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dans aucune desquelles il n'était fait mention des droits de Conradin. Trompé dans sa confiance, craignant, non plus seulement pour ses droits, mais pour sa liberté, Manfred courut demander secours aux Sarrazins de Lucéra 1, qui promirent de l'appuyer de leurs armes, et la guerre se ralluma. Le pape était alors malade à Naples, et ses forces faiblissantes, que l'âge diminuait encore, ne lui faisaient pas envisager sans inquiétude une nouvelle guerre à soutenir. Une défaite essuyée par les troupes du légat, en augmentant ses alarmes, le décida à renoncer pour la seconde fois à des vues qu'il se sentait hors d'état de poursuivre avec ses scules ressources. Il se retourna vers le roi d'Angleterre, qu'il négligeait depuis six mois, et, par un message du 17 novembre, le pressant d'exécuter le traité conclu au sujet de l'Italie méridionale: « Le moment est arrivé, lui mandait-il, de remplir vos engagements; hâtez-vous de marcher contre l'ennemi de l'Église, et sachez que, si vous tardez à venir prendre possession du royaume, nous transférerons à un autre la couronne de Sicile 2. >>

Innocent ne put connaître l'effet de la dernière résolution à laquelle il s'était arrêté. Il était dit que tous les principaux acteurs du drame qui depuis tant d'années agitait l'Europe se suivraient de près dans la tombe. Le 7 décembre, Innocent expirait à Naples, laissant, comme celui de ses prédécesseurs dont il avait adopté le nom, mais à un autre titre, une trace profonde dans les annales de l'Église. Avant lui, aucun pontife n'avait été dominé à ce point par des vues séculières, et l'on peut dire qu'en entraînant la papauté dans les luttes politiques, il contribua, plus que n'avaient fait ses devanciers, à la détourner de sa voie. Il n'avait pas atteint, il est vrai, les divers buts qu'il s'était proposés. En Allemagne, il n'avait pu faire reconnaître partout Guillaume de Hol

1. Il entra à Lucéra le 2 novembre. Voy. Cherrier, ibid., p. 12-27. 2. Rymer, Fœdera, t. I, pars. I, p. 190.

3. «< Potius Constantini quam Petri vestigia sequebatur. » Matth. Paris, t. V, p. 302.

lande pour roi des Romains; en Italie, malgré les desseins successifs auxquels il s'était attaché, le royaume de Sicile n'appartenait encore ni à l'Église romaine, ni à un souverain étranger, et il n'avait réussi, des deux côtés des Alpes, qu'à introduire l'anarchic. Mais, en Italie comme en Allemagne, il avait, sinon tout à fait abattu, du moins fortement ébranlé la maison de Souabe, et préparé, selon ses vues, une séparation définitive entre le sud de la péninsule et l'Empire. L'anarchie même qu'il laissait à la place des gouvernements que sa main avait brisés, et à laquelle il n'avait pas eu le temps de mettre un terme, était une preuve du succès qui avait suivi ses entreprises. Dans ces conditions, il devait croire qu'il serait aisé à ses successeurs de relever, à Rome et dans l'Italie centrale, le pouvoir temporel de l'Église romaine pour la défense duquel il avait engagé une lutte aussi opiniâtre, et, à ne considérer que ce résultat, il put, avant de mourir, se féliciter de son œuvre.

Toutefois, si la papauté triomphait dans les faits, elle ne triomphait pas dans les idées. Elle avait perdu, au point de vue spirituel, ce qu'elle semblait avoir gagné au point de vue politique. Jamais l'opinion ne s'était élevée aussi hautement et d'une manière aussi générale contre les abus dont elle o frait le triste exemple. Il est assurément difficile d'admettre comme authentique le prétendu discours que, d'après un contemporain, l'évêque de Lincoln, au mois d'octobre 1253, aurait prononcé, à son lit de mort, devant les clercs de son église, et dans lequel, rappelant les exactions d'Innocent, ses actes arbitraires, son mépris des règles ecclésiastiques, et déplorant les maux qu'à tant de titres ce pontife avait causés à la religion, il n'aurait pas craint de le qualifier d'antéchrist'. Mais ce discours, mis à dessein dans la bouche d'un des plus pieux prélats de ce temps, prouve avec quelle har

