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les doutes des dominicains. La conformité de la vie de saint François et de la sainte existence du Christ se développa et s'embellit comme se forment les légendes. Au commencement du quatorzième siècle, l'on ne dit plus que saint François voulut être semblable à Jésus-Christ; l'on dit qu'il fut semblable au Fils de Dieu ('). Enfin parut le fameux livre des conformités, dans lequel le blasphème est poussé jusqu'au dernier excès (2). L'auteur a tort de parler des conformités, il aurait dù intituler son ouvrage de la supériorité de saint François, car cette supériorité éclate à chaque ligne : « Jésus a été transfiguré une seule fois, saint François vingt fois. Jésus changea une seule fois l'eau en vin; saint François trois fois... » Nous ne continuons pas cette comparaison qui, dans la bouche d'un chrétien, d'un religieux, est une impiété au premier chef, puisqu'elle aboutit à placer un saint au-dessus du Fils de Dieu, une faible créature au-dessus du Créateur. Notons seulement que toutes ces extravagances sont appuyées de prétendus témoignages de l'Écriture Sainte. Les dominicains, jaloux de la gloire d'un ordre rival, firent aussi un dieu de leur fondateur (3). Ces stupidités bravèrent le siècle de la renaissance : en 1486, la Sorbonne condamna des propositions d'un frère mineur qui se résumaient dans ce blasphème : « Saint François est le second Christ, le second Fils de Dieu » (4).

Condorcet dit dans son rude langage que « Dieu conservait à peine une faible portion dans ces adorations prodiguées à des hommes, à des ossements ou à des statues » (†). Qu'on ne se récrie pas contre le philosophe incrédule; les faits ne confirment que trop ses accusations. Les docteurs disputaient sur la question de savoir laquelle était la plus grande fête, la fête de la Toussaint ou la Fête

(4) Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 2, § 70, note d

(2) << Liber conformitatum, » par le mineur Bartolomée Albicius, écrit en 1385. et approuvé dans un chapitre général de l'ordre en 1399 (Gieseler, ib., T. II, 3, § 141, note q).

(3) Gieseler, ib., T. II, 3, § 140, note e.

(4) D'Argentré, Collectio Judiciorum, T. I, Pars II, p. 348.

(5) Condorcet, Esquisse, p. 198.

Dieu; les uns alléguaient que Dieu est plus grand que les saints; les autres, que Dieu ne peut être sans ses saints, non plus qu'un roi sans sa cour (1). Il y avait tel saint que les fidèles honoraient plus que la Vierge, plus que Dieu même. Pendant une année, les milliers de pèlerins qui affluaient sur le tombeau de saint Thomas de Canterbury, y déposèrent 832 livres sterling; ils offrirent 63 livres sur l'autel de la Vierge, et Dieu n'en eut que trois (2)! « Je sais une cathédrale dans ce royaume, dit Clémangis, où on lit d'un bout à l'autre les gestes des saints, et où on lit à peine quelques lignes de l'Écriture: le culte de Dieu tombe en désuétude, le ToutPuissant est banni de l'Église >> (3).

Les défenseurs de l'orthodoxie disent que le culte des saints n'est pas l'adoration de la créature. Quelques témoignages d'écrivains catholiques du quinzième siècle nous apprendront si les fidèles se souciaient de la distinction entre la latrie et la doulie. << Beaucoup de chrétiens, dit Vivès, adorent les saints comme des dieux; je ne vois guère de différence entre leur croyance et celle des païens » ('). Erasme ne cesse de répéter que la chrétienté est en plein polythéisme : « Les noms sont changés, la chose est la même » (3). C'était pis que le polythéisme d'Athènes et de Rome, c'était du fétichisme tout pur. « La masse des chrétiens, dit Polydore Virgile, adorent des statues et des images, non comme des figures, mais comme des divinités; ils ont plus de confiance dans le bois et dans le marbre qu'en Jésus-Christ »(6). Ces excès justifient la réforme: Bossuet reproche en vain aux protestants de confondre l'abus et la vérité dans une même réprobation; la prétendue vérité contenait le germe de l'abus. En veut-on une dernière preuve? Le plus modéré des réformateurs adressa à l'université de Paris des propositions tendantes à la réunion des deux Églises. Parmi les

(1) Henri Estienne, Apologie d'Hérodote, T. II,

(2) Hume, History of England, T. V, p. 277.

p. 154.

