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Comme les habitants de Naples, dans l'espoir de recouvrer des franchises que leur avaient enlevées les constitutions de Melfi, avaient invoqué la protection du saint-siège, il leur avait écrit, en promettant le maintien de leurs privilèges, que leur ville, avec son territoire, appartiendrait à perpétuité à la chaire apostolique, et qu'en aucun temps lui ou ses successeurs ne pourraient la céder à qui que ce fût, empereur, roi ou prince. Mais les droits de la maison de Souabe sur l'Italie méridionale étaient alors défendus par un fils légitimé de Frédéric, Manfred, prince de Tarente, que l'empereur, par son testament, avait nommé régent du royaume 2. Plein de courage et d'énergie malgré son jeune âge, ce prince avait fait proclamer Conrad roi de Sicile, et, s'appuyant à la fois sur les Allemands du royaume et sur les Sarrazins de Lucéra, ennemis déclarés de la domination pontificale, il avait réussi à retenir dans le devoir une partie notable du pays. Le pape, qui de Lyon avait ordonné de prêcher la croisade contre Manfred 3, eut bientôt à compter avec un nouvel adversaire. S'éloignant de l'Allemagne, où il se voyait, sinon tout à fait abandonné, du moins trop faiblement soutenu, Conrad s'était rendu, à la tête de quelques troupes, dans la ville fidèle de Vérone; de là, après s'être concerté avec Eccelin de Romano et d'autres chefs gibelins de la Lombardie et de la Toscane, il était allé s'embarquer, aux environs de Trieste, sur des galères que lui avait envoyées

avait épousé une petite-fille du roi Tancrède, le comté de Lecce, situé « in regno nostro » Siciliæ. Reg. d'Innoc. IV, no 5557. Voy. ibid, nos 5507, 5529. 1. «Statuentes ut eadem civitas (Neapolitana) perpetuo præfatæ sedis (apostolicæ) remaneat; ita quod romana ecclesia, semper absque ullo medio retinens illam sibi, sicut terram Campaniæ vel Maritimæ, nunquam... ipsam, vel jus quodcunque in ea,.. cuiquam sive imperatori, sive regi, seu duci aut principi.. concedat. » 13 décembre 1251, Raynald. eod. anno, n° 39-42. Cf. une autre lettre du pape aux Napolitains du 22 juin 1251. Raynald. Ibid. no 38.

2. Voir le texte du testament de Frédéric dans Chron. de reb. in Ital. gest., p. 228-232,

3. 27 janv. 1251. Reg. d'Innoc. IV, no 5339.

Manfred, et, au mois de janvier 1252, il avait abordé, par Capitanate, dans le royaume de Sicile.

la

Le dessein de Conrad, en franchissant les Alpes, dessein à peu près semblable à celui que dans les derniers temps avait formé Frédéric, était de ramener à l'obéissance les populations de l'Italie méridionale hésitantes ou rebelles, et de revenir ensuite en Allemagne, avec de nouvelles forces, se mesurer contre Guillaume de Hollande. Il exécuta la première partie de ce dessein. Secondé par Manfred, qui avait généreusement abdiqué le pouvoir entre ses mains, il vit en peu de temps s'ouvrir devant lui les villes qui avaient arboré l'étendard de l'Église. Naples fut la seule qui osa se défendre. Un siège opiniâtre de dix mois la livra au fils de Frédéric, qui, voulant faire un exemple, châtia sa résistance par les plus cruelles rigueurs. Cette présence de Conrad au sud de la péninsule avait surpris et alarmé le pontife. Se sentant impuissant contre les efforts réunis de ce prince et de Manfred, il avait paru abandonner le projet de rattacher aux possessions du saint-siège le royaume de Sicile. Mais, par une politique qui montrait combien peu il avait souci des intérêts de l'Italie, plutôt que de laisser Conrad s'établir dans ce royaume, il résolut d'en investir un prince étranger qui lui fût redevable de son élévation. Il chargea un notaire apostolique d'aller offrir la couronne au frère du roi d'Angleterre, Richard, comte de Cornouailles, et au plus jeune des frères du roi de France, Charles, comte d'Anjou, se réservant sans doute de la décerner à celui dont il obtiendrait les conditions les plus avantageuses 2. Richard, vers lequel il avait envoyé d'abord, ne l'ayant pas acceptée, le légat alla trouver Charles, qui n'opposa pas le même refus; néanmoins, comme Louis IX, tout en s'étant racheté de captivité, était encore

