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Les hommes reviendront à leur principe qui est Dieu et la perfection. Le mal ne persistera dans aucune créature. L'humanité étant une et solidaire, il est impossible qu'une partie soit sauvée et l'autre damnée. » D'accord avec Origène, Scot n'exclut pas même les démons du salut : « Le mal n'est rien de substantiel, il ne peut donc pas avoir de durée infinie » (1).

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La doctrine de Scot, si on la dégage de l'alliage chrétien qui la rend inconséquente, est la vraie doctrine c'est la croyance du salut universel, qui gagne tous les jours dans le cœur des hommes sur le dogme barbare de l'enfer. Pourquoi la philosophie de Scot a-t-elle donc trouvé si peu de faveur pendant le moyen-âge? Un contemporain du philosophe dit qu'en attaquant l'éternité des peines, on ôte aux hommes une crainte salutaire et qu'on les livre sans frein au péché (2). En effet l'enfer a été le grand instrument de l'éducation des Barbares. C'est par les terreurs de l'enfer que saint Boniface convertit les Germains (3); c'est encore par les terreurs de l'enfer que les prédicateurs moralisaient les fidèles (*). Les philosophes du moyen-âge sont d'accord avec les théologiens; Hugues de Saint Victor et Pierre de Blois (5), saint Anselme, saint Bonaventure et saint Bernard (6) disent que c'est la crainte de l'enfer qui pousse les hommes à la pénitence. Mais la croyance de l'enfer, si elle est utile pour dompter des Barbares, devient funeste dans un état social plus avancé. Cet instrument de moralisation est au fond immoral. L'homme s'abstient du péché, non parce que c'est le mal, mais parce que le péché entraîne une punition terrible; il fait le bien, non parce que c'est le bien, mais parce que le bien est ré

(4) Scot., De divisione naturæ, V, 6, 26, 27.- Moeller, Scotus Erigena, p. 107, 145, 147, 119, 121.

(2) Florus (Bibliotheca Maxima Patrum, T. XV, p. 631, A).

(3) Bonifac., Sermo VI (Martene, Amplissima Collectio, T. IX, p. 200).

(4) Ambrosii Autperti presbyteri, sermo de cupiditate (VIIIe siècle. Martene, ib., T. IX, p. 231).

(5) Hugon. de S. Victore, Summa, VI, 10. Maxima Patrum, T. XXIV, p. 4145).

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Petri Blesensis, Sermo 65 (Bibl.

(6) Voyez les passages cités dans le Soliloquium de saint Bonaventure, c. 3. (Op., T. VII, p. 117).

compensé par le bonheur éternel. N'est-ce pas la théorie de l'intérèt bien entendu appliquée à la religion? Le fidèle calcule les suites de la vertu et du vice, et en bon calculateur il se décide pour la vertu. Non, la vertu et le vice ne sont pas une spéculation : l'homme doit s'abstenir du mal et faire le bien, parce que telle est la loi morale à laquelle il est soumis. Quand l'humanité aura conscience de cette loi, l'enfer deviendra une horreur inutile. L'avenir est à la doctrine de Scot Érigène.

S II. Bérenger.

Les réformés célèbrent Bérenger comme un témoin de la vérité, tandis que les protestants le repoussent comme un hérétique; Luther, si hostile à la papauté, a pris parti pour le pape contre Bérenger, pour le persécuteur contre la victime ('). A vrai dire, l'hérétique du onzième siècle est un précurseur de la philosophie plutôt que de la réformation. Si nous en croyons ses contemporains, il était libre penseur dès sa jeunesse : « Quand nous étions ensemble à l'école, dit Lanfranc, il prenait plaisir à recueillir des arguments contre la foi catholique dans les écrits des philosophes» (2). Grand amateur de nouveautés, il faisait peu de cas des autorités, quelque imposantes qu'elles fussent. Bérenger resta fidèle à cette tendancc; c'est un penseur qui procède de la raison, ce n'est pas un homme de foi : « Il ne comprend pas même, dit-il, comment on peut ne pas préférer la raison dans la recherche de la vérité; il faut être frappé d'aveuglement pour ne pas voir ce qui est clair comme le jour »(3). C'est le principe du rationalisme, et il parait que le diacre de Tours ne recula pas devant les conséquences de sa doctrine. Il ne se contenta pas de repousser avec dégout les miracles que le clergé fabriqua pour prouver la présence corporelle de Jésus-Christ dans le sacrement de l'eucha

