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gieuse qui inspira plus particulièrement Jésus-Christ, reposait sur l'unité rigoureuse de la divinité. Il y avait donc deux principes opposés en présence: le passage subit du polythéisme à l'unité de Dieu était-il possible pour la masse de ceux qui embrassèrent la nouvelle religion? Quand on sait comment se firent les conversions dans le monde ancien et après l'invasion des Barbares, la réponse n'est pas douteuse. La tendance générale des esprits influa sur les fondateurs mêmes du christianisme. Vainement les protestants ont tenté de placer l'adoration des saints parmi les superstitions du moyen-âge; ils sont forcés d'avouer que les Pères de l'Église, et les plus grands, les Grégoire, les Chrysostome, les Augustin, priaient les saints et honoraient leurs reliques. La superstition n'est donc pas catholique, elle est chrétienne, en ce sens du moins qu'elle remonte aux premiers siècles du christianisme. Dans son essence, le culte des saints est un legs de l'idolâtrie païenne.

L'idée de Dieu implique si bien celle de l'unité que le polythéisme même la reconnaissait; mais l'être suprême étant trop au-dessus de la faiblesse humaine, les païens imaginèrent des dieux inférieurs qui fussent en relation plus spéciale avec chaque nation, chaque cité, chaque individu. Les saints prirent la place de ces dieux protecteurs. « Les Babyloniens, dit Henri Étienne, avaient le dieu Bel pour leur patron, les Égyptiens Isis et Osiris, les Athéniens Minerve; ainsi les Espagnols pour leur patron ont saint Jacques, les Français ont saint Denys, les Allemands ont saint George. » (1) Les Grecs et les Romains avaient des dieux protecteurs de chaque ville. Sous l'empire du catholicisme, chaque cité eut également son saint; saint Ulrich était le patron d'Augsbourg, saint Sebaldus, le capitaine, appui et protecteur de Nuremberg » (2). Enfin, dit un

(1) Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, ch. 38, § 14.

(2) Le seing de ville libre de Worms portait cette prière à saint Pierre, le patron de la ville : « Te sit tuta bono Wormacia Petre patrono.

avec la réponse de saint Pierre :

α

Semper eris clypeo gens mea tuta meo. »

(Arnold, Verfassungsgeschichte der deutschen Freistädte, T. I, p. 306.)

abbé du douzième siècle, il n'y a pas de village qui, voyant les grandes cités avoir chacune son patron, ne se fasse aussi le sien (1). L'on put dire avec l'auteur sacré : chaque nation se fabriqua son Dieu.

Chaque saint avait sa fonction spéciale. Ici encore reparaissent les sentiments des nations païennes. Le christianisme enseignait vainement aux hommes le mépris du monde et des biens temporels, le monde avec ses joies et ses peines resta la grande préoccupation de ceux qui y vivaient et même de ceux qui l'abandonnaient. La spécialité des divers saints nous montre quels étaient les vœux qu'on leur adressait. Écoutons un docteur catholique, Érasme (2): « L'un guérit du mal de dents, l'autre soulage les femmes enceintes dans les douleurs de l'accouchement; celui-là fait retrouver ce que l'on a perdu, celui-ci veille à la conservation des troupeaux; l'un sauve du naufrage, l'autre procure la victoire dans les combats. Je supprime le reste, car je ne finirais point. » C'étaient surtout les maux physiques qui effrayaient les hommes; moins la science était capable d'y porter remède, plus les malades étaient disposés à chercher un secours au ciel. Les médecins du paradis sont innombrables, il y en a pour chaque infirmité : « Saint Eutrope, dit Henri Étienne, guérit de l'hydropisie; saint Jean et saint Valentin guérissent du mal caduque, appelé aussi mal de saint Jean; saint Roch et saint Sébastien guérissent de la peste; sainte Pétronille guérit de toute espèce de fièvres; sainte Apollonie guérit du mal des dents; saint Mathurin du mal de folie. » Il y avait même concurrence au ciel comme sur la terre : « Quant à la guérison de la goutte, que les uns attribuent à saint Genou, plusieurs en donnent l'honneur à saint Maure. Et quant aux yeux rouges, les uns disent que c'est saint Clair qui les guérit, les autres que c'est sainte Claire. Les autres disent que ni lui ni elle n'y entendent rien, mais que sainte Otilie guérit toutes