1. Cherrier, Hist. de la lutte des papes et des empereurs, t. II, p. 429, 430. 2. Les lettres adressées aux cours d'Angleterre et de France, et dans lesquelles était fait dans les mêmes termes l'éloge du prince qu'elles concernaient, étaient datées la première du 3 août, la seconde du 2 août 1252. Reg. d'Innoc. IV, t. II. Introd. p. CCLXXVIII.

LA COUR DE ROME. T. II.

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outre-mer, le conseil du roi ne jugea pas prudent d'engager les forces de la France dans une expédition dont l'issue semblait incertaine, et, après de longs pourparlers, le pape dut renoncer à l'espoir qu'il avait conçu 1. Il ne se rebuta pas, et, vers l'automne de 1253, il manda à son légat de retourner en Angleterre, pour offrir la couronne, non plus à Richard, mais à l'un des fils de Henri III.

C'était dans ce temps même que Naples, après avoir épuisé tous les moyens de la résistance, ouvrait ses portes à Conrad. Innocent, de son côté, était enfin revenu à Rome où il n'avait pas paru depuis neuf ans 2. Il ne s'y était présenté « qu'en tremblant. >> Outre que, durant sa longue absence, les Romains s'étaient accoutumés, à l'égard du saint-siège, à une plus grande indépendance, le peuple avait alors appelé à Rome et imposé aux nobles comme sénateur, pour une période de trois ans, un citoyen de Bologne, l'énergique et impérieux Brancaleone, qui avait soutenu jadis dans la Haute Italie la cause de Frédéric. Le nouveau magistrat avait joint à son titre de sénateur celui de « capitaine du peuple », et il exerçait une autorité d'autant plus absolue, qu'il avait exigé, avant d'entrer en fonctions, que des otages pris dans les principales familles romaines fussent envoyés à Bologne afin d'y répondre de sa sûreté 3. Sans vouloir, pour le moment, engager contre lui un conflit qui eût entraîné le saint-siège en de nouvelles difficultés, Innocent, du palais de Latran où il s'était enfermé, continua ses négociations avec le roi d'Angleterre, qui accepta enfin le trône de Sicile au nom de son

1. Voir, dans Raynald. anno 1253, no 3 et ss., les conditions auxquelles Innocent offrait la couronne de Sicile au comte d'Anjou.

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Gregoro

2. 12 octob. 1253. Il avait quitté Pérouse le 27 avril de cette année pour se rendre à Assise, où il avait séjourné jusqu'en octobre. 3. Nic. de Curbio, c. 34. Matth. Paris., t. V, p. 373, 417. vius, Storia di Roma, t. V, p. 316, 317. Brancaleone avait été élu sénateur au mois d'août 1252. Gregorovius observe avec raison que le peuple, en choisissant un gibelin pour sénateur, entendait, non favoriser la cause de l'Empire, alors presque perdue, mais se faire un appui contre les nobles et le pape qui appartenaient au parti guelfe.

second fils Edmond. Un acte fut dressé par lequel la Sicile proprement dite et les provinces situées de l'autre côté du Phare jusqu'aux frontières de l'État ecclésiastique, à l'exception de Bénévent, étaient cédées en fief au jeune prince avec le titre de roi. Henri III promit, moyennant cent mille livres tournois payables par le trésor pontifical, d'envoyer des forces suffisantes pour faire la conquête du royaume; et, selon les instructions du pape, le légat qu'il avait chargé de ces négociations en conféra à Edmond l'investiture provisoire 1.

