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dit saint Bonaventure, est toujours présent, mais les hommes ne le voient pas à cause de l'aveuglement de leur intelligence; relégués dans l'exil de cette terre, loin de la face de Dieu, ils ne peuvent pas avoir d'accès auprès de lui. Les anges, par la clarté de leur lumière, la perfection de leur béatitude, voient Dieu face à face; ils sont toujours en sa présence, comme les ministres dans le cabinet des rois; ils prient pour les hommes et leur transmettent les ordres de Dieu. Objectera-t-on que Dieu, pouvant tout faire par lui-même, le ministère des anges devient inutile? Les princes aussi pourraient faire beaucoup de choses par eux-mêmes, cependant ils les font faire par un envoyé, un serviteur; Dieu agit de même, afin de maintenir un ordre convenable dans les fonctions (1).» Suivons un instant les anges dans le gouvernement de la terre et des choses humaines; nous retrouverons à chaque pas des superstitions païennes sous des noms chrétiens.

Les païens adoraient aussi un Dieu suprême, mais ils croyaient que Dieu avait préposé au gouvernement de chaque nation une divinité inférieure qui fût en harmonie avec le génie particulier des diverses races. Un des théologiens les plus accrédités du moyen-âge, Guillaume d'Auvergne (2) en dit autant du ministère des anges « Il faut croire sans aucun doute et sans hésitation aucune, d'après le témoignage des prophètes et des saints, que chaque nation a son ange qui la gouverne. Les Juifs avaient pour protecteur l'archange Michel; depuis qu'ils ont crucifié le Fils de Dieu, l'archange est devenu le prince des chrétiens (5). » Mais comment un seul ange gouvernera-t-il un grand royaume comme l'empire des Perses? demande l'évêque de Paris; peut-il être partout au moment où sa présence est nécessaire? Il est probable, répond Guillaume d'Auvergne, que l'empereur universel donne aux anges placés à la tête des divers royaumes une multitude

(1) Sanct. Bonaventura, Sermo de Sanctis (Op., T. III, p. 285); in Lib. Sententiar. (Op., T. IV, P. II, p. 430).

(2) Guillaume d'Auvergne tient un rang distingué parmi les scolastiques. De Gerando (Histoire de la philosophie, T. IV, p. 469) dit que dans ses opinions théologiques, il resta toujours fidèle aux traditions de l'Église.

(3) De Universo, dans ses œuvres, T. 1, p. 4037.

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d'anges subordonnés, et que c'est par leur ministère qu'ils expédient la plupart des affaires (1). » Voilà les divinités locales des païens; il ne manque, pour compléter le paganisme, que des génies individuels les anges gardiens en tiennent lieu. Albert-le-Grand nous dit pourquoi Dieu a donné un ange à chaque homme : « C'est à cause des périls incessants qui nous entourent dans notre voyage terrestre, dangers dont nous ne pourrions pas nous garder sans le secours des anges (3). » Quels sont ces périls? Guillaume d'Auvergne va nous l'expliquer : « Les anges gardiens nous défendent contre tout ce qui pourrait nous nuire d'abord et avant tout contre les esprits malins; ils les écartent de nous, ils les chassent, parfois ils les enchaînent, comme l'attestent d'innombrables miracles. Ensuite ils nous protègent contre les hommes qui nous font du mal, ils nous gardent contre les bêtes féroces, ils nous mettent à l'abri de la fureur des éléments. Enfin les anges portent nos prières devant Dieu. Est-ce à dire qu'ils se bornent à répéter ce que nous disons? Cela serait ridicule, car Dieu n'a pas besoin d'eux pour entendre nos paroles. Les anges y ajoutent donc quelque chose; nos prières sont mieux écoutées, étant présentées par eux, de même que les princes écoutent plus favorablement une demande quand elle leur est faite par un favori. C'est par amour pour eux que Dieu nous accorde ce que nous désirons; IL Nous accorde, en leur considéraTION, CE QUE NOUS NE MÉRITONS PAS NOUS-MÊMES (5). » Qu'on ne croie pas que cette doctrine superstitieuse soit due aux hallucinations du savant évêque de Paris; Guillaume d'Auvergne ne fait point un pas, ne dit point un mot, sans s'appuyer sur l'Écriture Sainte et sur le témoignage des prophètes, auxquels, dit-il, Dieu a révélé la vérité. Voilà donc le polythéisme chrétien autorisé par la révélation!