(1) Guibert, abbé de Nogent, de pignoribus sanctorum, c. 2, § 5 : « Quid de eis proferam, quos præfatorum æmulum per villas ac oppida cotidie vulgus creat? Cum enim alii alios summos conspicerent habere patronos, voluerunt et ipsi quales potuerunt et facere suos. »

(2) Erasme, Éloge de la folie.

maladies d'yeux. Une bonne femme s'adressant à un prêtre pour dire une messe, le pria d'y mettre de sainte Claire pour guérir ses yeux, de saint Avertin pour guérir sa tête et de saint Antoine pour guérir ses pourceaux. » Nous n'osons pas parler des saints qui guérissent du mal de stérilité; Henri Etienne, qui ose plus que nous, dit «< qu'il a honte d'écrire comment les choses se passaient dans ces saintes guérisons et que les lecteurs auraient honte de le lire. »(1)

Nous pourrions poursuivre l'analogie entre le culte des saints et le polythéisme jusque dans les détails, montrer comment les saints et surtout la Vierge changeaieut de caractère d'après les divers lieux, de même que le Jupiter Capitolin était un dieu différent des autres Jupiter qui ne connaît quelques-unes des innombrables Notre Dame ayant chacune une figure différente, une mission diverse, et ses adorateurs spéciaux, en sorte qu'une Notre Dame peut faire ce qu'une autre ne fait pas? (2) Mais il est inutile d'insister; le principe de la superstition une fois admis, les conséquences se produisent d'elles-mêmes; il n'y a que la forme qui change. Entre les fables du polythéisme et les légendes chrétiennes, il n'y a parfois d'autre différence que le nom (3).

Nous savons la réponse que les catholiques font aux reproches de polythéisme qu'on leur adresse : « Nous prions Dieu, dit le catéchisme romain, ou de nous donner des biens de ce monde, ou de nous délivrer des maux de la vie : mais parce que les saints lui sont plus agréables que nous, nous leur demandons qu'ils prennent notre défense et qu'ils obtiennent pour nous les choses dont nous avons besoin. »«< L'Église, ajoute Bossuet, en nous enseignant qu'il est utile de prier les saints, nous enseigne à les prier dans ce même esprit de charité, et selon cet ordre de société fraternelle, qui nous porte à demander le secours de nos frères vivants sur la terre » (").

(1) Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, ch. 38, § 7-10. (2) Ibid., ch. 38, § 15-18.

(3) Ibid., ch. 38, § 6.

(4) Catéchisme du concile de Trente, Part. III, tit. de cultu sanctorum. · Bossuet, Exposition de la doctrine de l'Église catholique.

