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que le Fils de Dieu chassait les démons. Or, la superstition de l'exorcisme vaut cellle de la sorcellerie ('). Cependant la sorcellerie est le plus grand des péchés; il n'y a que le crime de Lucifer qui lui puisse être comparé. On pardonne aux hérétiques quand ils reviennent à la foi, on ne pardonne pas aux sorcières; quelle que soit leur pénitence, on les livre au feu. La plupart de ces malheureuses avouaient leur crime. Il y en avait cependant qui gardaient un silence obstiné. Sprenger ne soupçonne pas même que ce silence soit une preuve d'innocence, il y voit une nouvelle marque de sorcellerie, et il sait quel est le talisman de cette taciturnité : on prend un enfant måle, premier né, on le met dans un fourneau, et on en fait un onguent (2)... Nous ne poursuivons pas. Après une procédure odieuse, vient le jugement, puis la peine du feu. Triste témoignage de la bêtise et de la cruauté des hommes! Protestation sanglante contre l'infaillibilité de l'Église, car c'est elle qui a pour

suivi et immolé les sorcières !

La sorcellerie n'est pas une superstition catholique, c'est une superstition chrétienne; aussi les sorcières survécurent à la réforme. A la fin du seizième siècle, un jésuite écrivit un excellent ouvrage sur les superstitions (3); dans le même livre où il combattait les rêveries des astrologues, il maintint la superstition bien plus cruelle de la sorcellerie. L'existence des sorcières est pour Delrio comme pour Sprenger un article de foi; il croit aux contes les plus absurdes, il croit aux voyages aëriens des sorcières, montées sur un bouc ou sur un balai ("); et comment n'y aurait-il pas cru, quand tous

(4) Le Marteau des Sorcières (Pars II, quæst. 2, c. 6. 7) nous apprend que l'on exorcisait non-seulement les sorciers, mais aussi les choses dont ils se servaient. Il y a tels mots magiques qui résolvent en pluie les orages excités par les sorcières. La lecture de l'Évangile de saint Jean calme les tempètes, pourvu qu'on ait soin de jeter trois grelons au feu, sous l'invocation de la sainte Trinité. Sonner les cloches pendant l'orage est également un remède souverain, que les sacristains pratiquent jusqu'à nos jours, bien qu'il n'y ait plus de sorcières. (2) Malleus maleficarum, Pars I, quæst. 14; Pars II, quæst. 1, c. 2. (3) Martin Delrio, Disquisitiones magicæ, 1599.

(4) Delrio, lib. II, quæst. 16, p. 188: « Secunda opinio est, quam verissimam judico, nonnunquam vere sagas transferri a dæmone de loco ad locum, hirco vel alteri animali, fantastico ut plurimum; hoc est dæmoni assumenti, et formanti

les théologiens de son temps professaient ces énormités? Un siècle plus tard, J. B. Thiers, théologien éclairé, ennemi des superstitions, défendit encore la sorcellerie comme article de foi : « On ne saurait nier, dit-il, qu'il y ait des sorciers, sans contredire visiblement les SAINTES LETTRES, la TRADITION SACRÉE et profane, les Lois CANONIQUES et civiles, et l'expérience de tous les siècles, et SANS REJETER AVEC IMPUDENCE L'Autorité irréfragable et infaillible de l'Église » (1). Catholiques et protestants renchérissaient les uns sur les autres. Les premiers disaient que l'hérésie des Hussites et le schisme de Luther avaient répandu des torrents de sorcières en Bohême et en Allemagne (2); les réformés étaient tout aussi convaincus que la sorcellerie tenait à la papauté, à la Babylone romaine, à la grande prostituée. Les calvinistes rivalisaient de cruauté avec les orthodoxes (3). Enfin, pour combler la mesure de l'imbécillité humaine, on vit des savants écrire des traités sur la sorcellerie, jusque dans la seconde moitié du dix-septième siècle (').

