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ment selon l'Écriture, sans licence aucune et en reconnaissant l'autorité, car l'Évangile leur enseignait « à être humbles et à obéir aux puissances en toutes choses convenables et chrétiennes » (1). Mais les prétentions des paysans dépassèrent bientôt ces sages limites; elles ne tendirent à rien moins qu'à une révolution sociale, impraticable au seizième siècle comme au dix-neuvième; voilà pourquoi l'insurrection échoua, et de même que toutes les révolutions qui dépassent les bornes du possible, elle aggrava la condition de ceux qui s'étaient soulevés contre leurs oppresseurs.

L'homme qui se mit à la tête du mouvement révolutionnaire, Thomas Müntzer, était socialiste bien plus que républicain. Il préchait l'égalité absolue, et il voulait la réaliser dans la vie civile, au besoin par la violence. Müntzer fondait la communauté sur la charité chrétienne et sur l'exemple des premiers disciples du Christ. Ainsi entendue, elle aurait dû être volontaire; si on l'impose par la force, dit Luther, elle n'est qu'un brigandage (3). Le socialisme du seizième siècle se compliquait d'un élément superstitieux tout aussi anarchique. Nous avons dit que la réforme remplaça l'autorité de l'Église par celle de l'Écriture; les nouveaux prophètes, sans rejeter l'Écriture, la subordonnèrent à une inspiration miraculeuse qui dispensait de toute étude et de tout travail intellectuel quand Dieu leur parlait directement, qu'était-il besoin d'une autre autorité? L'inspiration prophétique et le socialisme de Müntzer auraient conduit la société à une dissolution complète; il faut savoir gré à Luther d'avoir fait une guerre à mort à ces révolutionnaires de la pire espèce. Pendant que le réformateur était à la Wartbourg, les idées nouvelles avaient envahi Wittemberg: il quitta son asile, bien qu'il fût mis au ban de l'empire, bien qu'il n'eût aucun sauf-conduit; renonçant à toute protection de son prince, il accourut à Wittemberg et ramena les esprits à la modé

(1) Griefs des Paysans, dans Michelet, Mémoires de Luther, T. I, p. 94. (2) Melanchthons Historie Thomæ Muntzers (Luther, T. XIX, p. 294). Luther's Schrift wider die räuberischen und mörderischen Bauern (T. XIX, p. 265).

ration. Il n'y a pas dans la vie de Luther un acte plus héroïque et plus profitable à l'humanité : il sauva la réformation et la société de l'anarchie qui les menaçait (1).

Si l'on veut savoir à quels excès aurait conduit le socialisme religieux de Müntzer, on n'a qu'à suivre les Anabaptistes dans leur courte et sanglante carrière. Ils procèdent de l'Évangile, de même que le chef des paysans révoltés; comme lui ils nourrissent des espérances apocalyptiques; ils croient au prochain avénement du règne de Dieu sur la terre. Aveuglés par le fanatisme, ils passèrent bientôt de la rêverie à l'action; ils se disaient appelés, à l'exemple des Israélites, à extirper les infidèles : déjà les messagers de Dieu étaient sur la terre pour marquer ses élus du signe de l'alliance. Quel était donc ce règne de Dieu, renouvelé des millénaires juifs et chrétiens? La communauté des biens, la polygamie, le dédain de toute culture intellectuelle, l'inspiration prophétique, et pour couronner ce beau régime, le despotisme théocratique dans toute sa hideur: voilà la société modèle que les Anabaptistes inaugurèrent à Münster (3). C'était en tout le contre-pied des tendances de la réforme et de l'humanité. La réforme était la manifestation du droit de l'individu dans le domaine de la religion : l'égalité des Anabaptistes, poussée jusqu'à la communauté universelle, détruisait l'individualité humaine. La réforme était, sans le savoir, une aspiration vers la liberté politique la théocratie des Anabaptistes ne laissait plus subsister une ombre de liberté. Félicitons-nous de ce que de pareilles doctrines furent promptement réprimées. Nous ne répudions pas le dogme de l'égalité qui inspirait les sectaires du seizième siècle, nous répudions la conception qu'ils se faisaient de l'égalité; nous la répudions, parce qu'il nous est impossible d'admettre que l'idéal consiste à détruire ce qu'il y a d'individuel dans l'homme et dans les peuples: ce serait en définitive détruire l'œuvre de Dieu.

(1) Ranke, Deutsche Geschichte im Reformationszeitalter, II, 18, ss.

(2) Ranke, Deutsche Geschichte, T. III, p. 534, ss.

No 2. Droit de résistance et souveraineté du peuple.

Il y avait dans les mouvements démocratiques qui éclatèrent au seizième siècle des principes plus vrais que le socialisme religieux de Müntzer et des Anabaptistes. La révolte des paysans souleva la question du droit de résistance. Luther la décida contre les insurgés; l'Écriture à la main, il prouva que le droit des chrétiens consistait à souffrir l'injustice, sans opposition aucune. La même question se représenta dans des circonstances bien plus critiques ; il s'agissait de savoir, si les princes allemands pouvaient résister à l'empereur, pour la défense de leur foi. C'était une question de vie ou de mort si les protestants s'étaient décidés à ne pas résister, la réformation aurait succombé. Les princes consultèrent les théologiens. L'avis des réformateurs prouve combien ils étaient étrangers à toute idée de politique et de droit. Luther n'hésita pas plus dans ce moment solennel, qu'il n'avait hésité quand il fallut réprimer l'insurrection des paysans; il se prononça pour l'obéissance passive: «L'Ecriture, dit-il, fait un devoir aux chrétiens de souffrir l'injure; s'il leur est défendu de résister à celui qui leur fait violence, à plus forte raison doivent-ils rester soumis aux princes; car Jésus-Christ et les apôtres enseignent qu'il faut respecter l'autorité comme venant de Dieu. Permettre de résister aux pouvoirs constitués, sous quelque prétexte que ce soit, c'est détruire l'essence de l'autorité; c'est se révolter contre Dieu mème. Lorsque les princes oppriment les peuples, c'est Dien qui se sert d'eux en guise d'instruments pour punir les péchés des hommes: il faut donc accepter les mauvais rois comme l'on accepte les maladies. » Les légistes objectaient que les rois avaient des devoirs à remplir envers leurs sujets; que ces devoirs étaient confirmés par leur serment d'inauguration, que si les princes violaient leur serment, ils dégageaient les peuples de leurs devoirs. Luther répond : « Qui sera juge entre les rois et les peuples? Dieu seul, car il a dit: ne jugez point, la vengeance est à moi. La doctrine de la résistance, ajoute le réformateur, est une doctrine païenne; les Grecs et les Romains