(3) Clemangis, De novis celebritatibus non instituendis (Op., p. 156).

(4) Vives, ad Augustinum de Civitate Dei, VIII, 27.

(5) Erasmi Enchiridion (Op., T. V, p. 25).

(6) Polyd. Vergilius, de rerum inventoribus, VI, 13, écrit en 1499 (Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 4, §145, note e).

points contestés, se trouvait l'invocation des saints. Mélanchthon déclara qu'il l'admettait, en l'entendant comme l'ont expliqué depuis le concile de Trente et Bossuet. La Sorbonne demanda le maintien des vieilles superstitions; le langage du premier corps théologique de la chrétienté est au niveau des croyances du vulgaire : << N'attribuer aux saints aucunes prérogatives de chasser les maladies est contre l'Écriture, la louable et dévote accoutumance de l'Église, dits des saints docteurs et expérience du don que Sa Majesté (le roi de France) a de Dieu de guérir les écrouelles » (1). Voilà, comme toujours, les superstitions les plus niaises, mises sous l'autorité de la parole de Dieu. Vienne donc la réforme pour arracher par la force la mauvaise herbe qui pullulait à l'abri de la doctrine catholique.

No 2. Lá superstition exploitée par l'Église.

I. Les fausses légendes.

La superstition qui se trouve au fond du culte des saints n'est pas ce qu'il y a de plus affligeant; le sentiment religieux est respectable jusque dans ses égarements. Mais quand une Église qui se dit divine exploite l'ignorance et la crédulité des hommes dans un intérêt d'argent ou d'ambition, alors le spectacle des erreurs humaines prend un caractère odieux; l'histoire doit flétrir l'abus de ce qu'il y a de plus sacré; elle doit faire retomber sur l'Église la responsabilité des crimes commis en son nom et à son profit. Nous parlons de crimes; en effet nous n'en connaissons pas de plus grand que les faux que l'on a voulu excuser et presque sanctifier en leur donnant le nom de fraudes pieuses. A une époque où l'Église revient à ces honteuses traditions, il est bon de montrer aux hommes ce qu'était cette prétendue piété : elle a son nom inscrit au Code pénal. L'histoire du catholicisme est à chaque instant entachée du crime de faux il y a de fausses donations, il y a de fausses décré

(1) D'Argentré, Collectio judiciorum, T. I, P. 2, p. 395.

tales, il y a de faux saints, il y a de fausses légendes, il y a de faux miracles, il y a de fausses reliques, et ce qui rend ces faux encore plus infâmes, c'est que le plus souvent ils sont inspirés par la cupidité.

L'ignorance a pu avoir une grande part dans les traditions qui créent des saints fabuleux: tels furent saint Denys et saint Jacques de Compostelle, ces fameux patrons des Français et des Espagnols, qui ne mirent jamais le pied en France ni en Espagne (1). Mais on ne saurait mettre tout sur le compte de l'ignorance: il existe des preuves certaines que la supercherie se mêlait à la crédulité. Le chroniqueur Raoul Glaber, moine du douzième siècle, va nous raconter l'histoire d'un faux saint (2). Un homme de basse extraction, charlatan consommé, faisait profession de dépouiller les tombeaux et de vendre les ossements comme des reliques. Après d'innombrables tromperies commises dans les Gaules, il vint dans une ville des Alpes. Là, d'après son habitude, il recueillit les ossements d'un premier venu, et prétendit qu'un ange lui avait révélé que c'étaient les reliques de saint Juste. A ce bruit, la population ignorante des campagnes accourut, et les petits présents aidant, il se fit force prodiges. Les prêtres ne manquèrent pas d'exploiter les miracles et le saint fabriqué par un fripon, bien que les gens les plus éclairés, et parmi eux le moine Glaber, eussent découvert la fraude et démasqué l'imposteur. Le prétendu saint Juste resta en odeur de sainteté et continua à faire des miracles, à la grande satisfaction du clergé.

