Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

s'établir que par une violente révolution, la ruine du monde ancien et l'invasion des Barbares. Le catholicisme à son tour voulut arrêter la marche du genre humain. Pendant des siècles, l'Eglise repoussa les réclamations les plus modestes; lorsque enfin la réforme éclata, vit-on la papauté céder aux justes exigences de la chrétienté? Les horribles guerres de religion du seizième et du dixseptième siècle répondent pour nous.

Que sont donc les révolutions? Un progrès dans la vie de l'humanité qui se fait d'une manière violente, parce que les passions humaines s'opposent à la transformation régulière des institutions et des croyances. Ainsi toute révolution est une innovation. Cependant la réforme avait la prétention d'être un retour vers le passé, et à certains égards cela est vrai; mais ce côté du protestantisme n'est qu'un élément passager de la révolution qui s'ouvre au seizième siècle, se continue jusqu'à nos jours et ne s'achèvera que dans l'avenir. Dans son essence la réforme est un progrès, et comme elle est dirigée contre l'Église, il faut dire qu'elle est un pas hors du catholicisme, c'est-à-dire un premier pas hors du christianisme historique.

La réforme est une révolution religieuse, mais elle n'entend faire aucun changement à la religion chrétienne; elle accepte la révélation et les dogmes formulés par les conciles des premiers siècles. Son point de départ étant le même que celui du catholicisme, pourquoi se sépare-t-elle de l'Église? Parce que, disent les protestants, l'Église romaine avait corrompu la foi dans l'intérêt de sa domination. Le christianisme, d'après eux, est essentiellement un rapport de l'homme à Dieu par l'intermédiaire de Jésus-Christ; le catholicisme en a fait une loi, et confondant Jésus-Christ avec l'Église, il a considéré le sacerdoce comme l'intermédiaire nécessaire entre l'homme et Dieu. Par suite la religion est devenue un système de règles légales. Le sacerdoce prescrit aux fidèles ce qu'ils doivent croire; celui qui s'écarte de ces commandements se met hors de l'Église, et hors de l'Église il n'y a pas de salut. Le sacerdoce prescrit encore aux fidèles ee qu'ils doivent faire; ce n'est qu'en pratiquant ces œuvres qu'ils gagnent la vie éternelle. En définitive les disciples du Christ sont

enchaînés par des observances aussi strictes que celles qui emprisonnaient les sectateurs de Moïse; la Loi Ancienne reparaît sous l'Évangile (1).

La critique que les protestants font du catholicisme est fondée; mais ils ne tiennent pas compte des circonstances historiques qui expliquent le caractère légal que le christianisme prit après l'invasion des Barbares. Le christianisme était appelé à faire l'éducation des Germains. Or, peut-on élever des peuples sans les dominer? Le maître assujettit l'enfant à des devoirs dont celui-ci n'a pas conscience. De même le christianisme a dù imposer des observances et des lois aux Barbares. Jésus-Christ remplaça les commandements et les menaces de la Loi Ancienne par la charité; mais cette religion intérieure aurait été sans influence sur l'esprit rude des Germains; il leur fallait une règle, et une Église qui veillât à son observation. De là le caractère du catholicisme au moyen-âge la religion est l'obéissance passive aux préceptes donnés par une autorité qui se dit l'organe de Dieu.

L'Église a rempli sa mission; les protestants eux-mêmes lui rendent grâces de la dure discipline à laquelle elle a soumis les races barbares. Mais, devenue un pouvoir, l'Église eut l'ambition de tout pouvoir; elle voulut perpétuer l'autorité qu'elle devait à des circonstances passagères. Pour cela, elle essaya d'immobiliser les observances qui constituaient toute la religion, en confondant la tradition qui leur avait donné naissance avec la parole de Dieu. Gardienne des lois divines, elle participait au caractère sacré des règles dont elle avait le dépôt; son empire paraissait immuable comme Dieu dont elle se disait l'interprète. Mais il y avait un vice dans le fondement même de sa domination : le christianisme était altéré dans son essence. L'Église usa et abusa de la religion: le système pénitentiaire dégénéra en une opération de finance: les œuvres considérées comme voie de salut, bannirent tout sentiment de piété. La religion ne consistait plus au quinzième siècle qu'en pratiques superstitieuses; la théorie servait à justifier le fait, et l'Église exploitait le fait et la théorie au profit de son ambition et de sa cupidité.

(1) Ullmann, Reformatoren vor der Reformation, T. I, p. 93; T. II, p. 686.

La décadence du christianisme provoqua la réforme. Le protestantisme fut une réaction de l'esprit évangélique contre les tendances de la Loi Ancienne qui s'étaient reproduites dans le catholicisme. Tandis que la religion du moyen-âge concentrait la piété dans des pratiques extérieures, les protestants rapportèrent tout à la foi en Jésus-Christ. L'Eglise aussi changea de nature; le prêtre ne fut plus l'intermédiaire nécessaire entre le croyant et Dieu, puisque le Christ était le seul Médiateur; le sacerdoce n'eut plus de règle à prescrire, plus de salut à distribuer, puisque tout s'accomplissait dans l'intérieur de l'homme et par le sacrifice tout puissant du Fils de Dieu. En brisant la puissance de l'Église, la réforme affranchit le chrétien de toute puissance humaine; en ce sens elle est une doctrine de liberté. Mais que le mot de liberté ne nous fasse pas illusion : les réformateurs ne voulaient point donner à l'homme la liberté telle que nous l'entendons aujourd'hui. Le catholicisme soumettait les fidèles à une autorité extérieure; le laïque dépendait du prêtre et la chrétienté tout entière du pape. Les réformateurs rejettent tout intermédiaire entre l'homme et Dieu; le chrétien est donc libre à l'égard des hommes quant à sa foi, mais il ne l'est pas à l'égard de Dieu; c'est au contraire parce qu'il est dans la dépendance absolue de Dieu, qu'il est indépendant de toute autorité humaine.

