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humain. C'est aux légistes que revient l'honneur de la victoire, car ce furent eux qui osèrent combattre l'Église à une époque où elle était dans toute sa puissance.

IV. Appréciation de la domination de l'Église.

L'Église est en dehors de l'État par les immunités, elle domine l'État par l'impôt et la juridiction. Quelle est la raison de cette position privilégiée? A entendre les défenseurs de l'Église, tout s'explique par la charité. Les libéralités et les dimes qui font du clergé le plus riche propriétaire du moyen-âge, sont des aumônes destinées à nourrir les pauvres. Les exemptions des clercs et la juridiction ecclésiastique ont encore leur principe dans la charité chrétienne : « C'est moins une autorité impérieuse, dit Thomassin, qu'un exercice de sollicitude pastorale. » Charité chrétienne, liberté chrétienne, droit divin, tous ces grands mots cachent la même pensée, l'esprit de domination du catholicisme. Considérée en ellemême, la puissance temporelle du clergé est contraire à l'essence de la religion. Même en se plaçant au point de vue de la doctrine chrétienne, l'Église n'est qu'une institution purement spirituelle. Écoutons un des meilleurs et des plus pieux historiens du christianisme « Jésus-Christ dit à ses disciples: Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. Allez, instruisez toutes les nations et les baptisez. Quelle est donc, dit Fleury, la mission de l'Église? Elle se réduit à l'administration des sacrements et à l'instruction, c'est-à-dire aux mystères et aux règles des mœurs. Jésus-Christ n'a pas exercé d'autre pouvoir; il n'a voulu prendre aucune part au gouvernement des choses temporelles, jusqu'à refuser d'être arbitre entre deux frères pour le partage d'une succession, disant: Qui m'a établi pour vous juger? Il est vrai qu'il est roi, mais son royaume n'est pas de ce monde. »

Déjà au moyen-âge, l'incompatibilité du pouvoir spirituel de l'Église et de sa juridiction temporelle a été reconnue par de grands esprits. Saint Bernard exalte la papauté dans des termes magnifiques, tandis qu'il n'a qu'une médiocre estime pour la royauté;

mais le sentiment chrétien l'emporte sur les préjugés du prêtre. S'adressant aux vicaires du Christ, il s'écrie: « Laissez les soins infimes de la juridiction aux juges, aux princes et aux rois. Ce n'est pas que vous ne soyez digne de remplir ce ministère, mais le ministère est indigne de vous. Vous qui jugerez les anges du ciel, n'avez-vous pas honte de juger les misérables intérêts de ce monde?»> Le pouvoir temporel de l'Église effrayait saint Bernard; il vit que son ambition croissante l'égarait; il craignit que pour avoir voulu l'un et l'autre glaive, elle ne finit par les perdre tous les deux. Au treizième siècle, un des esprits les plus fermes de la scolastique, Henri de Gand, laissa percer les mêmes craintes.

La nature même du pouvoir spirituel et de la juridiction temporelle prouve qu'ils ne peuvent être réunis dans les mêmes mains. Quel est l'idéal que l'Église se fait de la justice? Elle n'a pas l'idée du droit. Cela tient au spiritualisme excessif du christianisme; l'intelligence des choses terrestres lui manque, parce qu'il les dédaigne et les fuit. Cela tient encore à la charité chrétienne, incompatible avec le droit strict; cette charité, tout aussi excessive, ne connaît point les exigences de la vie. Saint Paul dit que les fidèles ne doivent pas plaider. Parole profondément chrétienne, que n'ont jamais oubliée les hommes qui aspiraient à la perfection évangélique. Au douzième siècle, les partisans sévères de l'ancienne discipline exigeaient que les moines ne plaidassent point : « Peu importe, dit Ives de Chartres, qu'ils soient dans leur droit, ils doivent souffrir l'injustice, s'ils veulent obéir aux préceptes de Jésus-Christ. » Si l'abdication du droit est une loi pour le clergé, elle doit être l'idéal de tout chrétien: c'est ainsi que saint Paul l'entendait, car il s'adresse aux fidèles en général et non à des clercs. Mais que devient alors le droit? Il disparaît; or, le droit peut-il disparaitre? Une doctrine religieuse qui efface, qui condamne presque un élément aussi essentiel de la vie, atteste par cela même qu'elle n'est pas faite pour gouverner les intérêts de ce monde.

