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tion cesse d'être nécessaire pour le salut des hommes, et elle n'est plus nécessaire, si l'on nie le péché originel et ses funestes conséquences; le salut dès lors devient la loi universelle des créatures et l'enfer des chrétiens s'évanouit aussi bien que le purgatoire et le paradis. Voilà des croyances que l'on est étonné de trouver parmi les hérésies du douzième siècle. Elles sont en harmonie avec la foi qui se forme lentement dans l'humanité moderne et qui finira par l'emporter sur la foi du passé. La doctrine des hérétiques était donc à certains égards supérieure à celle de l'Église. Si malgré cela ils ont succombé, c'est que le temps n'était pas venu où une religion nouvelle pouvait s'établir. Aujourd'hui même, les dogmes d'une révélation progressive et du salut universel, ne sont reçus que par les sectes les plus avancées de la réforme, et par les hommes qui se sont détachés du christianisme. Aujourd'hui même, le temps n'est pas venu; comment aurait-on réalisé au douzième siècle ce qui est encore irréalisable au dix-neuvième?

Il y a une autre raison qui a fait échouer les hérésies; c'est qu'à la part de vérité que renfermait leur doctrine se mêlaient des erreurs si graves que leur croyance n'aurait jamais pu devenir celle de l'humanité. La secte la plus puissante, celle des Cathares, admettait deux principes éternels, l'un du bien, l'autre du mal. C'était revenir au dualisme que le christianisme avait vaincu; or s'il est impossible de retourner au passé, même dans ce qu'il a de vrai, bien moins encore peut-on le ressusciter dans ses égarements. D'autre part les aspirations des Manichéens vers l'avenir étaient viciées par un souvenir de la tradition catholique. En professant le salut universel, ils devaient repousser la doctrine étroite qui attache le salut à une Église déterminée; cependant leur consolamentum reproduit tout ce que les sacrements chrétiens ont de faux. Les Cathares donnaient ce nom au baptême du Saint Esprit qui se conférait par l'imposition des mains: considéré comme l'unique moyen d'arriver à la béatitude éternelle, il avait des effets pour le moins aussi miraculeux que le baptême chrétien (').

(1) Ermengardus, contra Waldenses, c. 14 (Bibliotheca Maxima Patrum, T. XXIV, p. 1642).-Schmidt, Histoire de la secte des Cathares, T. II, p. 90, 101.

Ceci prouve l'importance des doctrines métaphysiques. Les Cathares étaient supérieurs aux catholiques; leur vie était plus purė, leurs sentiments plus larges. Cependant l'Église triompha, à l'aide de la violence, il est vrai, mais la violence seule eût été impuissante: c'est la vérité, relative au moins, du catholicisme qui lui a donné la victoire. Les sectes vaincues au treizième siècle vaincront à leur tour, quand les croyances qu'elles aperçurent d'instinct seront dégagées des erreurs qui les rendaient inacceptables. C'est ce travail qui s'est fait sourdement pendant les siècles qui nous séparent du moyen-àge. Le dualisme n'existe plus; mais la foi dans le salut universel n'a pas disparu; elle jette des racines de plus en plus profondes, et elle finira par l'emporter sur la doctrine inhumaine et absurde du catholicisme. Tel est l'intérêt que les hérésies du moyen-âge présentent encore pour le dix-neuvième siècle.

II.

Les Cathares niaient la divinité de Jésus-Christ, et ils invoquaient le texte même de l'Évangile à l'appui de leur opinion. C'est cette argumentation biblique qui donne de l'importance à leur hérésie. Les obscurs hérétiques du moyen-âge, tant maltraités par les protestants, sont sur ce point d'accord avec les sectes les plus avancées qui procèdent de la réforme. Ils citent ces paroles de Jésus-Christ qui semblent exclure tout doute : Le Père est plus grand que moi. Ils citent les nombreux passages où le Christ distingue entre luimême et celui qui l'a envoyé. Si Jésus-Christ dit que lui et le Père ne sont qu'un, cela se rapporte à l'unité d'intention et de volonté ; cette unité spirituelle est loin d'être une unité de nature. Saint Paul dit que Dieu a envoyé son Fils; il y a évidemment une différence entre celui qui envoie et celui qui est envoyé : le Père et le Fils ne sont donc pas une seule et même substance; d'où suit que le Fils n'est pas Dieu ('). Le dogme de l'Incarnation tombe avec celui de la divinité du Christ. Comment d'ailleurs concevoir que Dieu prenne

(4) Schmidt, Histoire des Cathares, T. II, p. 32.

un corps humain? « Cela est contraire au bon sens, disaient les Cathares, et aux lois de la nature » (1).

En niant la divinité du Christ, les Cathares ne pouvaient plus accepter la révélation dans le sens chrétien. Les unitairiens pourraient signer leur profession de foi sur ce point. Ils avaient un grand respect pour Jésus-Christ; ils disaient qu'il avait été envoyé pour ramener les âmes à Dieu, mais que sa mission se réduisait à enseigner aux hommes leur origine et leur destination; la révélation n'était donc qu'un enseignement (*). Les unitairiens rejettent également la divinité du Christ, mais ils croient à la divinité des Ecritures. Chez les Cathares, nous trouvons une inconséquence semblable: ils acceptaient l'Évangile comme Écriture Sainte, sauf à l'accommoder à leurs doctrines, comme font les protestants, tandis qu'ils répudiaient l'Ancien Testament. Leur critique de la Bible mérite d'être mentionnée; elle est d'accord avec la philosophie du dernier siècle : « Les livres sacrés des Juifs, disaient-ils, donnent à Dieu des qualités qui sont indignes de la divinité; ils parlent de sa colère et de sa vengeance, comme s'il était un homme. Jéhova prescrit la loi du talion ; il dit à chaque instant qu'il veut exterminer ses ennemis. Ces faiblesses et ces passions conviennent-elles à l'Etre souverainement parfait? » Les Cathares insistaient encore sur les contradictions qui existent entre l'Ancienne Loi et la Nouvelle : « Moïse autorise la vengeance, et Jésus-Christ ordonne le pardon des injures. Moïse admet le divorce, et Jésus-Christ le défend. Des lois qui se contredisent peuvent-elles être l'une et l'autre révélées? » (3) Nous ne partageons pas l'antipathie des hérétiques et des libres penseurs pour les écritures sacrées des Juifs; elles sont saintes à nos yeux, parce qu'elles sont un des monuments religieux du genre humain. Cependant la critique des Cathares et des philosophes reste vraie la Bible qui donne de Dieu les notions les plus étroites et les plus fausses, ne peut pas émaner de Dieu, car deux révélations

