Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

interprète et supplée l'Écriture sans imposer ses décisions; l'individu reste libre de ne pas s'y soumettre, mais il s'y soumet involontairement, en ce sens que la conscience générale n'est autre chose que la voix de Dieu dans l'humanité.

N° 2. Appréciation du dogme protestant.

Nous avons dit ailleurs quelle fut la nécessité historique de l'Église (1). Les protestants eux-mêmes avouent aujourd'hui qu'une Église intérieure, invisible était une utopie dans les circonstances au milieu desquelles le christianisme s'est développé. L'unité était une condition de vie et d'avenir pour la religion chrétienne, or l'unité purement spirituelle était une chimère. Il fallait un corps à l'Église de là l'aristocratie épiscopale et plus tard la papauté. Les évêques et les papes firent remonter leur droit à Dieu. C'était un puissant moyen d'influence; mais pour agir sur les Barbares il a fallu à l'Église plus qu'une autorité divine, il lui a fallu la force que donne le pouvoir. C'est au moyen-âge que l'Église prend ce caractère extérieur qui a tant révolté les réformateurs du seizième siècle; ils ne voyaient pas dans l'ardeur de la lutte que la rude discipline de la papauté avait été nécessaire pour dompter les Barbares. La nécessité providentielle de l'Église implique-t-elle sa légitimité et sa divinité? Elle implique au contraire que son empire n'était que passager. On conçoit que l'enfant soit soumis à une règle disciplinaire, mais maintenir cette règle pour l'homme fait, c'est vouloir perpétuer l'enfance. C'est encore aller contre le but de l'Église; en effet sa domination ne se justifie qu'en tant qu'elle est nécessaire pour moraliser les hommes; or il n'y a pas de vraie moralité là où il n'y a pas de liberté; et l'Église détruit la liberté, puisque l'individu ne reçoit la vérité et ne participe au salut que par son intermédiaire; la domination de l'Église est donc en contradiction avec le principe de son institution. En détruisant l'Église, les réformateurs ont inauguré l'ère de la vraie religion et de la vraie moralité.

(1) Voyez le T. V de mes Etudes.

Les protestants disent que l'idée de l'Église est un débris de l'institution des castes. Cela est vrai en un sens, mais l'on peut dire aussi que l'Église n'est plus une caste, puisque l'accès en est ouvert à tous et que par le célibat elle échappe à l'hérédité. L'Église ressemble plutôt à l'État tel que les anciens le concevaient. Dans l'antiquité l'État absorbait l'individu, l'homme n'était quelque chose que comme citoyen; hors de la cité il était étranger, c'est-à-dire hors la loi. L'Église aussi absorbe l'individu; l'homme hors de l'Église n'est plus un croyant, il est hors la loi, il ne peut plus faire son salut, il est damné. Par cela même que l'Église reproduit la conception antique de l'État, elle est en opposition avec un principe essentiel de l'humanité moderne. L'individualisme, apporté au monde par les Germains, a fini par dominer dans la société politique; sous son influence, le droit de l'individu a été reconnu en face du droit de l'État. Dans le domaine de la religion, la race germanique commença par subir l'empire de l'Église; mais l'individualisme devait prévaloir dans la religion aussi bien que dans la politique. L'homme a même droit à plus d'indépendance comme fidèle que comme citoyen; comme citoyen, il doit se soumettre à la loi, il est subordonné à l'État; comme fidèle, il ne peut pas recevoir de loi proprement dite, car les rapports de l'homme avec Dieu échappent à toute autorité de coaction. Si aujourd'hui l'État luimême n'a plus sur le citoyen le pouvoir absolu qu'il avait dans l'antiquité, s'il est obligé de reconnaître à l'individu des droits sur lesquels il n'a aucune prise, comment l'Église, qui n'a pas de pouvoir véritable, conserverait-elle sa domination sur les fidèles? Il appartenait à la race qui a introduit l'indépendance individuelle dans le monde politique, de rendre aussi au croyant la liberté que l'Église avait confisquée à son profit. Voilà pourquoi la réformation est née en Allemagne. Qu'est-ce donc que l'Église? Elle ne peut plus être un pouvoir, parce que tout ce qui est pouvoir proprement dit entre dans les attributions de l'Etat. L'Église n'est plus qu'une association des croyants.

Si le protestantisme a affranchi l'homme de l'esclavage de l'Église, il lui a mis de nouvelles chaînes, en remplaçant le despotisme du sacerdoce par celui de l'Écriture. La raison et la liberté de la pen

sée paraissent peu gagner au change, si toutefois il y a profit. Une autorité vivante ne vaut-elle pas mieux qu'une autorité morte? A première vue l'on dirait que l'homme marche et avance avec les progrès de la société, tandis que la lettre, restant toujours la même, semble un obstacle au développement de la vie. Mais le fait prouve contre l'apparence. L'Église catholique s'est immobilisée, parce qu'elle a intérêt à passer pour immuable à titre de pouvoir divin. Au contraire le protestantisme est progressif, malgré l'immobilité de la lettre écrite. Le progrès est dans la destruction d'une puissance à laquelle les fidèles ne pouvaient opposer leur raison individuelle, tandis que l'interprétation de l'Écriture est abandonnée à la raison de l'individu. En réalité le danger qui naît du principe de la réforme n'est pas dans la tyrannie, il est plutôt dans l'anarchie qui paraît être la conséquence nécessaire de l'individualisme protestant. L'unité est un besoin de la nature aussi bien que l'indépendance individuelle; c'est la religion qui donne satisfaction à ce besoin. Cependant le protestantisme fait de chaque individu comme un Dieu isolé dans sa science et se satisfaisant lui-même : que devient alors la vie commune? Telle est la question qu'un théologien du dix-neuvième siècle adresse à ses frères séparés ('). La question n'est embarrassante qu'en théorie; les protestants répondent à leur adversaire : « Dire que le protestantisme détruit la communion des esprits, c'est nier la lumière du jour; trois cents ans d'existence prouvent qu'il y a vie commune au sein de la réforme, bien que chacun soit abandonné à sa liberté individuelle. » La contradiction entre la théorie et le fait s'explique facilement la vérité a la puissance de rallier les intelligences, sans qu'il faille la coaction d'une autorité extérieure. Lumière de l'âme, la vérité pénètre partout et illumine tous les esprits (2).

