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mauvais exemple s'il usait du droit du plus fort. La discussion continue encore quelque temps. Se voyant le plus faible, le diable propose de transiger: que l'on prenne en considération, dit-il, son antique domination, pour lui en laisser une partie, si pas à titre de droit, du moins par tolérance. Dieu consent et dit qu'il lui fera une part telle qu'elle satisferait la faim d'un avare. Sur cela Dieu se réserve les meilleures terres, les prairies, les vallées fertiles, peu en quantité, mais beaucoup en valeur; il laisse au diable les montagnes, les terres arides et désertes; puis il lui dit : « Pour que tu n'accuses pas la violence du juge, ni l'avarice du donateur, je te donne tout ce que tu vois. » Le diable, qui ne voit pas le lot de Dieu, est tout joyeux du sien. Dieu se moque de son aveuglement.» Bien que le diable ait été trompé, il reste vrai de dire que la plus grande partie du monde est à lui. Jésus-Christ ne l'a pas détrôné, il lui a laissé la souveraineté de l'immense majorité des hommes. En effet le diable est le chef des méchants : « Il en est le chef, dit Alexandre de Halès, parce qu'il est le premier et le plus grand des méchants, ensuite parce que par ses suggestions il entre en quelque sorte dans le corps des méchants, comme s'ils étaient ses membres (1). » Aussi Albert le Grand n'hésite-t-il pas à donner le nom de roi à Satan aussi bien qu'à Jésus-Christ: le diable, dit-il, est le roi des superbes, le Christ est le roi des humbles (2). A ce compte le diable l'emporte certes sur le Christ.

Même sous le rapport de la puissance, il y a peu de différence entre Dieu et le diable. La toute-puissance de Dieu se manifeste surtout par les miracles; les miracles ne pouvant être opérés que par le Créateur, le diable ne peut en faire. Mais tous les théologiens scolastiques enseignent qu'il peut faire des miracles apparents, et ils disent qu'il est impossible aux hommes de distinguer en cette matière l'apparence de la réalité. C'est la doctrine d'Alexandre de Halès et de saint Thomas (3). Saint Bonaventure explique comment les

(1) « Quia quodammodo per suggestionem in malos, sicut in sua propria membra fluit. » (Summa theologica, Pars II, Quæst. 98, membr. 6, art. 4.) (2) Sermo de Sacr. XXIX (Op., T. XII, p. 294).

(3) Alex. de Hales., Summa Theologica, Pars II, Quæst.100, membr. 2, art. 1. Sanct. Thomas., Summa Theolog., Pars. II, Quæst. 114, art. 4.

démons trompent nos sens : « Tantôt ils nous montrent comme existant ce qui n'existe pas, tantôt ils nous font voir ce qui existe sous d'autres formes, tantôt ils nous cachent ce qui existe. L'expérience de tous les jours le prouve, dit le saint docteur, et l'Écriture Sacrée ne laisse aucun doute sur ce point (1). » Albert le Grand s'occupe avec beaucoup de curiosité de ces prestiges; il cherche à se rendre raison du comment, et entre là-dessus dans des explications qui feraient sourire les naturalistes modernes : on y trouve par exemple que naturellement les cheveux de la femme, sous certaines influences, se changent en serpents (3). La puissance de Dieu se manifeste encore par le bien qu'il répand dans la création et le mal qu'il inflige aux méchants. Si le diable ne fait pas le bien, c'est lui qui est l'auteur du mal; il est en quelque sorte le ministre des vengeances divines; comme tel, il peut tout ce que Dieu peut. C'est encore l'Écriture Sainte qui est la source de cette doctrine superstitieuse. « Le livre de Job, dit Guillaume d'Auvergne, nous apprend que le diable a le pouvoir de nous envoyer des maladies; il a donc puissance sur notre nature, il a même puissance sur la nature extérieure, puisque le feu du ciel est descendu sur les troupeaux de Job et sur ses esclaves (5). » Voyons le diable à l'œuvre; si nous en croyons les théologiens catholiques, il influe sur la destinée des hommes autant et même plus que Dieu.