(1) Lessing, Berengarius Turonensis (OEuvres, T.VIII, p. 320, éd. Lachmann). (2) Henric. de Knygton, De Eventib. Angliæ, lib. II, c. 5. (3) Berengar., De sacra cœna (Berlin, 1834), p. 100.

ristie ('); ses ennemis l'accusaient de nier même les miracles de l'Écriture Sainte: «Que reste-t-il alors de la foi chrétienne, s'écrie Guitmond, archevêque d'Averse, et que devient l'autorité de l'Église ? » (*)

Bérenger reste chrétien, mais il sape le christianisme dans sa base, comme le lui reprochent ses contemporains : « Avec le dogme de la présence corporelle de Jésus-Christ dans le mystère de la cène, tout l'édifice du catholicisme s'écroule », dit l'abbé Durand (3). Nous ne remonterons pas à l'origine de cette croyance. Il est certain que dans les premiers siècles on ne connaissait pas le nom de transsubstantiation, et, quoi qu'en disent les catholiques, le dogme n'existait pas plus que le nom. Dans un âge qui matérialisait la religion, la présence corporelle du Christ devait l'emporter sur l'idée d'une communion purement spirituelle. Bérenger dit qu'à Rome on ne voulait pas même entendre parler d'une communion spirituelle. Mais par cela même que la transsubstantiation flattait l'esprit crédule des masses, elle répugnait aux classes intelligentes. Bérenger trouva de nombreux partisans au sein du clergé; Grégoire VII même lui était favorable, au point que les ennemis du grand pape l'accusèrent de partager les erreurs de l'hérétique.

Quelles étaient les hérésies enseignées par l'archidiacre de Tours? Il est difficile de les préciser; le côté négatif de sa doctrine est mieux connu que la partie dogmatique. La transsubstantiation devait révolter un penseur qui procède de la raison; Bérenger n'y voit que la superstition d'un peuple ignorant ('). S'est-il borné à nier la transsubstantiation, ou a-t-il poussé l'audace jusqu'à nier la présence réelle? Ses contemporains sont unanimes à l'accuser de cette

(1) Berengarius, De sacra cœna, p. 37: « Fabula omni catholico audito ipso indignissima. >>

(2) Guitmundus, De veritate Eucharistiæ, lib. III (Biblioth. Maxima Patrum, T. XVIII, p. 459).

(3) « Inanis Ecclesiæ Catholicæ fides ac professio »(Biblioth. Maxima Patrum, T. XVIII, p. 420).

(4) Berengarius, Epist. ad Adelmann. (p. 38, éd. Schmid) : « Vulgus et Paschasius, ineptus ille monachus Corbiensis... Vulgus et cum vulgo insanientes Paschasius, Lanfrancus et quicunque alii. »

dernière hérésie; mais n'est-ce pas l'effet de l'esprit de parti? Nous entendons tous les jours les écrivains catholiques imputer aux libres penseurs des opinions que ceux-ci repoussent: n'en était-il pas de même de Bérenger? L'archidiacre de Tours se plaint des conséquences que l'on tirait de ses principes ('); il faut donc admettre qu'il a enseigné la présence réelle; reste à savoir comment il l'entendait. Ses propres écrits attestent qu'il rejetait toute présence corporelle. Pour lui le sacrement est un acte spirituel qui opère par l'intelligence: « Le corps de Jésus-Christ, dit-il, est au ciel où il restera jusqu'à la fin des temps; si donc Jésus-Christ est présent dans l'eucharistie, c'est spirituellement; nous le voyons, mais c'est avec les yeux de la foi nous le recevons, mais c'est dans notre cœur » (2).