:

Les catholiques font un reproche plus grave à l'individualisme protestant; écoutons Bossuet : « Il ne reste sur la terre aucune autorité vivante et parlante, capable de déterminer le vrai sens de l'Écriture, ni de fixer les esprits sur les dogmes qui composent le

(1) Moehler, Symbolik, p. 383.

(2) Baur, Der Gegensatz des Katholicismus, p. 331-333.

christianisme. Par ce moyen, il est visible que les articles de foi s'en iront les uns après les autres; les esprits une fois émus et abandonnés à eux-mêmes, ne pourront plus se donner de bornes; ainsi l'indifférence des religions sera le malheureux fruit des disputes qu'on excite dans toute la chrétienté, et enfin le terme fatal où aboutira la réforme »('). L'accusation a été reproduite au dixneuvième siècle : « En rejetant l'Église, dit Moehler, pour s'en tenir à l'inspiration intérieure, il faut, si l'on veut être logique, nier la nécessité d'une révélation extérieure, d'un christianisme historique » (2). Ces imputations gagnent une force accablante, en présence du mouvement rationaliste qui envahit les sectes protestantes. Nous croyons que Bossuet et Moehler ont raison. Oui, en sortant de l'Église, les protestants ont en même temps fait le premier pas hors du christianisme traditionnel; ils ont abandonné forcément la doctrine d'une révélation miraculeuse pour aboutir à la croyance d'une révélation par l'humanité, permanente et progressive. En vain les plus avancés s'attachent-ils encore à l'Écriture comme parole révélée; l'immutabilité de la révélation, ce que les catholiques appellent la vérité absolue, est impossible dès que la raison individuelle est reconnue comme organe d'interprétation. Vainement les protestants prétendent-ils que l'Écriture est aussi immuable que la tradition catholique, vainement disent-ils que leur doctrine est moins sujette à erreur que la doctrine orthodoxe, puisque l'orthodoxie repose sur une tradition humaine, tandis que la réforme se fonde sur la parole de Dieu. Nous leur demandons avec Bossuet qui interprète cette parole immuable? C'est la raison. Or la raison n'est-elle pas essentiellement perfectible? Et si l'organe qui nous fait connaître la parole de Dieu se perfectionne sans cesse, comment veut-on que la parole divine reste la même ? Une révélation interprétée par une raison progressive est une révélation progressive. Est-il nécessaire d'insister? n'est-ce pas un fait évident que les protestants ne croient plus aujourd'hui ce qu'ils croyaient au seizième siècle? Cependant, la lettre de l'Écriture est toujours

(1) Bossuet, État présent des controverses (T. XI, p. 349). (2) Mochler, Symbolik.

la même; mais la conscience générale a changé, et c'est cette conscience générale que nous appelons la révélation de Dieu dans l'humanité.

Ceci répond à l'objection que les protestants et les catholiques font au dogme d'une religion progressive: ils disent qu'une religion positive est impossible dès que l'on s'écarte, soit de l'Écriture révélée, soit de la tradition de l'Église. En repoussant l'autorité de l'Écriture et celle de l'Église, nous ne repoussons pas l'autorité de la tradition; mais la tradition doit se modifier, comme toute manifestation de l'esprit humain. Les catholiques l'invoquent pour prouver que la doctrine de l'Église a toujours été la même ; pour eux la tradition se confond avec la révélation. Cette notion de la tradition est fausse, car elle est en opposition avec les lois qui régissent la vie. La tradition est la conscience vivante d'une société quelconque; à un point de vue général, c'est la conscience de l'humanité sur les grandes questions qui l'intéressent or l'humanité vivant, marchant, progressant, la conscience de l'humanité doit aussi être une conscience progressive; elle ne peut plus être au dix-neuvième siècle ce qu'elle était au moyen-âge; de fait, elle n'est plus la même, quoiqu'en disent les catholiques. La véritable tradition, au lieu de prouver l'immobilité, prouve donc le progrès. Cette tradition vivante et progressive empêche-t-elle qu'il y ait une croyance sur Dieu et sur la destinée de l'homme? Nous ne le croyons pas.

La tradition est dans l'ordre religieux ce que la coutume est dans l'ordre civil. Expression d'une face de la vie, le droit se manifeste par des usages ou par des lois. Le droit sous la forme coutumière vit dans la conscience générale; par cela seul qu'il n'est pas fixé dans des formules, il participe de la mobilité de la vie, il varie avec l'état social. Ces variations incessantes n'empêchent pas que le droit n'existe, et qu'il ne soit considéré à chaque âge de l'humanité comme la raison écrite. Il en est de même de la tradition: c'est la vie religieuse de l'humanité. Elle varie également avec les besoins et avec la culture morale et intellectuelle des peuples; ces variations n'empêchent pas qu'à chaque âge il n'y ait une foi reçue par la conscience générale et considérée comme l'expression de la vérité. La croyance religieuse, ainsi entendue, conserve une grande auto

[ocr errors]
« ZurückWeiter »