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tiques, comme les oiseaux de proie s'abattent sur les basses cours. Mais leurs excès n'étaient pas uniquement dus à l'avidité; ils s'attaquaient aux personnes autant qu'aux biens. De là les plaintes lamentables des conciles et leurs décrets sans cesse répétés contre ceux qui emprisonnent, blessent ou tuent les clercs. Les attentats contre le clergé étaient un fait général; comme le dit en termes énergiques un concile allemand, on les considérait presque comme une vertu.

L'opposition contre les clercs n'était pas concentrée dans les classes dominantes: un poëte du treizième siècle dit que « onques la gent vilaine n'aima clerc ni prêtre. » La haine des vilains, plus violente que celle des barons, éclata dans les insurrections de la classe opprimée. L'on sait que les pastoureaux se soulevèrent contre les clercs autant que contre les seigneurs ils dépouillaient les religieux et les prêtres, ils les maltraitaient jusqu'à leur donner la mort. Les chroniqueurs disent que le peuple applaudissait à ces excès. Il en fut de même dans les révoltes des paysans au quatorzième siècle. La haine des vilains a de quoi nous surprendre ; il ne pouvait pas y avoir de rivalité d'ambition entre les pauvres habitants des campagnes et le tout-puissant clergé. A en croire un proverbe célèbre sur la douceur du régime clérical, les vilains auraient même dû s'estimer heureux de vivre sous la domination des clercs; mais les révoltes des paysans donnent un sanglant démenti au proverbe allemand. L'histoire rapporte des faits qui sont loin de témoigner pour l'humanité de la caste sacerdotale. Ce qui prouve que ce n'étaient pas des accidents, c'est que les conciles furent obligés de réprimer les excès des évêques et des abbés. Pierre d'Ailly les compare aux tyrans qui gouvernent, non dans l'intérêt de leurs sujets, mais dans leur intérêt propre. « Quel est le pasteur, s'écrie Clémangis, qui ne dépouille pas son troupeau par tous les moyens possibles? » Gerson répète les mèmes reproches. Au concile de Constance, les prédicateurs s'élèvent contre les princes de l'Église qui, au lieu de paître leurs brebis, se paissent eux-mêmes. Les abus étaient tels, que dès le quinzième siècle des voix prophétiques annoncèrent la révolution qui s'accomplit au seizième.

Cependant nous ne croyons pas que la tyrannie de l'Église fùt le motif principal qui soulevait toutes les classes de la société contre sa domination; c'était plutôt ce que les protestants appellent la corruption du clergé. Il y avait corruption en ce sens, que l'idéal du pouvoir spirituel était démenti à chaque instant par la réalité. Le clergé avait la prétention d'être plus parfait que les laïques; c'est dans cette supériorité que consistait son titre à la domination; mais la perfection n'était qu'un mensonge; de là les cris contre la corruption des clercs. Ce ne sont pas les protestants qui ont pris l'initiative de ces accusations; les réformateurs ne firent que répéter les plaintes des hommes les plus considérables de l'Église. Clémangis, avec sa véhémence ordinaire, dit qu'il n'y a pas de classe dans la société qui soit plus méprisée que le clergé; il voit la cause de cette ignominie dans l'ignorance et la corruption des clercs. Dira-t-on que c'est un rhéteur qui exagère? Écoutons l'évêque de Lodi au sein du concile de Constance : « Au lieu que nous devrions être en exemple au peuple, il faudra bientôt que ce soit lui qui nous apprenne à vivre; car ne voit-on pas dans les laïques plus de gravité, plus de bienséance, plus de probité, plus de dévotion que parmi les ecclésiastiques? Il ne faut donc pas s'étonner si les séculiers nous persécutent, s'ils nous dépouillent, s'ils nous méprisent et s'ils se moquent publiquement de nous. » Plus on avance dans le quinzième siècle, et plus les plaintes acquièrent de gravité : « Les gens de l'Église, dit Alain Chartier, ont si avilenné par leurs coulpes eux et leur état, qu'ils sont jà dédaignés et des grands et des menus du monde, et les cœurs étrangés de l'obéissance de Sainte. Église par la dissolution de ses ministres.» «Que les clercs ne se plaignent pas, dit l'abbé Tritheim, si les laïques les méprisent; car eux-mêmes méprisent les préceptes de Jésus-Christ. Je crains, ajoute-t-il, que bientôt il n'y ait une violente persécution contre le clergé. »

SII. Attaques des laïques contre l'idée de l'Église.

La haine des laïques contre les clercs n'était pas le plus grand danger du catholicisme. Si, comme il le prétend, le droit divin eût été pour lui, le fait brutal ne l'aurait jamais emporté; les violences auraient été un martyre, et les souffrances des martyrs sont le triomphe de la foi. Mais en même temps que les barons et les vilains s'attaquaient aux biens et aux personnes, un mouvement plus dangereux se produisait dans le domaine de la pensée : l'idée même de l'Église était mise en question. Ceci était plus grave que les crimes individuels contre les clercs; il ne s'agissait plus d'une émeute, mais d'une révolution. Les réformateurs ont accompli la révolution; le moyen-âge l'a préparée. On peut distinguer dès le onzième siècle, deux courants d'idées hostiles à l'Église. L'un procède des hérésies et aboutit à Luther; l'autre procède des hommes politiques et aboutit aux légistes et à la révolution de 89. Les sectaires restent dans les limites du protestantisme; les hérétiques politiques dépassent la doctrine chrétienne.

No 1. Les Hérésies.