1. Matth. Paris, t. V, p. 402-407. Voir, sur ce point, la dissertation critique de Ch. Jourdain, Bulletin de l'Acad. des inscr. et bell. lett., année 1868. Cf. l'écrit du docteur Joseph Felten, Robert Grossetele, bischof von Lincoln, 1887, in-8°.

diesse on s'exprimait alors en Angleterre sur le compte de l'Église romaine. Par là on juge de ce qui pouvait se dire dans les pays qui, tels que l'Italie et l'Allemagne, avaient le plus souffert des entreprises d'Innocent. En Orient mème et jusque dans l'entourage du roi de France, la cour de Rome était flétrie par ceux qui auraient dù la défendre. Au mois de mars 1254, Louis IX, qui, après avoir recouvré sa liberté, s'était rendu à Saint-Jean d'Acre, ayant enfin résolu de revenir en Europe, le légat qui l'avait accompagné à la croisade avoua, en pleurant, au sire de Joinville combien il avait de regrets de quitter la cour d'un si saint roi pour retourner en celle du pape « où il n'y avait que déloyauté 1. » En même temps que s'élevaient de divers côtés ces voix accusatrices, le mot de réforme, qui n'avait encore été prononcé que par Frédéric, se faisait entendre en France, et cette fois il partait du clergé. Cette même année, était exposé au parvis de NotreDame, à Paris, un livre qui avait pour auteur le franciscain Gherardino de Borgo San-Donnino et qui était intitulé: Introduction à l'Évangile éternel2. Dans ce livre, inspiré des écrits apocalyptiques de Joachim de Flore, on annonçait pour une date prochaine une transformation religieuse du monde. On y disait que le monde avait déjà passé par deux états successifs; qu'il avait d'abord été soumis à la loi du Père, ensuite à celle du Fils, et que les temps approchaient où il allait être soumis à celle du Saint-Esprit; que, de même que l'Ancien Testament avait été remplacé par le Nouveau, celui-ci allait ètre remplacé par l'Évangile du Saint-Esprit ou l'Évangile éternel; que le souverain pontificat et les autres prélatures n'étaient qu'un régime transitoire destiné à disparaître, et qu'enfin il aurait bientôt un autre Évangile et un autre sacerdoce.

1. Le Nain de Tillemont, Vie de S. Louis, t. IV, p 29.

2. Hist. litter. t. XXIV, p. 112-118.

Huillard-Bréholles, Vie de Pierre de

la Vigne, p. 189, 190. Voir aussi Renan, Nouvelles études d'histoire religieuse. 1884, p. 217-332.

LIVRE SEPTIÈME.

LA PAPAUTÉ DEVIENT TOUTE POLITIQUE.

I

ALEXANDRE IV, URBAIN IV.
1254-1264.

Bien que dictée par le sentiment des abus qui affligeaient l'Église, cette annonce d'un nouvel évangile et d'un nouveau sacerdoce que promettait pour une date prochaine l'Introduction à l'Évangile éternel n'avait pas, au point de vue du mouvement des esprits, l'importance qu'on serait tenté de lui attribuer. Ce n'était guère que le cri isolé d'un religieux qui, épris de cet idéal de perfection que saint François d'Assise avait proposé à ses disciples, croyait l'ordre des Frères mineurs destiné à régénérer la foi. Le clergé séculier ne vit même dans cette prétendue prophétie qu'une tentative mal dissimulée des moines mendiants pour se substituer à lui dans la direction des fidèles. Le peu d'écho qu'avaient rencontré en Europe les idées de Frédéric II montrait au reste que les esprits n'étaient pas mûrs pour une réforme. Si grands que fussent les abus, le mal n'était ni assez profond, ni assez général, pour que la nécessité d'un changement s'imposât aux

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