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qui naîtra d'elle sera appelé le Fils de Dieu (1). » C'est un ange qui apparaît à Joseph dans son sommeil et lui dit que Marie son épouse porte en elle un fruit du Saint Esprit. Enfin c'est un ange qui informe les pasteurs qu'il leur est né un Sauveur qui est le Christ, et au même instant une troupe de la milice céleste chante les louanges de Dieu (*).

Les protestants font un grief aux catholiques du culte qu'ils rendent à la Vierge et aux saints. Ils ne réfléchissent pas que la glorification de la Vierge est une conséquence logique de l'Incarnation; si réellement une femme est la Mère de Dieu, comment ne pas l'exalter au-dessus de toutes les créatures? Quant aux saints, n'ont-ils pas leur type dans des personnages évangéliques, saint Jean-Baptiste et les apôtres? Les protestants sont plus réservés, et pour cause, sur une erreur beaucoup plus grossière et bien plus malfaisante. Au moyen-âge, le diable partage l'empire du monde avec Jésus-Christ: pourquoi les protestants se taisentils sur une superstition qui conduit logiquement à la croyance des possessions et de la sorcellerie? C'est qu'ici l'Évangile est tellement explicite, qu'il n'y a pas moyen d'accuser le catholicisme sans accuser le Sauveur lui-même. Où est-il dit que Satan est le prince de ce monde? Dans l'Évangile, selon lequel le Diable osa tenter le Fils de Dieu en lui disant : « Je te donnerai toute la puissance et toute la gloire de ces royaumes, car ils m'ont été livrés et je les donne à qui je veux » (3). Où est-il dit que les démons entrent dans le corps des hommes et même des bêtes? Dans l'Évangile, qui contient à chaque page des histoires de possédés ("). C'est par l'empire que le Christ exerce sur les esprits immondes que sa doctrine se répand. Les spectateurs de ces exorcismes, disent les Évangélistes, saisis d'étonnement, se demandaient entre eux : « Qu'est ceci? quelle est cette doctrine nouvelle? car il commande avec puissance même aux esprits immondes et ils

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(4) Saint Matthieu, IV, 24; VIII, 16, 27-32. Saint Marc, V, 2-46; IX, 16-28. – Saint Luc, VIII, 27–33; IX, 37–44.

lui obéissent (1). » Jésus-Christ passe sa vie à chasser les démons et il donne à ses disciples la même puissance (2). Il est si vrai que toutes ces superstitions sont de l'essence du christianisme, que les réformateurs n'osèrent pas les répudier; que dis-je? Luther renchérit sur la crédulité des catholiques. Les protestants refusèrent de croire aux saints, mais la raison n'y gagna pas beaucoup, car, dit un philosophe allemand, ils remplacèrent les saints par les démons (3). Faut-il parler des miracles auxquels les protestants, même les plus avancés, sont obligés de croire, s'ils veulent rester chrétiens? Faut-il parler de la croyance à la fin du monde qui a eu tant d'influence sur le christianisme primitif, qui a épouvanté le moyen-âge, et qui depuis lors semble être passée dans le camp de la réforme ?

Ainsi ce n'est pas le catholicisme qui a inventé les superstitions que l'on est en droit de lui reprocher; elles remontent à l'Évangile, à l'auteur même de la religion chrétienne. Ces superstitions justifient le mouvement antichrétien qui se produit au moyen-âge; car, pour s'affranchir des croyances qui déshonorent l'esprit humain, il fallait rejeter la religion qui les autorise; elles justifient la réforme en tant qu'elle est un pas hors du christianisme traditionnel. Voilà pourquoi nous insistons sur le catholicisme du moyen-âge. Il n'y a pas d'étude plus utile aux progrès de l'humanité; elle prouve qu'une religion qui se dit révélée, est entachée d'erreurs grossières; donc la révélation est une chimère, et la religion subit la condition de toutes les choses humaines. Que si les catholiques répudient l'héritage superstitieux du passé, il faut qu'ils renoncent en même temps à leur orgueilleuse prétention d'immutabilité, et qu'ils admettent le dogme du progrès dans le domaine religieux; mais alors encore le christianisme cesse d'être une religion révélée, pour devenir une religion progressive.

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(2) Saint Marc, I, 39; III, 45. Saint Matthieu, X, 1.

Saint Luc, IX, 4.

(3) Meiners, Vergleichung der Sitten des Mittelalters, T. III, p. 325.

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La théologie chrétienne repose sur la notion de la Trinité. La Trinité est un mystère; cependant on a essayé de l'expliquer, et on lui a trouvé un sens philosophique. Nous avons dit ailleurs (1) que ce qui domine dans la Trinité chrétienne, c'est la divinité du Christ; c'est parce que le Verbe s'est fait chair, que l'on a admis le Verbe, ou, pour parler un langage plus intelligible, c'est parce que dans l'état du monde où le christianisme devait remplir sa mission, il fallait un Dieu qui eût vécu au milieu des hommes, à peu près comme les dieux du paganisme, que l'on inventa le mystère de la Trinité, afin de voiler une conception qui semblait reproduire l'idolâtrie païenne. Mais la réalité l'emporta sur le mystère : JésusChrist resta le seul Dieu des chrétiens; les deux autres personnes de la Trinité n'entrèrent pas dans la conscience générale.

Quelle idée le moyen-âge se faisait-il de son Dieu-Homme? La féodalité était essentiellement guerrière; il lui fallait un Dieu guerrier Jésus-Christ se transforma en baron, en seigneur suzerain. La grande occupation de la noblesse féodale, ce sont les tournois et la guerre : Jésus-Christ monte à cheval pour combattre l'Antechrist. Un moine de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés a chanté les exploits de ce célèbre tournoiement (2). La Vierge assiste au combat, revêtue d'une robe éclatante comme le soleil; elle a les pieds posés sur la lune. L'armée de l'Antechrist se compose des dieux du paganisme, Jupiter, Saturne, Apollon le preux, Mercure. L'issue de la lutte ne pouvait être douteuse : Jésus-Christ triomphe.

