril qu'il redoutait. Son habileté n'alla pas toutefois jusqu'à lui ouvrir les portes de Rome, où, durant tout le cours de son pontificat, il ne devait jamais paraître 5.

1. Vita metrica Urban. IV, Murat. rer. ital. t. III, p. 408. Cf. Gregorovius, loc. cit. p. 390, 391.

2. Sicul. rer. auctor, anonym, apud Raynald. anno 1261, no 8.

3. « Subito fece conoscere ch'era d'autro stomaco cha papa Alessandro. » Matteo di Giovennazzo, § 149.

4. Bien que cette mesure soit attribuée à Alexandre par quelques historiens, il parait plus exact, d'après la Vie métrique d'Urbain IV, de l'attribuer à ce pontife.

5. Il résida d'abord à Viterbe, puis à Orvieto et enfin, très peu de temps avant sa mort, à Pérouse.

En voyant le patriarche de Jérusalem monter sur le trône de saint Pierre, on devait s'attendre que son vœu le plus cher serait d'armer l'Europe pour reprendre aux Infidèles le tombeau du Sauveur. La situation des chrétiens en Orient devenait chaque jour plus critique. Ils avaient alors à se défendre à la fois et contre le sultan d'Égypte et contre les Tartares, qui, sortis de nouveau de leurs steppes, avaient pénétré en Syrie et jusqu'en Palestine. Mais, moins que jamais, les esprits en Occident étaient tournés vers Jérusalem. La cour pontificale elle-même, depuis le désastre de la Massoure, semblait désespérer de reconquérir la Ville sainte 1. Seul le roi de France dirigeait encore de ce côté sa piété et sa sollicitude. Depuis son retour d'Orient, il n'avait pas quitté la croix, montrant ainsi que l'expédition qu'il avait entreprise n'était qu'interrompue 2. Ce n'est pas que la cour de Rome se fût désintéressée, en apparence du moins, des affaires d'outre-mer. Alexandre, dans la dernière année de son pontificat, avait même conçu le dessein de convoquer à ce sujet un concile général 3. Mais ce dessein ne fut pas repris par Urbain. Sans délaisser totalement les intérêts de la Terre sainte, il jugea qu'il était pour le siège apostolique des objets plus pressants; el, commençant par augmenter le sacré collège de sept cardinaux, auxquels bientôt il en ajouta sept autres, il résolut de donner tous ses soins à faire prévaloir, des deux côtés des Alpes, la politique engagée ou trop faiblement soutenue par son prédécesseur.

Ce fut sur les affaires de Sicile qu'il porta d'abord son attention. Il n'avait pas tardé à se rendre compte que le roi

1. Dès 1255, Alexandre, dans une lettre au roi de Castille, disait : « Les Sarrazins n'ignorent pas qu'aucun prince de l'Occident ne séjournera longtemps en Asie et que la Palestine ne peut attendre de l'Europe que des secours incertains; aussi ne veulent-ils faire ni paix, ni trêve, persuadés qu'ils auront bientôt entre leurs mains le peu qui reste aux chrétiens. » Raynald. anno 1255, n° 70.

2. Le Nain de Tillemont, Vie de S. Louis, t. IV, p. 41.

3. Raynald. anno 1261, no6.

4. En décembre 1261 et mai 1262.

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