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les apôtres obéissaient aux princes et ils recommandaient à tous les hommes de leur être soumis. Qui donc a soustrait le clergé à la juridiction royale? Ce sont les nouvelles décrétales qui ont décidé que les clercs ne payeront ni subsides ni taxes, sans l'assentiment du prêtre mondain qui trône à Rome. Cependant le pape est souvent l'ennemi de notre pays... Ainsi un prêtre étranger, et le plus orgueilleux des prêtres, est devenu le maître de l'Angleterre! » Les priviléges du clergé sont incompatibles avec la souveraineté nationale. C'est ce que Wiclef reconnaît encore: il est impossible, dit-il, qu'il y ait un Etat, si dans son sein il existe un corps puissant qui est en-dehors et au-dessus de ses lois. La conséquence qui résulte des principes de Wiclef est que l'État doit commander aux clercs comme aux laïques. Voilà bien tout le côté politique de la réformation; il appartenait à un Anglais d'en tracer le programme. Wiclef sert de lien entre les précurseurs religieux et les précurseurs politiques de la révolution du seizième siècle; il s'inspire tout ensemble des Vaudois et d'Arnauld de Bresse.

N° 2. Les hommes politiques.

I. Arnauld de Bresse et les Gibelins.

Les hérétiques dans leurs attaques contre le pouvoir temporel de l'Église partent de l'Évangile; ils ont en vue de rétablir l'Église dans sa pureté primitive bien plus que de rendre à l'État la souveraineté usurpée par le sacerdoce. A côté des sectes religieuses se produit un mouvement analogue, mais dont le but est différent; il procède des hommes qui se préoccupent de l'État plus que de la religion. L'Église les appelle les hérétiques politiques, car à ses yeux c'est une hérésie de reconnaître la souveraineté de l'État sur le clergé. Telle est la doctrine d'Arnauld de Bresse que le cardinal Baronius appelle le patriarche des hérétiques politiques. Il n'est cependant pas le premier qui ait revendiqué les droits de l'État; ses sentiments étaient partagés par tous ceux qui dans la guerre du sacerdoce et de l'empire combattaient pour les empereurs. C'est

aux papes et à leurs excès qu'il faut rapporter l'origine d'une opinion qui leur est devenue si funeste. L'État existait à peine au onzième siècle; Grégoire VII, en foulant aux pieds la majesté impériale, provoqua une vive réaction en faveur de l'empire: ce fut le germe de l'idée de l'État et de sa souveraineté. Les partisans de l'empire soutenaient que l'Église était purement spirituelle, qu'elle n'avait droit à aucun pouvoir temporel, pas même à la possession ds la terre. Arnauld de Bresse se fit l'apôtre de cette croyance.

Nous avons apprécié ailleurs cet homme hors ligne, cet esprit ardent et dévoué à ses convictions comme un martyr l'est à sa foi (1). Le pape fit jeter les cendres d'Arnauld dans le Tibre, croyant étouffer dans le sang d'un homme la dangereuse hérésie qui menaçait son pouvoir temporel; mais les sentiments qui s'étaient incarnés dans le réformateur italien existaient avant lui et ils lui survécurent; il trouva des vengeurs dans les descendants de l'empereur qui l'avait livré au bûcher. Dès le treizième siècle, les Hohenstaufen et les Gibelins attaquèrent le fondement juridique de l'usurpation cléricale, la fameuse donation de Constantin; ils nièrent que le César romain eût donné la souveraineté à Sylvestre; l'Écriture même s'opposait, d'après eux, à ce que l'Église exerçat la puissance suprême, car Jésus-Christ dit à ses disciples qu'ils doivent rendre à César ce qui est à César. Frédéric II continua la politique de sa famille, en la couvrant du voile de la religion; à entendre l'empereur incrédule, il voulait ramener l'Église à la pureté apostolique. Les Gibelins adoptèrent ce mot d'ordre et travaillèrent à ruiner l'Église au nom de la foi.

II. Occam.

L'héroïque race des Hohenstaufen succomba dans sa guerre contre la papauté, mais la papauté succomba avec elle. Les droits revendiqués par les empereurs eurent des défenseurs sur tous les trônes; les prétentions des papes eurent un ennemi dans chaque

(1) Voyez le Tome VI de mes Études.

rol. En combattant les usurpations des évêques de Rome, les princes n'étaient que les organes des nations; l'Église était donc au fond ennemie des nationalités : c'est dire qu'elle était en opposition avec les desseins de la Providence et qu'elle devait périr à la longue. Les rois reprirent la cause qui paraissait vaincue dans la personne des empereurs, et Philippe le Bel réussit là où les Hohenstaufen avaient échoué. Il fit appel à la nation, et la nation tout entière, jusqu'au clergé, se rallia autour de son souverain. Quand on s'en tient aux dehors, la querelle entre le roi de France et Boniface VIII semble brutale; mais au fond il y avait la lutte des idées, et cellesci trouvèrent un organe plus digne que la personne de Philippe de Valois. Le philosophe Occam, anglais d'origine, prit parti pour la royauté contre l'Église; cependant le hardi penseur appartenait lui-même au clergé. Il était engagé dans la secte des Cordeliers spirituels; comme tel il partageait les illusions des ordres mendiants sur la pauvreté et la mendicité. C'est un exemple mémorable des contradictions qui peuvent s'unir dans un même esprit; heureusement dans ses écrits politiques la haute raison du philosophe domine les tendances étroites du sectaire.