Les sectes du moyen-âge sont une réaction contre l'Église extérieure. Cette opposition devait les amener à attaquer le pouvoir temporel de l'Eglise, car c'était précisément en devenant un pouvoir temporel, qu'elle avait cessé en quelque sorte d'être un pouvoir spirituel. La papauté prétendait que Constantin avait abdiqué l'empire entre les mains de Sylvestre, en investissant les successeurs de saint Pierre de la plénitude de la souveraineté. De là datait la décadence de l'Église, au dire des hérétiques; c'est pour ce motif qu'ils poursuivaient de leur haine le malheureux Sylvestre à qui un faussaire a fait une réputation imméritée. La donation de Constantin était, au point de vue de leur doctrine, le renversement complet du christianisme évangélique. Ils croyaient avec saint Paul que tout chrétien était prêtre. Repousser la distinction des

laïques et des clercs, c'était attaquer la puissance de l'Église dans son fondement religieux. S'il n'y a pas de différence entre la vie laïque et la vie cléricale, il n'y en a pas davantage entre l'ordre temporel et l'ordre spirituel, il n'y a qu'une seule société, un seul pouvoir. Ainsi s'écroule tout l'édifice de l'Église, sa liberté et ses immunités, ses priviléges et sa domination.

L'élément politique des hérésies a été peu remarqué; il s'efface dans la gravité des dissentiments religieux qui séparent les sectes de l'Église orthodoxe. Cependant il a aussi son importance, car c'est la première manifestation de l'idée de l'État. Il y eut des hérétiques auxquels l'Église ne reproche rien que leurs attaques contre son pouvoir temporel. Dès le milieu du douzième siècle, des laïques s'élevèrent contre les excommunications ils prétendaient que ceux qui étaient excommuniés par le clergé devaient être soumis à un tribunal séculier, qui jugerait de la légitimité de la sentence; ils disaient que donner un effet civil à l'excommunication, c'était détruire l'empire, en mettant le sacerdoce au-dessus de l'empereur. Cette doctrine tendait à subordonner l'Église à l'État, tandis qu'au moyen-âge l'État était subordonné à l'Église. La papauté eut raison de prendre l'alarme; mais ses censures ne pouvaient réprimer un mouvement qui avait son principe dans les excès mêmes des souverains pontifes.

La longue guerre du sacerdoce et de l'empire était au fond une lutte pour le pouvoir souverain; plus les papes mettaient de hauteur dans leurs prétentions, plus ils devaient blesser le sentiment d'indépendance de la société civile: tous ceux que l'intérêt n'enchaînait pas au Saint-Siége se sentaient frappés dans la personne de l'empereur. Il y eut des laïques qui dénièrent aux papes le pouvoir de frapper les princes d'interdit; à leurs yeux, les Hohenstaufen, excommuniés, poursuivis par l'Église, étaient des justes et des saints. Dans cet ordre d'idées, Frédéric II, l'ennemi mortel de Rome, devint un martyr, l'espoir de la société laïque contre les envahissements des clercs. D'abord on ne voulut pas croire à sa mort, puis on prophétisa qu'il s'élèverait de ses cendres un vengeur, un Frédéric III, qui renverserait le pape et son clergé. Cette

croyance se maintint pendant des siècles; elle acquit une nouvelle force pendant les querelles de Louis de Bavière et de Jean XXII: les hommes de toutes les classes, dit un chroniqueur, croyaient que Frédéric II reviendrait dans toute sa puissance. Les espérances que l'on attachait au retour du grand empereur caractérisent bien les passions de la société laïque on disait que Frédéric poursuivrait l'Église avec une telle fureur, que les clercs couvriraient au besoin leur tonsure de fiente de bœuf, pour cacher leur couronne cléricale on croyait que les religieux seraient mariés ainsi que les religieuses.

Tant que l'opposition contre l'Église resta à l'état de vague rêverie, elle était peu dangereuse; il n'en fut plus de même quand elle prit l'importance d'une doctrine et qu'elle trouva un organe au sein d'une nation positive par excellence. Dans le domaine du dogme, Wiclef est bien plus timide que les hérétiques du moyen-âge, tandis que sur le terrain politique, il est plus qu'un précurseur de la réformation, il est un réformateur. Mais il procède comme Henri VIII plutôt que comme Luther; c'est au parlement qu'il s'adresse, et que lui propose-t-il? La chose la plus agréable du monde pour les barons il veut que l'État prenne les biens des clercs pour les appliquer aux charges publiques. Les arguments théologiques ne lui manquaient pas pour justifier la sécularisation : « L'Église, dit Wiclef, se prévaut de l'Ecriture, pour réclamer les dimes; mais la même loi de Moïse qui donne les dimes aux lévites leur défend de rien posséder dans la Terre Promise; si les clercs montrent tant de zèle à observer une partie du précepte de Moïse, pourquoi n'observent-ils pas l'autre?» Wiclef maudit la donation de Constantin : c'est un poison pour l'Église, dit-il, car les richesses du clergé sont la source de sa corruption. Jusqu'ici Wiclef est d'accord avec les sectaires du moyen-âge; il veut ramener l'Eglise à sa pureté primitive. Mais le réformateur anglais ne s'arrête pas au point de vue théologique l'intérêt de l'Etat l'inspire autant que l'intérêt de la religion; il revendique la souveraineté de la société laïque sur les clercs. Se fondant sur l'autorité de Jésus-Christ, il soutient que la prétendue liberté de l'Église est une usurpation : « Jésus-Christ et

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