Ces absurdes et sanguinaires superstitions justifient le mouvement d'incrédulité qui se manifeste dès le moyen-âge et se poursuit jusqu'à nos jours. Il y a des penseurs chagrins qui disent la superstition est une nécessité de la nature humaine; voyez l'humanité après deux mille ans de christianisme! Ils ne s'aperçoivent pas que si la superstition fleurit sous l'empire du christianisme traditionnel, c'est que la superstition est essentiellement chrétienne. Pour la détruire, il faut couper le mal dans sa racine : les superstitions ne disparaitront qu'avec la religion qui les nourrit. Il faut du moins que la religion cesse de se prétendre divine, révélée par Dieu; alors elle pourra répudier les erreurs du passé, de même que l'homme fait

corpus aëreum, vel etiam bominis in forma, eas aliquando ternas quaternasve simul asportanti, vel arundine vere, scoparumve baculo etiam vero, sed acto et sublevato a dæmone, inequitantes, et corporaliter conventui nefario interesse... Haec sententia est multo communior theologorum, immo et jurisconsultorum practicorum Italiæ, Hispaniæ, Germaniæ inter catholicos... >>

(1) Thiers, Traité des superstitions, T. I, p. 116.
(2) Torrentes sagarum (Delrio, T. I, p. 5.6).
(3) Walter Scott, Letters on witchcraft, VIII.
(4) Meiners, Vergleichung der Sitten, T. III, p. 449.

rejette les préjugés de son enfance. Mais comment le christianisme révélé pourrait-il flétrir des superstitions qui s'autorisent du nom de Jésus-Christ et de l'Écriture Sainte? Condamnera-t-il la croyance aux démons et aux sorcières, alors que le Fils de Dieu passa sa vie à chasser les démons, et que l'Écriture Sainte ordonne de mettre les sorcières à mort? Il n'y a pas de milieu: il faut ou maintenir les croyances les plus absurdes et les plus funestes, ou il faut les rejeter avec la Révélation qui les consacre.

S III. La Vierge.

No 1. Exaltation de la Vierge.

Le culte de la Vierge est un des grands crimes que les protestants reprochent au catholicisme. Ils ont raison de repousser une superstition qui, si elle n'est pas de l'idolâtrie en théorie, n'en diffère guère dans la pratique; mais dans leur jugement sévère ils oublient que la glorification de la Vierge et le culte qui en est la suite, découlent logiquement du dogme de l'Incarnation. Si superstition il y a, cette superstition, quoi qu'en disent les réformés, n'est pas catholique, elle est chrétienne.

Tous les Pères de l'Église, depuis saint Jérôme et saint Augustin jusqu'aux saints du moyen-âge, s'épuisent en protestations, qu'il est impossible au langage humain d'atteindre à la grandeur de la Vierge ('): « Quelle langue, dit saint Damien, est capable de célébrer les louanges de celle qui mit au monde le Fils de Dieu ? Celui que l'immensité du monde ne peut contenir, est formé dans le sein d'une jeune Vierge »(2)! « Elle a porté Dieu dans son sein pendant neuf mois,» s'écrie saint Bonaventure dans un enthousiasme qui touche à l'idolatrie, tout en restant dans les limites du dogme chrétien : « elle a nourri Dieu de ses mamelles, elle a élevé Dieu pendant plusieurs années, elle a commandé à Dieu, elle a serré Dieu

(1) Voyez les passages cités par saint Bonaventure, dans son Speculum Mariæ Virginis (Op., T. VI, p. 429).

(2) Damiani, Sermo 45 (Op., T. II, p. 402),

dans ses bras, elle a couvert Dieu de ses caresses! »>(1) Si l'humanité doit son salut à l'Incarnation, n'est-il pas naturel de faire remonter à la Vierge les bienfaits du Sauveur qu'elle a mis au monde? « Rien, dit saint Anselme, n'est égal à Marie; rien, sinon Dieu, n'est plus grand qu'elle. O femme singulière et admirable, par laquelle les éléments sont renouvelés, les démons foulés, les hommes sauvés, les anges réintégrés ! »(2) Le disciple de saint Anselme, Eadmer, complète la pensée de son maître : « De même que Dieu, dit-il, en créant tout par sa puissance, est le Père et le Seigneur de toutes choses, de même Marie, en réparant tout, est la Mère et la Maitresse du monde. Et ainsi que Dieu a engendré de sa substance Celui par lequel il a tout créé, ainsi Marie a enfanté de sa chair Celui qui a rendu la splendeur primitive à la création. » (3) Il n'y a plus qu'un pas à faire pour identifier la créature avec le Créateur. Écoutons saint Bernard sur ces mots de la salutation angélique le Seigneur est avec toi : « Dieu tout-puissant est avec toi, en ce sens que Tu es toute-puissaNTE avec lui. Dieu, qui est toute sagesse, est avec toi, en ce sens que TU ES TOUTE SAGESSE avec lui. »() Saint Bernard poursuit cette comparaison et aboutit à mettre la Vierge sur la même ligne que Dieu.

