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l'homme soit tellement corrompu, qu'il ne puisse se sauver sans un secours miraculeux de Dieu. Conséquents en cela, les Cathares n'admettent pas l'Incarnation ni la divinité du Christ. Sur le péché originel, ils sont moins résolus; cependant ils reculent devant la conséquence la plus affreuse du dogme catholique, la damnation des enfants « Les enfants, disent-ils, ne peuvent pas pécher, puisqu'ils ne sont pas capables de volonté. Si la concupiscence qui leur a donné le jour est une faute, les enfants en sont innocents » (1).

Sur les rapports de Dieu avec l'homme et sur la vie future, la doctrine des hérétiques n'a de puissance que comme critique ; elle a moins de valeur comme affirmation. De même que les protestants, ils rejettent le purgatoire, en se fondant comme eux sur un texte de l'Écriture (2). Ce qu'ils disent de la résurrection est encore en harmonie avec les sentiments modernes : « Les corps ne sont pas seulement réduits en poussière, ils sont absorbés par d'autres corps comment donc tous ces corps pourraient-ils revivre? D'ailleurs le corps n'est que l'organe de l'âme; est-il raisonnable de punir ou de récompenser un instrument passif? »(5) Enfin la prédestination et les conséquences horribles qui en découlent ont révolté les sectaires du moyen-âge, comme elles doivent révolter tout homme dont la raison n'est pas aveuglée et dont le sentiment n'est point faussé (4). En répudiant le péché originel les sectes étaient sur la voie d'une doctrine plus digne d'un Dieu d'amour, celle du salut universel. Les Cathares l'enseignent, mais enveloppée de nuages, et troublée par des rêveries orientales : « L'àme, disentils, immatérielle de son essence, n'a pas été créée pour vivre sur la terre. Si momentanément elle est enfermée dans la matière, c'est

(1) Alanus, contra Waldenses, c. 39, p. 232. - Les Vaudois disaient aussi que les enfants non baptisés seraient sauvés (Rainerii Summa, dans Martene, Thesaurus Anecdotorum, T. V, p. 1775).

(2) Evervini Epist. ad Bernardum (D'Achery, Spicileg., T. IV, p. 474). II en est de même des Vaudois (Rainerii Summa, dans Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 2, § 88, note bb, p. 623).

(3) Hugon., Rothomagensis archiepiscop., contra hæreticos, III, 3 (Bibliotheca Maxima Patrum, T. XXII, p. 1351). — Schmidt, Histoire des Cathares, T. II, p. 48.

(4) Schmidt, ib., T. II, p. 30.

pour porter la peine de sa désobéissance. La terre est le domaine du démon, un lieu de punition; c'est donc la terre qui est à proprement parler l'enfer, le séjour des damnés. Mais cet enfer n'est pas éternel; les âmes, créées par le Dieu bon, ne peuvent pas périr; leur salut définitif est donc une nécessité.» D'après cela, il semblerait que toutes les créatures seront sauvées. Mais ici reparait la funeste erreur de la métaphysique religieuse des sectes manichéennes. Elles croyaient qu'il y avait des âmes créées par le démon; celles-là, condamnées dès leur origine, ne pouvaient arriver à la béatitude (1). Les Cathares se rapprochaient, sans s'en douter, de la doctrine catholique : leur mauvais Dieu est l'exagération du diable, leurs âmes condamnées à raison de leur origine, sont celles que Dieu prédestine à la mort. Ainsi l'esprit étroit de l'Église orthodoxe dominait jusqu'à ses adversaires. Cependant il y a un germe d'une croyance plus large dans les sentiments des Cathares. En laissant de côté le mauvais principe qu'ils admetttaient, la philosophie peut accepter leur croyance. Il n'y a qu'un Dieu, souverainement bon; aucune âme créée par lui ne peut donc périr. Dieu est aussi souverainement juste; l'homme doit par conséquent expier ses fautes, mais cette expiation est tout ensemble une peine et une voie qui conduit au salut.

La doctrine des Cathares survécut à leur ruine. Vers le milieu du quatorzième siècle, des hérétiques anglais soutinrent que le baptême n'était pas nécessaire pour le salut; ils ne niaient pas le péché originel, mais ils l'annulaient par leurs interprétations : « Le péché actuel, disaient-ils, est seul une cause de damnation, d'où suit que rien ne s'oppose au salut des Juifs et des païens. On peut toujours mériter le paradis par la seule force de la nature; il n'y a donc pas de peines éternelles : les damnés et les démons euxmêmes seront sauvés » (2). Les Lollards, secte de Wicléfites, partageaient ces espérances. Des hérétiques qui s'appelaient hommes de

(1) Schmidt, Histoire des Cathares, T. II, p. 28, 44-47, 50. chengeschichte, T. II, 2, § 85, notes l et y; § 88, note v.

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(2) Condemnatio errorum quarumdam per archiepiscopum Cantuariensem, a. 1368 (Mansi, T. XXVI, p. 549, 550).

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l'intelligence, condamnés à Bruxelles au commencement du quatorzième siècle, enseignaient aussi que toutes les créatures seraient sauvées (1). Enfin celui des précurseurs de la réformation que les écrivains protestants placent le plus haut, Wessel professait sur la vie future une opinion qu'il croyait conciliable avec l'Écriture, mais qui certainement ne l'est pas avec le dogme des catholiques et des réformés. Wessel ne comprend pas que l'homme arrive subitement, comme par un miracle, de l'imperfection où nous le voyons à la perfection qui est le dernier but de sa destinée : « La loi générale de la création, dit-il, est la croissance successive, le progrès continu: l'homme seul ferait-il exception? Ne faut-il pas qu'il soit purgé de ses mauvais instincts avant de pouvoir prétendre à l'existence parfaite que l'on appelle le paradis? » Voilà ce que Wessel entend par le purgatoire. Le feu du purgatoire est un feu moral qui purifie l'âme; ce n'est pas une peine, c'est une éducation divine qui conduit à la béatitude. Aussi dans la pensée du réformateur allemand, tous les hommes doivent passer par cette purification ("). La conséquence logique de la doctrine de Wessel c'est la vie progressive et infinie.