Les hagiographes eux-mêmes attestent qu'on employait le mensonge pour accroître la gloire des saints. Le biographe de saint Julien s'écrie : « La gloire des élus peut-elle gagner par le mensonge? si pendant leur vie ils avaient aimé la fraude, seraient-ils parvenus à la béatitude céleste?» (3) Un abbé de Laubes, qui écrivit au dixième siècle les Gestes des évêques de Tongres et de Liége,

(1) Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 1, § 18, notes m, n, o. (2) Glaber Radulphus, lib. IV, c. 3.

(3) Letaldus, monachus Miciacensis (dixième siècle), Vita Juliani Episcopi {Acta Sanctorum, Januarii, T. II, p. 1152). Gieseler, T. II, 1, § 33, note h.

dit dans la vie de saint Servat, qu'il n'ose pas affirmer si le saint appartenait à la famille de Jésus-Christ, ainsi qu'on le prétendait; que mieux vaut « avouer son ignorance que de mentir par une piété mal entendue » (1). L'abbé de Laubes trouva peu d'imitateurs de sa bonne foi. Au dixième et au onzième siècle, des fraudes pieuses transformèrent les premiers évêques des Gaules en disciples des apôtres. Les Normands avaient détruit les documents que l'on conservait dans les anciennes églises; il ne restait guère que les noms des saints et de vagues traditions; on profita des ténèbres pour fabriquer de fausses légendes. Trèves prit l'initiative; les autres villes des Gaules suivirent l'exemple. Puisque l'on fabriquait des disciples des apôtres, pourquoi n'aurait-on pas fabriqué des apôtres? Les moines de saint Martial à Limoges firent de leur patron un disciple du Christ (2). En présence de ces faux énormes, les fausses légendes ne sont que des péchés véniels. Elles sont innombrables, et il est difficile de les attribuer à l'ignorance, quand on lit dans le Recueil des Bollandistes la vie de saint Désiré; c'est une copie littérale de l'une des vies de saint Ouen, insérée dans la même collection. Cette identité, disent les auteurs de l'Histoire littéraire de la France, n'est remarquable que parce qu'elle est complète; car il ne manque pas de légendes adaptées à deux saints avec un certain nombre de variantes; les savants bénédictins qui commencèrent la publication de l'Histoire littéraire, en citent plus d'un exemple (3). L'histoire d'un faux gigantesque nous dispensera d'entrer dans de plus longs détails sur ce sujet odieux. Il n'y a pas de légende plus célèbre que celle de sainte Ursule et de ses 11,000 vierges ("). Une princesse de Bretagne, vouée à Jésus-Christ, est demandée en mariage par un roi païen. Sur la foi d'une inspiration divine, elle demande l'ajournement des noces. Cette même révélation lui commande de se mettre en mer avec 11,000 vierges. Trois ans se pas

(1) Herigerus, abbas Laubiensis, dans Chapeavilli, Gest. Pontificum tungrensium et leodiensium scriptor., T. I, p. 28. Gieseler, Kirchengeschichte, ib.

(2) Gieseler, ib., T. II, 4, § 33, notes k, l.

(3) Histoire littéraire de la France, T. XIV, p. 617; T. VI, p. 259, 557; T. VII, p. 193, 194.

(4) Schade, die Sage von der heiligen Ursula. Hannover, 1854.

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