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priviléges. Le Fils étant tout-puissant, la Mère doit aussi être toutepuissante » (1).

Une tradition très répandue, admise par les théologiens philosophes aussi bien que par le commun des fidèles, atteste jusqu'où allait, dans l'opinion générale, le pouvoir de la Vierge. L'idée de la fin du monde, qui joua un si grand rôle dans l'établissement et l'extension du christianisme, ne cessa point de préoccuper et de troubler les esprits au moyen-âge. Cependant la consommation finale, annoncée comme instante par Jésus-Christ et ses apôtres, n'arrivait pas; comment s'expliquer ce long répit accordé à la pauvre bumanité? On en fit honneur à la Vierge; les miracles et les apparitions ne manquèrent pas pour consacrer cette croyance. Nous laissons la parole à l'historien des choses miraculeuses, Césaire d'Heisterbach : « L'on vit un jour une image de la Vierge suer de grosses gouttes pendant un temps d'orage et de tempête. Un homme inspiré de Dieu, s'écria: De quoi vous étonnez-vous? Le Fils de Dieu avait étendu sa main sur le monde; sa Mère implore la grâce du genre humain : voilà la cause de sa sueur. » Ailleurs le moine allemand raconte une légende plus niaise encore, si c'est possible « Un religieux de Clairvaux vit dans une extase le tribunal de Jésus-Christ. Le Fils de Dieu dit à un ange Sonne de la trompette. Le monde, à ce son terrible, trembla comme une feuille. Déjà Jésus-Christ avait dit à l'ange de sonner une seconde fois; alors la Vierge se jeta à ses pieds, pour implorer la grâce des hommes. « Tous, répondit le Juge Suprême, laïques, clercs et moines méritent la mort. » La Vierge insista : « Quand ce ne serait, ditelle, que pour mes amis, les moines de Citeaux, afin qu'ils aient le temps de se préparer au jugement dernier. » Jésus-Christ consentit » (2). Le délai qu'il accorda aux moines de Citeaux dure encore. Ces contes bleus étaient acceptés par les fidèles comme une vérité révélée : l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ dit que depuis longtemps le monde n'existerait plus sans la Vierge (3).

(1) Alberti Magni, De laudibus B. Mariæ, IV, 29.
(2) Caesarii Heisterbachensis, VII, 2; XII, 58.
(3) Thomas de Kempen, De disciplina claustrali, c. 14.

Voilà l'idolâtrie en plein faut-il en accuser le catholicisme? Si nous croyions, comme les protestants, qu'une femme a porté Dieu dans son sein, nous ne refuserions pas d'ajouter foi à tout ce que la crédulité du moyen-âge a débité sur la Mère de Dieu. Mais la nécessité de croire des choses incroyables ne serait-elle pas une preuve certaine que le principe d'où découlent ces grossières superstitions est faux? Nous ne sommes pas au bout des superstitions qu'engendre l'idée de l'Incarnation : l'exaltation de la Vierge conduit logiquement au culte que l'Église lui rend jusqu'à nos jours.

No 2. Culte de la Vierge.

On trouve chez les poëtes du moyen-âge une pensée qui semble naturelle à l'homme dans son enfance : il a la notion d'un être suprême, mais comme la majesté divine l'effraye, il s'adresse à des êtres qui se rapprochent davantage de l'humanité (1). Ces sentiments conduisent tout droit au polythéisme; cependant ils étaient partagés par des hommes qui ont mérité d'être placés parmi les Pères de l'Église. Il n'y a pas au douzième siècle de personnage plus éminent que saint Bernard; il est le champion de la foi, le défenseur de l'orthodoxie; mais sur le culte de la Vierge ses vues ne s'élèvent pas au-dessus des préjugés du vulgaire. Dans un de ses sermons il dit : « Tu crains de te présenter devant Dieu le Père; épouvanté par le son de sa voix, tu te caches sous le feuillage; il te donne Jésus comme médiateur. Peut-être redoutes-tu encore en lui la majesté divine; car, bien qu'il se soit fait homme, il est aussi Dieu. Tu veux avoir un patron, un défenseur. Prends ton recours auprès de Marie; chez elle tu trouveras l'humanité toute pure. Et je ne doute pas que Marie ne soit écoutée : le Fils écoutera la Mère et le Père écoutera le Fils. Mon cher enfant, voilà l'échelle des pécheurs, voilà la source de ma confiance, la raison de mon espérance »(2).