II. Mission du diable.

Prenant appui sur l'Écriture, saint Thomas enseigne que les démons sont dans ce monde, jusqu'au jugement dernier, pour exercer les hommes; ils nous tentent sans cesse, pour nous précipiter dans le mal; on peut donc dire que le propre office du diable est de nous tenter (). L'on pourrait croire que les tentations du diable qui remplissent les vies des saints, sont une allégorie des passions humaines; il n'en est rien. Les docteurs du moyen-âge

(1) Sanct. Bonaventura, in libr. II Sentent. (Op., T. IV, p. 141.)
(2) Albertus Magnus, in libr. Sentent. (Op., T. XV, p. 84-88)
(3) De Universo, p. 1040.

(4) Summa theolog., Pars. I, Quæst. 111, art. 2; Quæst. 64, art. 4.

distinguent entre les tentations naturelles de la chair et celles du démon. Ne suffirait-il pas, dit saint Thomas, que l'homme eût à combattre la concupiscence de la nature? à quoi bon donc les tentations du diable? L'Ange de l'Ecole répond que les tentations naturelles suffiraient en effet pour nous exercer, mais qu'elles ne suffisent pas à la méchanceté du diable ('). Il y a donc des êtres malfaisants de leur essence, dont l'unique mission est de faire le mal, soit pour exercer les hommes, soit aussi pour les punir; c'est en ce sens que le fameux auteur du Marteau des Sorcières dit : «Dieu se sert des démons, comme de bourreaux, pour infliger aux coupables les maux qui sont dus à leurs péchés » (2).

Comment les démons remplissent-ils leur affreuse mission? Les Évangiles nous le disent; ils sont remplis d'histoires de possédés, et l'exorcisme pratiqué par Jésus-Christ, est entré, comme un élément essentiel, dans le principal sacrement de l'Église, le baptême, sans lequel il n'y a pas de salut. Au moyen-âge, les possessions et les exorcismes jouèrent un grand rôle. Personne ne doutait que les démons n'entrassent dans le corps des hommes et même des animaux : l'Évangile l'atteste, dit Guillaume d'Auvergne, et celui qui veut s'en convaincre, peut voir tous les jours nos exorcistes lier et chasser des esprits malins (3). Les écrivains les plus graves racontent des histoires de possédés tellement ridicules, que nous avons honte de les rapporter; mais il faut s'attendre en cette matière à un mélange perpétuel de niaiserie et d'horreur. Écoutons Pierre Duranti, le célèbre Spéculateur: «L'on ne doit rien manger le jour de Pâques, dit-il, qui n'ait été béni, parce que l'ennemi des hommes cherche alors plus que jamais à nous faire tomber. J'ai vu à Bologne une jeune fille tourmentée pendant trois ans par deux esprits immondes qui, interrogés enfin par un habile exorciste comment ils étaient entrés dans le corps de cette femme, répondirent qu'ils se trou

(4) Summa, P. I, Quæst. 114, art. 1. Telle est aussi la doctrine d'Alex. de Halès (Summa theol., Pars II, Quæst. 101, membr. 7, art. 4). (2) Malleus Maleficarum, Pars II, Quæst. 1, c. 14. (3) « Per probationes irrefragabiles, quia experimento visus multorum certissimum... Frequentissimum et creberrimum, experiri volentibus, hujusmodi spiritus ligari, absterreri et diffugari per exorcistas... » (De Universo, p. 1027).