Les hommes transportent toujours dans leur conception des choses divines l'idéal de l'existence terrestre. Rien de plus intéres

(1) Études sur le Christianisme.

(2) Huon de Meri, le Tournoiement du Christ (Histoire littéraire de la France, T. XVIII, p. 800-805).

sant sous ce rapport que le poëme de la Cour de Paradis. Dieu, dit le trouvère, voulant connaître ceux des bienheureux qui l'aimaient le plus, imagina de tenir une cour plénière le jour de la Toussaint. Ayant donc appelé les apôtres Simon et Jude, il les chargea d'aller par les chambres et dortoirs du ciel inviter les saints et les saintes à se rendre auprès de lui. Les apôtres se mettent en route, munis d'une crécelle ou clochette. Ils entrent d'abord chez les anges; après les avoir rassemblés au bruit de la crécelle, Simon leur fait part des ordres dont il est chargé. Gabriel remercie au nom de la compagnie et dit que les anges obéiront avec joie. De là Simon passe chez les patriarches qui, le reconnaissant de loin, se disent: « Je crois que voilà saint Simon; voyons ce qu'il nous veut. Ils acceptent volontiers son invitation. Les apôtres, les martyrs et les innocents promettent également de se rendre à la cour de Jésus. Saint Simon n'est pas moins bien accueilli par les pucelles; elles répondent avec empressement au désir de JésusChrist, ainsi que les veuves: toutes disent «< sans feintise que d'aller à la fête elles ont convoitise. » Bref, il n'y eut saints ni saintes qui ne fussent heureux de la réjouissance qui les attendait. Au jour fixé, tous arrivent d'abord les anges qui chantent le Te Deum, puis les patriarches; Dieu embrasse Moïse, Abraham et le prophète saint Jean; tous se mettent à chanter une chanson populaire, dont le refrain est : « Je vis d'amour en bonne espérance. » Les apôtres, les martyrs et les confesseurs, en passant devant Jésus-Christ, entonnent également des chansons d'amour. Les pucelles et les veuves ne sont pas les moins joyeuses de la bande; Jésus les accueille parfaitement, et les exhorte à être gaies et à se bien divertir. Alors la fête commence. Jésus-Christ prie sa mère d'en faire les honneurs : « Volontiers, beau fils,» répond Marie. Elle prend Madeleine par la main, et toutes deux font le tour de la salle en appelant à la danse tous ceux qui aiment. Aussitôt anges, pucelles, veuves, patriarches, martyrs, innocents se mêlent et commencent une danse générale; les anges répandent de la vapeur d'encens, et les quatre évangélistes sonnent du cor. La joie universelle gagne Jésus : il vient prendre sa mère pour se mêler aux autres. Marie et son Fils dansent en chantant : « Embrassez-vous,

de par amour, embrassez. » Le poëte assure qu'il n'y eut jamais une plus belle fête (1).

Telle était la conception populaire de Dieu au moyen-âge. La notion de la Trinité était complètement effacée : le Père et le Saint Esprit ne figurent pas dans la Cour Céleste. La religion consistait en un polythéisme revêtu de formes chrétiennes. Les anges, la Vierge et les saints prirent la place des divinités païennes. JésusChrist faisait fonction de Dieu suprême; on révérait sa majesté, mais on ne s'adressait guère à lui. Ceci n'était plus une superstition populaire, mais une conception théologique, fondée sur l'Écriture Sainte. Jésus-Christ dit que s'il priait son Père, il lui enverrait aussitôt plus de douze légions d'anges (*). Ces milliers d'anges devaient avoir une mission; la théologie leur en créa une, sans se douter qu'elle rétablissait le paganisme.

Alexandre de Halès demande pourquoi Dieu a créé tant d'anges. Il répond: «Par une raison de convenance. Dieu aurait pu ne se servir que d'un petit nombre de ministres, mais il convenait qu'il en eût un grand nombre. Les rois de la terre ne sont-ils pas entourés d'une foule d'officiers? A plus forte raison le Roi des cieux doit-il en avoir beaucoup, lui qui gouverne l'univers (3). » Voilà bien les dieux inférieurs du paganisme : ce sont eux qui régissent le monde, dit Hugues de Saint-Victor (*). Cependant nos théologiens se font une objection assez embarrassante: Dieu ne pourrait-il pas gouverner directement? Pourquoi lui faut-il des intermédiaires? La réponse qu'un des grands docteurs du moyenâge fait à cette question, prouve combien les sentiments étaient polythéistes, malgré l'apparente métaphysique des idées : « Dieu,

(1) Barbazan, Fabliaux, T. III, p. 128-448. Histoire littéraire de la France, T. XVIII, p. 792-800. Legrand d'Aussy, Fabliaux et Contes, T. V, p. 66-78. (2) Saint Matthieu, XXVI, 53.

(3) Al. de Hales., Summa theologica, Quæst. XX, membr. 6, art. 3 (T. II, p. 77). Alain de Lille répond tout aussi crûment : « Non enim tantis administrationibus unus posset sufficere, et tantum auctorem opportunum erat copiam ministrorum habere. » (De Arte Catholica, II, 7, dans Pez, Thesaurus, T. I, 2, p. 488.)

(4) Hugo de Sancto Victore, Lib. I, Part. V, c. 34.-Cf. sanct. Thomas., Summa theol., P. I, Quæst. 410, art. 4.

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