Occam prend pour point de départ la fameuse distinction du spirituel et du temporel; mais à voir le parti qu'il tire d'une doctrine qui était la base du pouvoir de l'Église, on dirait qu'elle n'est pour lui qu'une arme pour ruiner l'Église au nom de ses propres principes. Le tout est de s'entendre sur le sens de ces mots, qui jouent un si grand rôle au moyen-âge : « Les choses temporelles, dit Occam, concernent le gouvernement du genre humain dans l'état de nature, abstraction faite d'une loi révélée; les choses spirituelles se rapportent au gouvernement des fidèles, en tant qu'ils sont éclairés par une révélation divine. » Cette définition ne laisse aucun pouvoir proprement dit à l'Église, car la révélation ne se rapporte qu'à la foi, tandis que l'état de nature comprend la souveraineté avec tous ses attributs. En bon logicien qu'il est, Occam ne recule devant aucune conséquences de ses principes. L'Église n'a pas d'autorité de coaction, elle ne peut donc pas exercer de juridiction; ce qu'elle appelle sa puissance spirituelle ne s'étend

qu'au for intérieur, au péché, et non au for extérieur, au délit. Il est vrai que l'Église prétendait que par cela même qu'elle pouvait connaître du péché, elle pouvait connaître du juste et de l'injuste; d'où dérivait une compétence universelle en matière civile. Occam répond que l'argument prouve trop; il en résulte en effet que l'Église devrait juger aussi les causes criminelles et de sang, ce qui ne se peut soutenir. Après avoir réduit l'Église à l'absurde, le philosophe anglais établit qu'il ne peut y avoir qu'un seul juge, de même qu'il n'y a qu'un seul législateur : « C'est à celui qui fait la loi, à l'interpréter et à l'appliquer; la connaissance de ce qui est juste ou injuste n'appartient donc qu'au roi et aux seigneurs temporels. Si l'on donne ce même pouvoir aux clercs, il pourra arriver que les juges laïques et les juges ecclésiastiques décideront qu'une seule et même chose est tout ensemble juste et injuste cela n'est pas rendre la justice, c'est la déchirer. »

L'on voit que le philosophe ne reconnaît pas plus une juridiction civile qu'une juridiction criminelle à l'Église; il lui dénie hardiment toute compétence, même en matière de mariage. Restent les immunités. Le clergé réclamait une liberté complète au nom du droit divin. Occam convient qu'il peut y avoir de bonnes raisons pour exempter les personnes des clercs de telle ou telle charge publique, mais c'est une question de droit positif qui n'a rien de commun avec l'Écriture; en tout cas l'immunité personnelle ne justifie pas l'immunité réelle. Partisan sévère de la pauvreté évangélique, le frère mineur ne pouvait voir de bon œil le luxe et les débauches des prélats; dès le quatorzième siècle il adresse à l'Église les reproches que lui ont faits la réforme et la révolution pour justifier la sécularisation : «Dans quelle intention les princes et les seigneurs ont-ils donné leurs biens à l'Église? Afin que les clercs prient pour l'àme des donateurs et qu'ils nourrissent les pauvres; or, ils ne font ni l'un ni l'autre ils emploient leurs bénéfices pour eux et leurs enfants ou leurs neveux, et trompent ainsi les morts et les vivants. Puisque le clergé ne remplit pas les charges attachées aux donations, il appartient aux princes d'y pourvoir; car le vassal qui ne fait pas le service qu'il doit à son seigneur, doit perdre son fief. »>

Les écrits d'Occam, philosophe renommé, eurent un grand retentissement chez ses contemporains; la postérité l'a presque oublié, et c'est à un écrivain anonyme qui s'est paré de ses dépouilles, qu'elle a réservé son admiration. Les Gallicans sont fiers du Songe du Vergier; ils lui ont donné place parmi les documents qui consacrent leurs libertés. Cependant le Songe du Vergier n'est, pour ce qui regarde la question des droits de l'État et de l'Église, que le développement et souvent la traduction des dialogues d'Occam.

III. Marsile de Padoue.

La papauté du moyen-âge meurt avec Boniface; il ne lui reste de son pouvoir que d'arrogantes prétentions; quand elle a affaire à un prince fort, elle courbe la tête et cède; elle redevient superbe et hautaine quand elle rencontre un roi faible et impuissant. C'est ce qui arriva au quatorzième siècle en Allemagne. Jean XXII accable Louis de Bavière de son outrecuidance; mais derrière l'empereur il y a un écrivain dont l'audace épouvante celui-là même dont il prend la défense. Marsile de Padoue mérite d'être comparé à Luther; il dépasse même le grand réformateur en ce sens que, nourri des doctrines de l'antiquité grecque, il n'est chrétien que de nom. Le docteur italien procède d'Aristote; sa doctrine de la souveraineté est celle de l'antiquité grecque; c'est celle qui règne aujourd'hui dans le domaine des idées et qui tend aussi à l'emporter dans le domaine des faits : « Il n'y a, dit-il, il ne peut y avoir dans chaque État qu'un seul pouvoir souverain; s'il y en avait plusieurs, il n'y aurait ni lois possibles, ni gouvernement, ni justice. Donnez la souveraineté à deux individus ou à deux corps, ce que l'un voudra, l'autre ne le voudra pas : auquel des deux les citoyens obéiront-ils? Si leurs lois sont contraires, laquelle l'emportera? Si chacun a le droit de juridiction, un citoyen pourra être cité devant deux tribunaux différents pour la même cause, à la même heure : devant quel tribunal comparaîtra-t-il? devant tous les deux ou devant aucun? Absurdité en théorie, anarchie en fait et dissolution de la société. »

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