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(1) Glaber Radulphus, Chron. (Bouquet, T. X, p. 38).

(2) Schmidt, Histoire des Cathares, T. II, p. 30. (3) Schmidt, ib., T. II, p. 24-23. Ebrardi liber contra Waldenses, c. 3 (Bibliotheca Maxima Patrum, T. XXIV, p. 1533).

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d'une vérité immuable ne sauraient être contradictoires. Il faut donc que la révélation change de caractère; d'immédiate et de miraculeuse, elle doit devenir permanente et progressive. A ce point de vue, l'humanité peut accepter les livres saints des Juifs aussi bien que ceux des chrétiens; les contradictions ne sont plus que la manifestation successive et toujours imparfaite de la vérité absolue.

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III.

Ennemis-nés de l'Église, les hérétiques ne pouvaient pas reconnaître l'autorité qu'elle s'arrogeait de fixer le sens de l'Ecriture et d'imposer des dogmes sous couleur d'interprétation. Les sectes, d'accord en cela avec les protestants, repoussent les sacrements qui n'ont d'autre base que la tradition; or, l'Évangile à la main, il leur est facile de prouver que Jésus-Christ n'a pas institué la pénitence, la confirmation, l'extrême onction, l'ordre ni le mariage. Mais les hérétiques du douzième siècle vont plus loin que les protestants liés par les paroles de l'Écriture, les réformateurs ont conservé le baptême et l'eucharistie. Les Cathares rejettent le baptème « Ce n'est pas une chose extérieure, disent-ils, qui peut justifier, c'est la foi et la repentance. Si celui qui est baptisé se repent, il est déjà justifié; sinon, le baptême ne le justifiera pas. Conçoit-on d'ailleurs que l'eau qui lave le corps, purge l'âme du péché par une vertu magique? Beaucoup moins encore le baptême peut-il profiter aux enfants qui ne sont pas en état de discerner entre le bien et le mal, car Jésus-Christ exige la foi pour l'efficacité du baptême; sans la foi, le sacrement n'est qu'une vaine formalité » (').

Les Cathares n'avaient pas plus de respect pour l'eucharistie. Ils expliquaient les célèbres paroles ceci est mon corps, en s'appuyant sur l'autorité de plusieurs Pères de l'Église : « Jésus-Christ n'a voulu dire autre chose sinon que le pain qu'il tenait en main devait représenter son corps. Il dit encore que celui qui mange

(1) Schmidt, Histoire des Cathares, T. II, p. 120.

sa chair et qui boit son sang, a la vie éternelle; mais il dit aussi que l'esprit vivifie et que la lettre tue. Se nourrir de la chair et du sang de Jésus-Christ, c'est entendre et recevoir ses paroles qui seules sont esprit et vie. » Le dogme de la transsubstantiation prête à des railleries que les sectaires ne lui épargnèrent pas : « Si les fidèles mangeaient réellement le corps de Jésus-Christ, de quelle immense étendue devrait-il être pour suffire à la consommation de tant de milliers d'hommes, depuis tant de siècles? Fût-il plus grand que le rocher d'Ehrenbreitstein, disaient les Cathares allemands, il serait depuis longtemps consommé. » Les hérétiques demandaient encore << si une souris qui mangerait une hostie sacrée, mangerait le Fils de Dieu?» (1) Il y avait au fond de ces attaques un germe de rationalisme plus dangereux que les plaisanteries des hérétiques. Les Cathares ne voulaient rien croire de ce qui répugnait à la nature, parce que ce qui répugne à la nature est contraire aux lois de la création. Ils renvoyaient les contes bleus du pain et du vin qui se changent en corps et en sang, à ceux qui ajoutent foi aux inventions humaines écrites sur des peaux d'animaux; pour eux, disaient-ils, ils ne reconnaissaient d'autres lois que celles que le Saint Esprit écrit dans l'homme intérieur (2).

IV.

Repousser les sacrements, c'est répudier implicitement toute la doctrine chrétienne. Le baptême se lie au dogme fondamental du christianisme historique. Dans la croyance des chrétiens, le péché originel a fait de l'humanité une masse de corruption; pour la sauver, il a fallu que le Fils de Dieu prit la forme d'esclave; ceux-là seuls qui sont régénérés en Jésus-Christ participent de la vie éternelle. Le baptême est l'initiation à cette vie nouvelle; si on le rejette, on nie la nécessité de l'Incarnation, car on nie que

(1) Schmidt, Histoire des Cathares, T. II, p. 134. ses, c. 57, p. 244.

- Alanus, contra Walden

(2) Synodus Atrebatensis, a. 1025 (Mansi, T. XIX, p. 423, ss.). — Synodus Aurelianensis, a. 1017 (Mansi, T. XIX, p. 276).

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