Le dogme de la transsubstantiation fut consacré au treizième siècle par le concile de Latran. Dans toutes les discussions théologiques, dit Voltaire, « Rome s'est toujours décidée pour l'opinion qui soumettait le plus l'esprit humain et qui anéantissait le plus le raisonnement quel respect ne devait-on pas avoir pour ceux qui changeaient d'un mot le pain en Dieu, et surtout pour le chef d'une religion qui opérait de tels prodiges! »(3) Cette accusation n'est pas une calomnie du dix-huitième siècle. La religion se confondait au moyen-âge avec l'Église, et l'Église se confondait avec le clergé. Que l'on songe à l'immense prestige que le dogme de la transsubstantiation devait donner aux prêtres! Ils se disaient les intermédiaires du ciel et de la terre; le mystère de l'eucharistie était une manifestation éclatante de cette mission divine. Le moine Paschase Radbert, que Bérenger accuse de partager la superstition du peuple, voyait très-bien quel avantage en résultait pour le clergé : « Le prêtre, dit-il, est l'organe visible du Christ; il porte les vœux des fidèles aux pieds du Tout-Puissant et il leur communique la volonté de Dieu » ("). Pendant tout le moyen-âge le rôle du prêtre

(1) Lessing, Berengarius Turonensis (OEuvres, T. VIII, p. 420).

(2) Berengar., De sacra cœna, p. 177, 148.

(3) Voltaire, Essai sur les mœurs, cb. XLV.

(4) Paschas. Radbert., De corpore et sanguine Domini, c. 12 (Biblioth. Maxima Patrum, T. XIV, p. 741).

dans le mystère de la cène servit à exalter le pouvoir sacerdotal ('). Le clergé s'identifia en quelque sorte avec Dieu cela est si vrai qu'un pape osa appeler les prêtres des dieux! (2)

On comprendra maintenant la fureur du clergé contre l'archidiacre de Tours: toute sa vie ne fut qu'une suite de persécutions. Un des grands personnages de l'Église, Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, prépara la voie par la calomnie(3). Le concile de Rome condamna Bérenger sans l'entendre. Cela ne suffit pas au saint zèle de ses adversaires; l'évêque de Liége écrivit au roi de France, qu'au lieu de convoquer un synode pour le juger, on ferait mieux de dresser un bùcher pour le brûler ("). Le roi de France se contenta d'emprisonner l'hérésiarque; mais le peuple, soulevé par les moines, manqua de le tuer (5). Au point de vue de l'orthodoxie, l'Église avait raison de haïr Bérenger; elle n'a pas eu d'ennemi plus dangereux. Sa conception de l'eucharistie attaquait le clergé dans le principe même de son autorité, et son rationalisme recelait des dangers plus graves encore. L'archidiacre de Tours respectait en apparence le dogme; mais il l'altérait en le spiritualisant: c'est que la raison et le dogme catholique sont incompatibles. Prendre la raison pour point de départ, comme l'a fait Bérenger, c'est aboutir à la négation de la religion révélée. L'Église a donc dù le condamner; mais par cela même la philosophie doit condamner l'Église et sa doctrine.

(1) Dans un sermon de Pierre le Mangeur, chancelier de l'Église de Paris au XIIe siècle, on lit : « Est ergo sacerdos coadjutor redemptoris, consiliarius Domini Sabaoth » (Bibl. Maxima Patrum, T. XXIV, p. 1459).

(2) Le pape Adrien, en écrivant à l'empereur Frédéric Barberousse, appelle les évêques des dieux : « Qui dii sunt et filii Excelsi omnes » (Chronic. S. Bertini, c. 43, pars VI, dans Martene, Thesaurus Anecdotorum, T. III, p. 648).

(3) Lessing a dévoilé la conduite odieuse de Lanfranc dans son Berengarius Turonensis.

(4) D'Achery, Spicilegium, T. IV, p. 447.

(5) Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 1, § 29, notes f, g et r.

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