(1) Voyez les extraits des Minnesinger cités par Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 2, § 78, note f.

(2) S. Bernardi Sermo in nativitate B. Mariæ, § 7 (Op., T. II, p. 160).

Au onzième siècle, un jour de la semaine fut consacré à la Vierge et un office fut établi en son honneur. L'innovation se répandit avec rapidité, grâce au zèle d'un saint personnage, le cardinal Damien, que l'on rencontre partout où il y a quelque œuvre de superstition à protéger (1). Le samedi, les fidèles jeûnaient en l'honneur de la reine du ciel. Cette dévotion particulière était considérée comme bien plus efficace que le culte rendu à Dieu; car il suffisait, disait-on, de la pratiquer pendant sept ans pour être sûr de son salut dès lors les pieux adorateurs de la Vierge croyaient pouvoir pécher en toute sécurité (2). Malgré des abus si funestes, l'Église ne condamna pas les pratiques qui y donnaient lieu; elle les approuva au contraire comme une œuvre pie (3).

Le culte de la Vierge se rapprocha de plus en plus de celui qu'on rendait à Dieu. Cela était très-rationnel, car, dit saint Jérôme, tout ce que nous faisons en l'honneur de la Mère, tourne à la gloire du Fils (). L'on se prosternait dans l'Église au nom de Marie : les vœux des peuples, dit un théologien du douzième siècle, s'élevaient vers elle comme une mer orageuse (5). Dieu avait son oraison; la Vierge eut la sienne. Introduit au douzième siècle, l'Ave Maria devint au treizième la prière de prédilection des fidèles; les dévots la répétaient chaque jour, les uns cinquante fois, d'autres cent fois; il y en avait qui allaient jusqu'à mille (6). Il était difficile, au milieu de cette ferveur, que Marie restât confondue parmi les créatures; la superstition lui donna rang dans la Trinité. Saint Damien nous racontera comment les choses se passèrent lors de l'Assomption : « Le jour mémorable, où la Vierge royale fut élevée sur le trône de Dieu le Père et placée dans le siége de la Trinité, toute la troupe angélique s'assembla pour voir la reine du ciel s'asseoir à la droite du Seigneur, revêtue de ses habits d'or. » Suit une comparaison

(1) Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 1, § 55, note p.

(2) << Faciendo male securius », dit le dominicain Étienne de Borbone, de septem donis spiritûs sancti (Echard, Scriptor. Praedicator., T. I, 189).

(3) Ibid. « Devotio tamen pia circa haec jejunia est approbanda. »

(4) Hieronymus, Epist. X ad Paulam.

(5) Petri Comestoris Sermo 28 (Bibliotheca Maxima Patrum, T. XXIV, p.4 430). (6) Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 2, § 78, note k.

entre l'Assomption et l'Ascension qui n'est pas au désavantage de Marie « Lorsque Jésus-Christ monta au ciel, la glorieuse compagnie des esprits bienheureux alla à sa rencontre. Contemplez maintenant l'assomption de la Vierge; sauf la majesté du Fils, vos yeux seront frappés d'une pompe qui a bien plus d'éclat. Les anges seuls allèrent au-devant de Jésus-Christ. Quand sa mère entra dans le palais céleste, le Fils de Dieu lui-même se leva avec toute sa cour pour aller la recevoir en disant : « Tu es toute belle, ô ma bienaimée, et il n'y a pas de tache en toi »(1).