Si l'on prenait ces paroles au pied de la lettre, elles seraient un vrai blasphème. Malgré l'exagération de la forme, la doctrine maintint la différence entre le Créateur et la créature, mais elle ne conduisit pas moins à une superstition monstrueuse. La Vierge est la Mère de Dieu, or une mère n'a-t-elle pas puissance sur son fils? Voilà Dieu qui est tout-puissant, sous la puissance de la Vierge! Telle était la croyance générale au moyen-âge, des théologiens aussi bien que des masses ignorantes. Nous citons quelques témoignages au hasard : « Quand une mère a un fils élevé en dignité, dit Geoffroy, abbé de Vendôme, elle lui adresse des prières, puisqu'il est seigneur;

(1) S. Bonaventura, Speculum Mariæ (Op, T. VI. p. 439).

(2) S. Anselme, Prière à la Vierge (Op., p. 281).

(3) Eadmer, De Excellentia B. Virginis, c. 11 (dans les œuvres de saint Anselme, p. 142).

(4) S. Bernardi Sermo II, die Pentecost. (cité par saint Bonaventure, T. VI, p. 443).

mais elle lui commande aussi, puisqu'il est son enfant. La plus sainte des mères obtiendra auprès de son fils, qu'aucun de ceux pour lesquels elle prie ne périra » ('). Guibert de Nogent est encore plus explicite « La sainte Vierge a auprès de Jésus-Christ la puissance qu'une mère a dans ce monde-ci sur son enfant. Une mère ne prie pas, elle ordonne. Comment donc Jésus-Christ n'écouterait-il pas sa mère?» (2) Les philosophes ne parlaient pas autrement: Les anges et les saints prient Dieu, dit Albert le Grand; la Vierge lui commande par son autorité maternelle, elle a empire sur Jésus-Christ » (3).

Si la Vierge commande à Dieu, il n'y a rien qu'elle ne puisse faire; sa puissance se confond avec celle du Tout-Puissant. Les hommes dont le nom est le plus illustre dans la théologie du moyenâge, célèbrent à l'envi la puissance de la Vierge. Saint Damien dit qu'elle est la « maîtresse du monde et la reine du paradis ; rien ne lui est impossible, parce qu'elle est la mère de Dieu; tout pouvoir lui a été donné et sur la terre et dans le ciel» ('). « La Vierge, dit saint Anselme, est plus puissante à elle seule que tous les anges et tous les saints réunis, parce qu'elle est la Mère du Sauveur, l'Épouse de Dieu, la Reine du ciel et de la terre et de tous les éléments » (5). Saint Bonaventure dit que Dieu a donné à la Vierge la domination éternelle sur toutes les créatures (6). Albert le Grand, dans son éloge de la sainte Vierge, a un chapitre sur la toute-puissance de Marie : « La Vierge, dit-il, fait ce qu'elle veut et personne ne peut lui dire pourquoi fais-tu cela? Elle arrache les damnés des mains de Satan; où est la justice? où est le droit? Qui pourrait le dire?... Elle est la reine du royaume dont Jésus-Christ est le roi; or, le roi et la reine jouissent des mêmes

(1) Goffridi Abbatis, Sermo VIII (Bibliotheca Maxima Patrum, T. XXI, p. 80).

(2) Guibert de Nogent, De laude B. Mariæ, c. 9 (Op., p. 301).

(3) Dominium. (Alberti Magni, De laudibus B. Mariæ, lib. III, § 14; lib. I, § 5).

(4) Damiani, Sermo 40 (Op., T. II, p. 91) et Sermo 45 (ib., p. 107).

(5) Anselmi Orat. ad Virgin. (Op., p. 277, 286).

(6) Bonaventura, Psalterium B. Virginis (Op., T. VI, p. 477).

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