Un événement vint modifier encore la politique changeante d'Innocent. A peine cette investiture avait-elle été conférée à Edmond, que Conrad mourait à Lavello, le 21 mai 1254, laissant un fils unique, Conradin, âgé de deux ans, qui était alors en Bavière. Déconcerté par cette mort et voyant déjà autour de lui se produire les défections, Manfred crut plus sage de faire sa soumission à l'Église. Il se décida à confier au saint-siège le soin des intérêts de Conradin, et, sous la réserve des droits du jeune prince et des siens propres, offrit au pontife de le recevoir dans le royaume et de lui en ouvrir les forteresses. Innocent parut accueillir avec empressement des propositions qui mettaient fin aux hostilités. Sans égard au traité qu'il venait de conclure avec l'Angleterre et comme s'il eût oublié les sentences dont, à diverses reprises, il avait frappé la postérité de Frédéric, il déclara, par un acte public, qu'il plaçait sous sa protection le petit-fils de l'empereur, et « que le royaume de Jérusalem, le duché de Souabe, avec les droits qu'il pouvait avoir tant sur les États siciliens que sur d'autres pays, lui seraient conservés en leur intégrité 2. » Par le même acte, il autorisa les habitants du royaume de Sicile, dans le texte du serment qu'ils prêteraient à l'Église

1. Mars-mai 1254. Rymer, Fœdera, t. I, pars 1, p. 178, 182, 183.

2. « Regnum Hierosolimy tanum et ducatum Sueviæ et alia jura sua, ubicunque illa, sive in regno Siciliæ, sive alibi habeat, integra et illæsa sibi... proponimus et volumus conservare. » 27 septembre 1254. Raynald. eod. anno, no 47. Potthast, Reg. pontif., n °15438, a daté à tort cette lettre du commencement de juillet.

romaine, à insérer ces mots : « Sauf les droits de Conrad le jeune1. » Il confirma également à Manfred la possession de la principauté de Tarente dont l'avait gratifié Frédéric 2. Mais il est à penser que, par ces concessions, Innocent ne cherchait qu'à désarmer Manfred, afin de réunir plus sûrement, selon son premier projet, le royaume de Sicile au domaine. apostolique. Ce qui est certain, c'est qu'un neveu du pape, le cardinal de Saint-Eustache, chargé d'aller à la tête des troupes pontificales prendre possession du royaume 3, obligea les barons et les syndics des villes de jurer fidélité à l'Église, sans que réserve fût faite des droits de Conradin, non plus que de ceux de Manfred ; et, tandis que, par ce moyen, Innocent établissait son autorité dans l'Italie méridionale, luimême, quittant l'État ecclésiastique pour se diriger vers les provinces siciliennes, entrait en maître dans Naples.

Il y fit son entrée le 27 octobre 12545. Sept jours auparavant, il avait signifié, par une lettre adressée aux populations de l'île de Sicile et des Calabres, que ces provinces seraient annexées à perpétuité au domaine de l'Église romaine, sans qu'aucune portion en pût jamais être cédée, « fût-ce au personnage le plus illustre. » En dehors de ces provinces, un grand nombre de bourgs et de villes reçurent des lettres qui les rattachaient de même au domaine de saint Pierre 7, et

1. « Permittimus quod, in serie juramenti fidelitatis quod nobis præstabunt, possint adjicere Conradi pueri jure salvo. » Ibid.

2. 27 septembre 1254. Raynald. eod. anno, no 57.

3. Voir, à la date du 2 septembre, les lettres par lesquelles le pape remettait au dit cardinal pleins pouvoirs sur le royaume de Sicile. Potthast, Reg. pontif., nos 15506, 15507.

4. « Nullo jure regis et principis salvo. » Jamsilla.

5. Dès le mois d'avril précédent, il avait quitté Rome pour se rendre à Assise et de là à Anagni.

6. « Statuimus ut Sicilia et Calabria perpetuo sint de dominio ecclesiæ romanæ atque nostro,... nec cuiquam aliquid concedere,... vel quomodolibet alienare, vel transferre, sive in illustres seu in alias quascumque personas liceat. » 20 octobre 1254. Raynald. eod. anno, no 63.

7. Raynald, ibid., no 62. — Cherrier, ouvr. cité, t. III, p. 27, note 1, a signalé, d'après les registres du Vatican, plusieurs de ces lettres, qui sont les unes d'octobre, les autres de novembre 1254.

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