A ces reproches, l'on répond que les catholiques n'adorent qu'un seul Dieu, tandis que les païens portaient aux divinités inférieures le même culte qu'à leur Dieu suprême. Nous n'entendons pas

(1) De Universo (Op., T. I, p. 939).

(2) Albertus Magnus, Summa theologica, Pars II, Quæst. 36, membr. 1. (Op., T. XVIII, p. 214.)

(3) De Universo (T. I, p. 4006, s3.).

reproduire les accusations des protestants, et placer le catholicisme au niveau du paganisme; nous disons seulement qu'il y a dans le christianisme un élément superstitieux, que ce germe se développa sous l'influence de l'ignorance et de la barbarie, et produisit des superstitions qui ne différaient guère de celles des païens. Telle est la croyance des anges. Tout chrétien doit croire à l'existence de ces êtres supérieurs, il doit voir en eux les ministres de Dieu : voilà la porte ouverte à l'erreur, et cela par l'Écriture Sainte, par la révélation. Les ministres se transforment facilement en maîtres, et l'on préfère s'adresser à ceux dont on attend un accueil favorable. Quand les théologiens enseignaient que Dieu accordait à l'intercession des anges ce qu'il refusait aux prières des hommes, faut-il s'étonner si les hommes s'adressaient aux anges plutôt qu'à Dieu? Des saints mêmes se laissèrent aller à cette conception idolâtrique; nous avons une prière de saint Anselme, dans laquelle l'illustre docteur invoque directement la Vierge et les anges, tandis qu'il demande seulement l'appui des saints auprès de Dieu (1). Si un saint Anselme touchait à l'idolâtrie, que devait être le culte du commun des fidèles ?

No 2. Satan et les Démons.

I. Satan prince du monde.

L'on pourrait soutenir qu'il y a progrès même dans la voie ténébreuse des superstitions; nous croyons sincèrement que les fables chrétiennes, dans leur ensemble, sont plus spiritualistes et aussi plus bienfaisantes que l'idolâtrie païenne. Cependant nous n'oserions pas affirmer qu'il y a progrès en tout. Ce serait faire injure au génie poétique de la Grèce que de comparer à ses riantes fictions la sombre démonologie du christianisme; il faut remonter jusqu'à l'Orient pour trouver le type de cette laide création. Le spectacle du mal a toujours préoccupé les hommes, mais il y a des

(4) S. Anselmi Orat. 36 (Op., p. 270). En s'adressant aux anges, il les prie de le défendre contre le démon : « Sancte Michaël, defende me ab hoste maligno in hora mortis meæ, etc. » La demande est directe. En s'adressant aux saints, il demande seulement leur intercession : « Poscite mihi a Deo indulgentiam, etc. »

races qui l'acceptent sans essayer d'en approfondir la cause; tels furent les Grecs: la fatalité était pour eux une explication satisfaisante du problème. Il n'en est pas de même des religions qui veulent pénétrer l'origine du mal; ne pouvant le placer en Dieu, et ne comprenant pas comment l'homme en serait le principe, elles créent un être auquel elles imputent tout ce qui se fait de mal dans le monde. De là le manichéisme; l'Église le réprouva, mais elle retint le dogme des anges déchus : c'était conserver un germe fécond d'affreuses erreurs.

