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times d'une révolution et compromettaient l'existence du christianisme; la réforme s'appropria les doctrines hérétiques, compatibles avec l'Évangile; elle rejeta les idées révolutionnaires et antichrétiennes. Par là elle donna satisfaction au sentiment chrétien; elle donna aussi satisfaction au besoin de la liberté religieuse en affranchissant les croyants du joug de l'Église. Mais la réforme contenait un germe de dissolution; les deux éléments qu'elle voulait concilier étaient au fond contradictoires : la liberté de penser brisera la réforme, comme la réforme brisa le catholicisme.

La réforme n'est donc pas le dernier mot de l'humanité, pas plus que le catholicisme. En vain catholiques et protestants s'unissent-ils pour contester la possibilité d'une religion non révélée. Les choses en sont venues à ce point qu'il faut une religion nouvelle, un christianisme progressif, si l'on veut qu'il y ait encore une religion. Dans le sein des pays catholiques, le sentiment religieux est allé en s'affaiblissant; la réaction qui se fait aujourd'hui sous l'influence de circonstances transitoires ne peut faire illusion qu'à ceux qui aiment de ne pas voir clair, car les causes qui ont produit l'incrédulité subsistent; l'indifférence en matière de religion, déplorée par un prêtre éloquent, se cache jusque sous ce semblant de ferveur religieuse qui s'étale sous nos yeux. Dans les pays protestants, le mouvement philosophique a abouti à la négation de toute religion, à la négation de toute société. Heureusement qu'à côté de ce matérialisme, le sentiment religieux reste vivace; il conserve les formes chrétiennes, mais il n'a en réalité de chrétien que le nom. C'est dans les sectes avancées du protestantisme, c'est dans les associations libres qui s'étendent dans l'ancien et dans le nouveau monde, que se préparent les éléments d'une nouvelle religion. La philosophie y contribuera, non la philosophie qui mutile l'homme en niant le sentiment religieux, mais la philosophie qui tient compte du sentiment religieux aussi bien que de la raison.

No 3. La réforme sociale.

La réforme a émancipé l'État et la société laïque de la domination de l'Église; mais sur le terrain social, comme sur le terrain religieux, elle n'a pas innové, elle n'a fait que continuer le mouvement des idées qui s'étaient fait jour pendant le moyen-âge. Nous avons dit ailleurs (') comment les nations réagirent contre la domination de la papauté. Au seizième siècle, les nationalités sont constituées, dès lors la monarchie papale est brisée; la réforme vient donner une consécration religieuse à un fait accompli. Il en est de même de l'émancipation de la société laïque et de l'État. L'idée du pouvoir spirituel était ruinée avant l'avènement de la réforme; elle s'était ruinée elle-même, parce qu'elle était fausse. La chrétienté a vu le prétendu pouvoir spirituel à l'œuvre pendant des siècles; sauf quelques éclatantes exceptions, la réalité était en tout le contrepied de l'idéal. De toutes les vertus chrétiennes que les moines devaient pratiquer, ils n'avaient que l'apparence; mais la nécessité de conserver l'apparence d'une perfection qui n'existait pas, leur donnait un vice de plus et le plus grand de tous, l'hypocrisie, cette lèpre de l'âme qu'on pourrait appeler monacale, si Jésus-Christ ne l'avait déjà flétrie chez les Pharisiens. Le célibat forcé, qui devait fonder un état angélique, conduisit partout à une corruption affreuse; la renonciation au monde ne fit qu'enflammer l'ambition des moines, et l'abdication de la propriété développa une cupidité effrénée. Nous n'accusons pas les hommes, nous accusons le monachisme; quand une institution viole les lois de la nature, elle doit produire des monstruosités. A côté de la vie impossible des monastères, il y eut la vie réelle, la vie laïque. La réaction de la réalité contre la fiction était inévitable, et la vérité devait l'emporter. Au quinzième siècle, la chrétienté regrettait qu'il y eût des moines et elle réprouvait le célibat. Luther n'eut qu'à faire entendre sa voix, et les couvents tombèrent avec le célibat forcé.

Si l'idée du pouvoir spirituel est fausse, la domination de

(4) Voyez le T. VI de mes Études sur l'histoire de l'humanité.

l'Église qui en découle est fausse aussi; c'est une usurpation de la véritable souveraineté qui réside dans les nations. Ne nous étonnons donc pas si, malgré la foi aveugle du moyen-âge, il y a eu réaction croissante de l'État contre l'Église; l'État, à proprement parler, n'existait pas, mais il était en germe dans les communes. Dès que les communes furent constituées, elles entrèrent en lutte avec les clercs. La royauté, appuyée sur les légistes, vint à leur secours. L'Église défendit avec opiniâtreté ce qu'elle appelait sa liberté, mais la liberté de l'Église était l'assujettissement de l'État; les légistes avaient donc pour eux le bon droit le génie de Rome païenne l'emporta sur Rome chrétienne. La rude guerre que les hommes de loi firent aux gens d'Église, portait sur la juridiction et les immunités du clergé. En même temps, son pouvoir temporel tout entier était attaqué. Dès le douzième siècle, Arnauld de Bresse voulut réduire le clergé à sa mission religieuse et rendre la souveraineté à l'État. Il paya sa témérité de son sang, mais de ce sang naquirent des vengeurs : la doctrine flétrie par l'Église devint la croyance universelle de la société laïque.

Tel était l'état du pouvoir spirituel au quinzième siècle. L'Église était en pleine décadence; elle-même acheva sa ruine en se déchirant dans un long schisme. Au moyen-âge on avait vu les papes intervenir pour établir la paix entre les princes; au quinzième siècle, on vit intervenir les princes pour rendre la paix à l'Église, et où trouvèrent-ils la plus forte résistance? Dans l'Église même; le clergé était frappé d'aveuglement, comme toutes les puissances qui s'en vont. Dès lors l'Église cessa de dominer l'État; ce fut la société laïque qui domina la société religieuse.

Ce n'est donc pas la réforme qui a brisé le pouvoir spirituel; ce pouvoir était en lambeaux quand les réformateurs attaquèrent la Babylone romaine. Ils poursuivirent l'œuvre des légistes, en replaçant l'Église dans l'État; ils donnèrent une force immense au principe de nationalité, en enlevant la moitié de l'Europe chrétienne à Rome et en développant l'élément individuel qui se trouve dans la religion, comme dans toutes les manifestations de la vie. Cependant l'émancipation de la société laïque ne fut pas com

plète. Il resta à l'Église, même chez les protestants, le prestige d'un pouvoir spirituel, appelé, non plus à dominer, mais à diriger les destinées des peuples. Cela a suffi pour ressusciter de nos jours des prétentions que l'on croyait ensevelies dans le tombeau du moyen-âge. L'Église cherche à regagner par le moyen de l'éducation le pouvoir qui lui a échappé. Vaine tentative que condamne l'histoire, cette voix de Dieu. Le catholicisme absorbe l'individu et les nations, tandis que le mouvement de la civilisation tend à séculariser l'individu et les nations, en rendant aux nations la souveraineté et l'indépendance qu'elles tiennent de Dieu, en rendant à l'individu la liberté d'action qui est compatible avec la souveraineté nationale. Indépendance et souveraineté des nations, liberté de la pensée, voilà les grandes conquêtes faites par l'humanité sur l'Église. La gloire de la réforme est d'avoir mêlé son nom à ces

victoires.

LIVRE I.

LA RÉFORME AU MOYEN-AGE.

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