Nous avons insisté sur le salut universel, parce que c'est cette croyance qui sépare surtout les hérésies de l'Église orthodoxe, et c'est par cette croyance que l'Église périra. Quoiqu'elle fasse, les hommes refusent de croire que le Créateur soit le bourreau de ses créatures; ils refusent de croire en un Dieu moins bon, moins charitable qu'eux-mêmes. Cependant l'Église catholique ne peut pas répudier une erreur qu'elle a enseignée pendant des siècles et qui a été l'instrument le plus puissant de sa domination; elle est fatalement condamnée à la maintenir comme vérité : c'est dire qu'elle est fatalement condamnée à périr.

(1) Baluze, Miscell., T. II, p. 277, 281, 285. Constatons en passant que la rétractation imposée par l'Église au carme qui était à la tête de la secte, ne condamne pas seulement le salut universel, elle déclare encore que les Juifs et les païens ne peuvent pas être sauvés.

(2) Ullmann, Reformatoren vor der Reformation, T. II, p. 619, ss.

CHAPITRE II.

CHRISTIANISME

PROGRESSIF.

SI. L'idée du progrès.

No 1. Hugues de Saint Victor et saint Thomas.

L'idée du progrès au moyen-âge! Cela ressemble à un paradoxe: le moyen-âge n'est-il pas essentiellement catholique, et le catholicisme n'est-il pas en opposition avec le dogme d'une religion progressive? Il est vrai que de nos jours les défenseurs de l'orthodoxie repoussent la perfectibilité dans le domaine de la religion comme une erreur de la philosophie et de la pire des philosophies, du panthéisme; mais il n'en a pas toujours été ainsi : nouvelle preuve que tout change dans ce monde, même la religion qui se prétend immuable. L'idée du progrès est née avec le christianisme; les néocatholiques qui la combattent avec tant de passion, ne se doutent pas qu'ils reculent jusqu'au paganisme; l'antiquité païenne était réellement immobile, au moins par ses croyances, car elle professait que l'humanité tourne éternellement dans le même cercle. C'est la parole du Christ qui a mis fin à cette désolante doctrine, en inaugurant un nouvel âge où l'immobilité fait place à un progrès incessant.

Les Pères de l'Église avaient conscience de l'immense révolution qui s'opéra par la prédication évangélique. Aux partisans du passé, païens ou juifs, qui invoquaient la tradition ou l'immobilité, ils opposèrent hardiment la loi universelle de la création, d'après laquelle tout change et se perfectionne. Il est vrai que, dominés par le dogme de la révélation, ils déclarèrent que le progrès s'arrêtait à Jésus-Christ mais les plus aventureux osèrent franchir cette barrière divine et proclamer, en s'inspirant de quelques paroles pro

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phétiques, que le christianisme n'était pas le dernier mot de Dieu. Il y avait donc deux mouvements dans la chrétienté primitive. Les uns, c'était le grand nombre, admettaient le progrès pour le passé, mais non pour l'avenir; les autres, c'étaient plutôt des hérétiques, croyaient à une série infinie de révélations divines. Ces tendances se retrouvent au moyen-âge, mais avec des nuances nouvelles qui prouvent que l'esprit humain ne se repose jamais. Les scolastiques, bien qu'ils s'appuyent toujours sur l'autorité des Pères, dépassent les Pères et donnent la main à la philosophie moderne. C'est précisément ce lien entre le dogme du progrès et la philosophie qui effraye les catholiques du dix-neuvième siècle; ils répudient une vérité qui trouve ses plus chauds partisans dans un camp ennemi de l'Église; mais en reniant l'idée du progrès, ils ne s'aperçoivent pas qu'ils renient leur propre tradition.

De tous les pères de l'Église, c'est saint Augustin qui a jeté les regards les plus profonds sur la loi du progrès. Ses écrits transmirent au moyen-âge l'idée d'un développement progressif de l'humanité. Au douzième siècle, il se trouva un penseur qui mérite d'être comparé au grand docteur du monde latin: Hugues de Saint Victor s'inspira de saint Augustin; mais tout en procédant du passé, il fit un pas vers l'avenir. Un autre théologien, dont le génie a tout embrassé, saint Thomas, enseigna aussi la loi de la perfectibilité. Les mêmes pensées se rencontrent chez des esprits d'une moindre importance, mais nous pouvons les négliger; Hugues et saint Thomas nous diront le dernier mot de la scolastique sur l'immense question qui se présente devant nous.

Hugues de Saint Victor considère le progrès comme une loi universelle de la création. Le catholicisme croit à l'existence d'êtres purement spirituels, dont la perfection dépasse de beaucoup l'imperfection humaine; cependant les anges, d'après Hugues, vont toujours en se perfectionnant. Il n'admet qu'une limite à l'évolution progressive des créatures, le jugement dernier; alors toute la création se confondra en quelque sorte en Dieu et participera de son immutabilité, en même temps que de sa perfection ('). Cette loi

(1) Hugonis de Sancto Victore Summa, II, 6 : « Cognitio angelorum usque ad

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