Ainsi la liberté chrétienne est une soumission entière à Dieu : de là le dogme fondamental de la réforme que le salut est attaché à la foi en Jésus-Christ. L'homme ne se. sent jamais plus faible, plus impuissant, que lorsqu'il est seul en face de Dieu c'est l'imperfection en présence de la perfection. Si l'on ajoute à ce sentiment la conscience que le chrétien a de sa chute, de la corruption de sa nature, suite du péché originel, l'on se fera une idée du découragement, du désespoir qui saisit le fidèle, accablé du poids de sa faute. Ce n'est pas en lui-même qu'il peut trouver l'espoir du salut, car il n'est que péché et corruption. Mais il y a un mérite infini en Jésus-Christ; c'est pour nous en faire part que le Fils de Dieu a pris la forme d'esclave; nous pouvons nous l'approprier par la foi. En définitive rien dans le salut de l'homme ne vient de lui, tout vient de Dieu;

le sacrifice de Jésus-Christ est une grâce, la foi même est une grâce, la persévérance dans la foi est encore une grâce.

Telle est la doctrine de la justification par la foi. Il n'y a rien de nouveau dans ce dogme; il remonte à saint Paul, et saint Augustin en a développé toutes les conséquences, bien des siècles avant Luther et Calvin. Mais la croyance sévère de la grâce s'était modifiée insensiblement pendant le cours du moyen-âge. Prise dans sa rigueur, elle altère le principe de la liberté au point d'aboutir au fatalisme. La liberté réagit contre la grâce et conquit une place dans le système théologique du catholicisme. Mais en relevant le mérite de l'homme, l'Église affaiblissait l'importance de la grâce et du sacrifice de Jésus-Christ; elle ouvrait la porte au pélagianisme, et compromettait l'existence du christianisme historique. La réforme revint aux idées de saint Paul et de saint Augustin.

Le dogme de la justification était considéré au seizième siècle comme le fondement théologique de la réforme; cependant aujourd'hui les croyances sur lesquelles il repose sont répudiées par les protestants. Ils ne disent plus avec Luther que la liberté est un mot vide de sens; ils ne croient plus avec Calvin à la puissance absolue de Dieu qui prédestine les uns au salut, les autres à la damnation. C'est dire que la justification était moins un principe qu'une arme de guerre. C'était un excellent moyen de ranimer le sentiment religieux, car moins on accorde au mérite de l'homme, plus la foi devient nécessaire. D'autre part, en rapportant le salut à Dieu, les réformateurs ruinaient la domination de l'Église, car l'Église dominait les fidèles par son intervention dans les œuvres méritoires, condition nécessaire du salut. Disposant du ciel, elle disposait par cela même de la terre. La réforme lui enleva les clefs du ciel, pour les restituer au Christ.

Quelle que soit l'importance du dogme de la justification, l'on se tromperait en y voyant l'essence de la réforme; il n'en est qu'un élément transitoire. Toutes les révolutions ont une arme de guerre. Tant que dure le combat, l'arme se confond facilement avec le but providentiel qu'elles poursuivent, souvent à leur insu. Mais les germes d'avenir déposés dans ces grandes tourmentes des peuples ne tardent pas à se développer; alors ce qui semblait être le but

n'apparait plus que comme un moyen, et il se trouve que le vrai but, tel que l'histoire le découvre, est parfois opposé aux vues des auteurs de la révolution. Il en fut ainsi de la réforme. Les protestants ont abandonné la doctrine augustinienne sur la grâce, parce que la fausseté s'en révéla quand Calvin l'enseigna dans toute sa rigueur et avec toutes ses conséquences. S'il était vrai, comme le disait Luther, que la justification fùt toute la réforme, il faudrait dire qu'elle n'a plus de raison d'être, car catholiques et protestants sont bien près de s'entendre sur la foi et les œuvres. Mais la vraie mission de la réforme n'était pas de ressusciter les dogmes professés par saint Paul et saint Augustin; elle était plutôt de faire un pas hors du christianisme historique. Luther et Calvin auraient crié à la calomnie, si on leur avait dit que leur réformation tendait vers une religion plus parfaite que le christianisme; cependant l'histoire atteste que tel est le dernier résultat du protestantisme.

Les ennemis du protestantisme, avec la clairvoyance de la haine, lui prédirent qu'il ne s'arrêterait qu'au déisme, c'est-à-dire à la négation du Christ comme Fils de Dieu, à l'abandon du christianisme comme religion miraculeusement révélée. Les faits ont donné raison à leurs prédictions. Le rationalisme, conséquence philosophique de la réforme, rejette tous les dogmes surnaturels du christianisme, par conséquent le christianisme lui-même, en tant qu'il procède du Fils de Dieu. Dès l'origine du protestantisme, l'une des innombrables sectes auxquelles il donna naissance, manifesta ces tendances. Le cours logique des choses a conduit toutes les sectes au socinianisme; pour mieux dire, le socinianisme est dépassé. Les Amis Protestants en Allemagne, les Unitairiens aux Etats-Unis n'ont plus rien de chrétien que le nom; ils forment la transition entre une religion ancienne et une religion nouvelle. Abandonnant la doctrine religieuse qui lui servait d'arme au seizième siècle, la réforme s'élance hardiment vers l'avenir, en se fiant à la raison, cette révélation permanente de Dieu dans l'humanité.

« ZurückWeiter »