vaient dans une grenade qu'elle avait mangée le jour de Pâques » ('). Après ce conte bleu, l'on nous permettra bien une question: comment se fait-il que les esprits immondes ont perdu le goût des grenades au dix-neuvième siècle? Tout change donc, même le diable. Les théologiens scolastiques, si curieux d'approfondir les mystères du christianisme, n'ont pas manqué de scruter le mystère diabolique de la possession « D'après l'opinion commune, dit : Guillaume d'Auvergne, les malins esprits entrent dans les hommes et en sortent; il y a toutefois des docteurs qui pensent que les démons n'entrent pas dans nos corps, qu'ils les tiennent seulement assiégés. » En examinant les conditions de ce siége, le savant évêque rencontre de grandes difficultés. A quelle distance les démons peuvent-ils assiéger les hommes?« La philosophie, répond notre évêque, n'a pas encore résolu ce problème, parce qu'elle ne connaît pas suffisamment la nature et la malice des démons: Aristote pousse même l'erreur jusqu'à nier leur existence »(2). Albert le (Grand ne partage pas les incertitudes de Guillaume d'Auvergne; il n'hésite pas à dire que les démons entrent dans les corps des 'hommes; il se fonde sur les nombreux passages de l'Évangile, où il est dit que Jésus-Christ chasse les démons du corps des possédés; ce qui prouve que les démons y sont en substance ("). Voilà la plus horrible et la plus absurde des superstitions mise sous l'autorité de la Révélation! Il ne manque plus que de faire intervenir Dieu dans l'office du diable. Ce point ne pouvait pas souffrir de doute, car une fois la possession admise comme constante, elle devait être rapportée à Dieu : saint Bonaventure dit que Dieu permet aux démons d'entrer dans les corps des hommes, pour sa plus grande gloire! (*)

Cependant malgré la fréquence des exorcismes, les possessions n'étaient qu'un fait exceptionnel, tandis que l'action des démons était journalière. On pourrait écrire une histoire des faits et gestes du

(1) P. Duranti, Rationale divinorum officiorum, lib. VI, c. 86, no 8.

(2) Guilielmi Arverni, de Universo, p. 1042, 883.

(3) Albertus Magnus, Summa theologica, Pars II, Quæst. 29 (Op., T. II, p. 474). (4) « Ad gloriæ suæ extensionem » (Bonaventura, in Libr. II Sentent. Op., T. IV, 2e partie, p. 109).

diable au moyen-âge; elle serait aussi volumineuse que les vies des saints. Pour mieux dire l'existence des saints, comme celle de tout fidèle, n'était autre chose qu'une lutte permanente avec le diable. Les embùches et les ruses des démons faisaient l'objet d'une étude sérieuse; c'était la grande préoccupation de ceux qui fuyaient le monde pour travailler à leur salut. Il nous reste un ouvrage sur la démonologie, écrit par un moine du treizième siècle ('). Le but de l'auteur est de faciliter aux hommes l'œuvre de leur salut : « C'est une chose affligeante, dit-il, que nous ne connaissons rien ou si peu de chose des pratiques de nos ennemis invisibles. Je veux donc publier les révélations d'un saint abbé qui a passé sa vie à observer les démons, qui les a vus et entendus, qui connaissait toutes leurs machinations. » Nous demandons pardon à l'abbé Richalme de Schoenthal, si, en rapportant ce qu'il appelle ses révélations, un rire involontaire nous échappe parfois; ce n'est pas lui qui est le coupable, il n'est que l'organe des sentiments généraux de son temps:

« On croit généralement, dit-il, que chaque homme n'a qu'un démon pour le tourmenter, de même qu'il n'a qu'un ange gardien pour le protéger. Erreur profonde. Imaginez-vous que vous êtes plongé dans les eaux jusque par dessus la tête; vous avez l'eau sur vous, en dessous de vous, à droite, à gauche: voilà l'image des esprits malfaisants qui nous entourent de tous côtés et nous obsèdent. Ils sont innombrables comme les atomes qui se jouent au soleil, et plus innombrables encore; l'air n'est autre chose qu'une nuée de démons » (2). Ces myriades de démons supposent une intervention active, incessante des esprits malins dans l'existence humaine; en effet, si nous en croyons notre abbé, tout dans la vie est l'œuvre du diable : « L'homme ne pense, ne parle, ne fait rien, sans que les démons le tentent. Ils nous sont attachés au point qu'ils s'identifient presque avec nous; leur corps s'étend sur

(1) Beati Richalmi, Speciosa Vallis in Franconia abbatis, liber revelationum de insidiis et versutiis dæmonum adversus homines (Pez, Thesaurus Anecdotorum, T. I, P. 2, p. 375, ss).

(2) « Totus aër non est nisi spissitudo eorum » (Pez, I, 2, p. 410. Cf. p. 385, 396).

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