Les théologiens créèrent un terme spécial pour caractériser l'excellence du culte rendu à la Vierge; ils n'osèrent pas le mettre sur la même ligne que la latrie, mais ils le placèrent beaucoup au-dessus de la doulie; l'hyperdoulie de la Mère de Dieu tenait le milieu entre le culte rendu au Créateur et celui que les catholiques rendent aux saints (). Ces subtiles distinctions étaient bonnes pour l'école; dans la pratique, les fidèles procédaient plus franchement. Marle cessa d'être une créature pour devenir la Déesse dn moyen-âge. La superstition n'a pas de limites; il ne lui suffit pas d'avoir divinisé la Vierge, il fallut encore que la créature divinisée fût mise audessus de la divinité. Les dévots discutèrent s'il fallait appeler le Fils ou la Mère l'arbre de vie; ils se décidèrent en faveur de la Mère (3). Des livres de prière, écrits en latin, par conséquent par des clercs et pour des clercs, portèrent le blasphème jusqu'à dire dans une oraison : « Gloire à la Mère, au Père et au Fils » (). Quand le clergé poussait le culte de la Vierge jusqu'à l'idolâtrie, quelle devait être l'extravagance de ce culte dans les masses? Si nous en croyons le Jardin de l'âme, Jésus-Christ finit par être jaloux de la préférence que l'on accordait à sa Mère. Un clerc, plus confiant dans la sainte Vierge que dans le Fils de Dieu, ne cessait de répé

(1) Damiani, Sermo 40 (T. II, p. 97).

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(2) « Hyperdulia videtur esse medium inter latriam et duliam» (S. Thomas., Secunda secundæ, quæst. 103, art. 4. Cf. Summa, Pars III, quæst. 25, art. 5). (3) Voyez la Disputation entre la Vierge et la Croix, rapportée par Jonckbloet, Geschiedenis der middeleeuwsche dichtkunst, T. II, p. 264.

(4) Voyez les témoignages dans Ranke, Deutsche Geschichte im Zeitalter der Reformation, T. I, p. 239.

ter pour toute prière la salutation angélique. Comme il redisait encore Ave Maria, Jésus lui apparut et lui dit : «Ma Mère vous remercie beaucoup des saluts que vous lui faites, mais n'oubliez pas de me saluer aussi » (').

Il en est des superstitions comme des mauvaises herbes; elles trouvent un sol toujours bien préparé dans la faiblesse de l'homme. Au quinzième siècle, les discussions des dominicains et des mineurs sur l'immaculée conception produisirent un redoublement de dévotion. La faculté de théologie de Paris prit parti pour la Vierge: elle poursuivit de ses censures les frères prêcheurs qui s'obstinaient dans leur résistance: il fallut croire, sous peine de péché mortel, que la Vierge avait été assumée au paradis, en corps et en âme ; il fallut croire, sous peine d'impiété, que Jésus-Christ alla au-devant de sa Mère, quand elle fit son entrée dans le ciel; il fallut croire, SOUS PEINE D'ÊTRE SUSPECT D'HÉRÉSIE, que MARIE ÉTAIT PLUS BELLE QU'EVE! (2) Comment nous étonner de la superstition du quinzième siècle, quand de nos jours l'Église a consacré une superstition nouvelle, que le moyen-âge lui-même avait repoussée? Il y a des gens assez aveugles pour célébrer le dogme de l'immaculée conception comme une preuve de la puissance des idées religieuses et de l'influence croissante de l'Église. Le profit qui résulte de la superstition n'est un avantage que pour ceux qui exploitent la religion dans l'intérêt de leur domination: mais ils donnent à leur empire une base vermoulue : l'édifice ainsi étayé s'écroulera avec ses fondements.

SIV. Les Saints.

No 1. Le polythéisme chrétien.

Le christianisme naquit et se développa au sein de l'antiquité polythéiste; les peuples barbares, dont la destinée se lie si intimement à celle de la religion chrétienne, adoraient également Dieu dans ses diverses manifestations. Cependant la conception reli

(1) Hortulus animæ, édition de 1498, fol. 38, vo.

(2) D'Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus, T. I, P. 2, p. 339.

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