l'ont pratiquée, mais l'Évangile n'a rien de commun avec le droit naturel »(1).

Les historiens modernes ont peine à cacher leur dédain pour les scrupules religieux de Luther (2). C'est ne pas voir ce qu'il y a de grand dans le héros du seizième siècle; il n'est pas un politique, un homme de calcul, mais un homme de foi; il ne craint pas l'empereur; quoique désarmé, il est plein de confiance dans le succès de sa cause, car sa cause est celle de Dieu (3). Cependant l'opinion de Luther ne pouvait prévaloir. Il y a dans les peuples une conscience générale qui l'emporte sur les subtilités des théologiens. L'instinct de la conservation conseillait la résistance; les légistes trouvèrent des raisons qui firent taire les scrupules des réformateurs. En Allemagne, le droit de résistance n'avait pas le caractère révolutionnaire qu'il a ailleurs il ne s'agissait pas de la révolte de sujets contre leur prince, mais d'un débat entre des princes souverains et leur chef électif; or les princes ne devaient pas une obéissance absolue à l'empereur; lui résister, quand il dépassait les limites de son pouvoir, était un droit constitutionnel (").

Il y a une secte à laquelle on attribue des opinions plus démocratiques qu'à Luther; cependant Calvin a sur le droit de résistance les mêmes sentiments que le réformateur allemand. Dans sa correspondance, il recommande à toute occasion la résignation chrétienne. On l'accusa d'avoir été l'instigateur de la conjuration d'Amboise; il se défendit vivement dans une lettre à l'amiral Coligny : Sept ou huit mois auparavant, dit-il, quelqu'un ayant charge de quelque nombre de gens, me demanda conseil s'il ne serait pas licite de résister à la tyrannie, dont les enfants de Dieu étaient

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(1) Luther, Schreiben an Churfürst Johannem zu Sachsen, die Gegenwehr belangend (T. XX, p. 290). — Von dem Papstthum zu Rom (T. XVII, p. 456). — Bedenken ob Kriegsleute in einem seeligen Stande sein können (T. XXII,

et 324b).

(2) Planck, par exemple, dans son Histoire de l'Église protestante.

p.

322

(3) Luther, Schreiben an Churfürst Johannem zu Sachsen (T. XX, p. 290). (4) Ranke, Deutsche Geschichte, T. III, p. 188, 189, 326, 327. Luther's Schreiben an einen Bürger von Nürnberg (T. XX, p. 545).

pour lors opprimés. Pour ce que je voyais que déjà plusieurs s'étaient abreuvés de cette opinion, après lui avoir donné une réponse absolue qu'il s'en fallait déporter, je m'efforçai de lui montrer qu'il n'y avait nul fondement selon Dieu... Cependant les lamentations étaient grandes de l'inhumanité qu'on exerçait pour abolir la religion; même que d'heure en heure on attendait une horrible boucherie pour exterminer tous les pauvres fidèles. Je répondis simplement à telles objections que s'il s'épendait une seule goutte de sang, les rivières en découleraient par toute l'Europe. Ainsi, qu'il valait mieux que nous périssions tous cent fois que d'être cause que le nom de chrétienté en l'Évangile fût exposé à un tel opprobre »(').

En France comme en Allemagne, la résistance l'emporta sur les conseils de résignation. Bossuet se prévaut de ces contradictions, pour accuser les réformateurs d'hypocrisie; après avoir rapporté les doctrines de Luther et de Calvin, il ajoute avec une amère ironie « Voilà des colombes et des brebis qui n'ont en partage que d'humbles gémissements et la patience: c'est le plus pur esprit de l'ancien christianisme. Mais il n'était pas possible qu'on soutint longtemps ce qu'on n'avait pas dans le cœur.» Bossuet conclut que la réforme n'est pas chrétienne, parce qu'elle n'a pas été fidèle à son prince et à sa patrie (3). Nous ne prendrons pas la peine de défendre les auteurs de la réformation, leur bonne foi est incontestable; si leurs conseils de patience et de résignation ne furent pas écoutés, l'on ne peut pas le leur imputer à crime. Il est plus difficile, disons mieux, il est impossible de laver le parti réformé du reproche d'inconséquence; au point de vue chrétien, Bossuet a mille fois raison contre les protestants. La doctrine de la non-résistance est essentiellement chrétienne, et elle ne souffre ni interprétation ni exception. Pourquoi donc les premiers chrétiens restèrentils soumis jusqu'au martyre, tandis que les protestants, tout aussi zélés dans leur foi, prirent les armes pour se défendre? C'est que

(1) Lettres de Calvin, éd. de Bonnet, T. II, p. 384.

(2) Bossuet, Ve Avertissement sur les lettres de M. Jurieu (T. V, p. 86).

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