Quoi de plus naturel, dit-on, et de plus légitime? Nous répondons qu'il y a dans cette défiance de la charité divine un germe de superstition qui devait porter ses fruits dans un âge barbare. L'on trouve dans une charte du onzième siècle l'expression des mêmes sentiments que le concile de Trente a consacrés de son autorité; mais la naïveté du langage montre à nu le côté superstitieux d'un culte, qui est comme voilé dans le catéchisme du seizième siècle : «Quand on veut obtenir une faveur d'un prince, l'on s'adresse à ceux qui jouissent de sa familiarité; de même celui qui veut obtenir le salut éternel, doit tâcher d'avoir pour intercesseurs les martyrs et les saints qui dominent dans la cour céleste » (1). Un des grands docteurs du moyen-âge répète presque littéralement ces paroles, preuve qu'elles sont bien l'expression des croyances catholiques. Pourquoi devons-nous prier les saints? demande Alexandre de Halès: «Lorsque nous voulons obtenir une faveur d'un prince, ditil, nous nous adressons à ses courtisans; or, les saints sont bien plus puissants dans la cour céleste que les grands dans la cour des rois. » Puis le théologien démontre dogmatiquement sa proposition: « Le respect que nous devons à Dieu nous oblige de recourir aux saints. Comment le pécheur qui a offensé Dieu, oserait-il se présenter en personne devant lui? Qu'il invoque les saints, qu'il implore leur patronage. La faiblesse humaine nous porte encore à prier les saints plutôt que Dieu. Misérables créatures que nous sommes, la plupart d'entre nous ont une plus grande affection pour l'un ou l'autre saint que pour Dieu. Le Seigneur, par pitié pour notre faible nature, permet et veut que nous adressions nos prières à ses saints » (2).

Une fois la croyance admise que l'on obtient par l'intercession des saints ce que l'on n'obtiendrait pas en s'adressant directement à Dieu, la porte est ouverte à la superstition la plus matérielle; les saints deviennent des maires du palais, et Dieu un monarque fainéant : nous sommes en plein fétichisme. Grégoire de Tours

(1) « Quos in cœlorum curia prævalere credimus » (Charte de 1076, dans D'Achery, Spicil., T. III, p. 444).

(2) Alex. de Halès, Summa theologica (Op., T. IV, p. 703).

nous apprend que les fidèles qui invoquaient. saint Martin, traitaient avec lui ainsi que les sauvages font avec leurs fétiches; ils lui disaient : « Si tu ne nous accordes pas notre demande, nous ne t'allumerons plus de cierge, nous ne te rendrons plus aucun honneur »('). Au douzième siècle, le comte Foulque d'Anjou, s'étant rendu maître de Saumur, cria en s'adressant à saint Florent, patron de la ville : « Laisse-toi brûler, je te bâtirai une plus belle demeure à Angers. » Comme malgré ces belles promesses, le saint s'obstina à rester, le vainqueur furieux le traita de sot et de rustre (2). Un païen aurait-il agi autrement? La superstition est logique; si les saints sont adorés comme des fétiches, pourquoi Dieu lui-même ne descendrait-il pas au rang d'une divinité de sauvage? Henri Étienne nous racontera un trait digne du comte Foulque; cependant il s'agit d'un clerc et le fait se passe à la veille de la réforme. Les habitants d'un village de la Savoie, effrayés par un grand orage, eurent recours à leur curé pour le faire cesser. Le prêtre usa d'abord de force conjurations, puis il apporta son bréviaire et «< choisit les paroles les plus rébarbatives qui y fussent; voyant que tout cela ne servait de rien, il prit le saint Sacrement et lui adressa ce langage: Par le cordieu, si tu n'es plus fort que le diable, je te jetterai dedans la fange » (3).

Le culte des saints n'était pas une erreur des classes inférieures; ceux qui pratiquaient la perfection évangélique, et parmi eux les parfaits par excellence, les moines mendiants, donnaient l'exemple, nous ne disons pas de la superstition, mais de l'impiété. A peine saint François fut-il mort, qu'il devint l'objet d'un culte idolâtrique dans son ordre. Saint Bonaventure osa écrire que le patron des mineurs«< avait voulu en toutes choses être semblable à JésusChrist, que l'ayant imité dans sa vie, il avait voulu aussi lui ressembler pour les douleurs de sa passion » ('). De là le fameux miracle des stigmates, que la papauté prit sous sa protection contre

(1) Gregor. Turonens., De miraculis S. Martini, 1. III, c. 8.
(2) Voyez le Tome VII de mes Études sur l'histoire de l'humanité.

(3) H. Estienne, Apologie pour Hérodote, ch. 39, § 18.
(4) S. Bonaventura, Vita sancti Francisci, c. 13 et 14.

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