Tout chrétien doit croire à la réalité de ces êtres malfaisants, qui, après avoir fait la terreur de nos pères, n'effraient plus aujourd'hui que les enfants ou les hommes qui, par leur développement intellectuel, sont au niveau de l'enfance. « Ce serait se donner une peine inutile, dit Bossuet, que de vouloir prouver par le témoignage des Saintes Lettres qu'il y a des démons; c'est une vérité reconnue et qui nous est attestée dans toutes les pages du Nouveau-Testament (1). » Cependant la conscience moderne repousse cette horrible croyance; comment admettre qu'une religion soit révélée, quand elle enseigne des erreurs auxquelles les enfants refuseront bientôt d'ajouter foi? On a essayé une interprétation allégorique des passages de l'Écriture Sainte qui concernent les démons. L'auteur du Monde Enchanté (2) soutient que Jésus-Christ en parlant de l'action malfaisante des démons, s'est accommodé au langage populaire, sans faire de cette influence un article de foi. Publié à la fin du dix-septième siècle, l'ouvrage de Bekker eut un succès immense la lumière de la civilisation commençait à dissiper les ténèbres du royaume de Satan. Cependant les démons trouvèrent des défenseurs innombrables, et, il faut le dire, l'orthodoxie était de leur côté (3). Ils avaient raison de combattre des explications allégoriques qui ne servaient qu'à mettre à nu l'embarras du christianisme et à compromettre la foi. En dépit du bon sens, la doctrine chrétienne doit maintenir la croyance aux

(4) Bossuet, Sermon sur les démons (OEuvres, T. V, p. 445).

(2) Balthasar Bekker. L'ouvrage parut en 1690.

(3) Meiners, Vergleichung der Sitten, T. III, p. 451–454.

démons, ou il faut qu'elle abdique sa prétention d'être la vérité absolue: si Satan est un être imaginaire, Jésus-Christ ne peut être Fils de Dieu.

Nous avons dit qu'au moyen-âge, le diable partageait l'empire des âmes avec Jésus-Christ; cela est vrai à la lettre, et ceci n'est pas une superstition populaire, c'est une croyance partagée par les plus grands esprits. Satan, dit saint Grégoire, fut maître absolu du monde jusqu'à la venue du Christ (1). C'est lui qui tenta le premier homme, « et le monarque du monde étant surmonté par ce superbe vainqueur, tout le monde passa sous ses lois. Il abolit la connaissance de Dieu, et par toute l'étendue de la terre il se fit adorer en sa place, suivant ce que dit le prophète : Les dieux des nations, ce sont les démons. C'est pourquoi le Fils de Dieu l'appelle le prince de ce monde (2), et l'apôtre, le gouverneur des ténèbres, et ailleurs avec plus d'énergie le dieu de ce siècle (3). » Jésus-Christ ne le dépouilla pas de sa souveraineté, il la partagea avec lui; un des théologiens les plus éminents du douzième siècle nous dira comment se fit ce singulier partage :

Quand Jésus-Christ, dit Hugues de Saint Victor (4), prit la forme d'esclave pour racheter les hommes, il trouva le diable maître des nations. Le monde était sous un rapport tout à Dieu, parce que lui l'a créé; sous un autre rapport il était au diable qui le possédait dès le principe. De là un débat entre Dieu et le diable. Dieu demande que le diable lui restitue ce qui lui appartient; le diable invoque la prescription. A cela Dieu objecte que le diable a enlevé le bien d'autrui par fraude et qu'il le retient par violence; le diable répond que Dieu l'a laissé faire, et qu'il n'a jamais répété ce qui lui a été enlevé. Dieu semble reconnaître la force juridique de ces arguments; il est réduit à faire appel à sa toute-puissance; mais le diable, en habile légiste, insinue que Dieu donnerait un

(4) Gregorius Magnus, Moral., I, 2, 22: « Omnes post se gentium nationes traxit. »

(2) Psaumes, XCV, 15.

(3) Saint Paul, Ephés., VI, 12; 2 Corinth., IV, 4. Bossuet, Sermon sur les démons (T. V, p. 450-452).

(4) Hugon. a Sancto Victore, Annotat. in Psalmos, c. 12.

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