L'Église avait bien moins encore la notion de la justice pénale; dans ses mains, la peine se changeait en pénitence et la justice en éducation. Conséquente avec elle-même, elle essaya de faire

pénétrer sa doctrine jusque dans la société laïque; ne pouvant pas empêcher les juges de punir les criminels, elle entravait l'exercice de la justice par ses intercessions et ses asiles. Nous avons dit ailleurs comment l'intercession des moines, pieuse dans son principe, finit par devenir une révolte contre la loi. Au moyen-âge, la loi n'avait plus la puissance que lui assurait l'autorité impériale; les clercs abusèrent de leur influence pour arracher les criminels à la peine qu'ils méritaient. Les plus saints évêques, dit Thomassin, faisaient parfois violence à la vérité pour sauver un condamné, surtout quand il était clerc. Saint Bernard délivra un voleur incorrigible, en disant qu'il le corrigerait par une rude pénitence. Mais l'amendement était le plus souvent une illusion; les coupables, sauvés par les prières des saints, recommençaient leur vie de désordres. L'asile, plus encore que l'intercession, devint une excitation au crime. Les conciles eux-mêmes avouent qu'en assurant l'impunité, il provoquait le brigandage. Le scandale alla jusqu'au point, que des crimes étaient commis en face des églises et en vue de profiter de leur inviolabilité; cependant le concile qui constate ce grave abus n'enlève pas à ces spéculateurs en crimes le bénéfice de la protection ecclésiastique: il veut qu'on les livre à la justice, mais sous la condition qu'ils ne perdront ni la vie ni un membre. Une justice qui aboutit à l'impunité des criminels et à la négation du droit, n'est pas une justice. L'Église manquait donc de la qualité essentielle pour exercer la juridiction. Sans mission, elle était aussi sans droit. La juridiction est un attribut du pouvoir souverain; or l'Église n'est pas un pouvoir, pas même en tant qu'elle exerce une juridiction spirituelle; elle n'est que l'association des fidèles. Loin d'avoir une autorité proprement dite, cette association est soumise à l'autorité de l'État comme toute association. Voilà la vraie théorie de l'Église; nous allons voir qu'elle a été aperçue dès le moyen-âge.

SECTION III.

RÉSULTAT

DE LA

LUTTE.

SI. Haine des laïques contre les clercs.

«Nul homme de bonne foi, dit Bossuet, ne peut nier que la haine contre le clergé et l'église romaine n'ait été la cause visible du progrès étonnant de Luther et de Calvin.» Quelle fut l'origine de ces mauvaises passions? Comment les clercs qui, d'après l'idéal de l'Église, sont les intermédiaires entre la terre et le ciel, les défenseurs des faibles et des opprimés, ont-ils pu exciter cette opposition furieuse qui va croissant de siècle en siècle, jusqu'à ce qu'une grande partie de la chrétienté se sépare violemment de Rome? A entendre le savant et pieux Fleury, la haine qui divisa les laïques et les clercs serait venue de l'extension démesurée de la juridiction ecclésiastique. Nous croyons que la source du mal était plus profonde; elle était dans l'orgueilleuse séparation de ceux qui se disaient les hommes de l'esprit, et de la masse des fidèles voués à une existence matérielle. Les hautes prétentions du clergé aboutirent à une domination oppressive de là la haine des laïques. Elle ne date pas de l'époque où la juridiction de l'Église produisit les abus que nous avons signalés; après tout, la justice ecclésiastique n'était que la manifestation de l'esprit envahisseur qui animait le clergé, et cette ambition est née le jour où l'Église se posa comme pouvoir spirituel; dès ce jour aussi la société laïque dut se soulever contre l'absorption dont elle était menacée. Dans les relations ordinaires de la vie, la réaction prit les formes de la jalousie, de l'envie et de la haine. On trouve déjà ces sentiments dans les premiers temps de l'établissement des Barbares : « Chilpéric, dit Grégoire de Tours, ne cessait d'injurier les prêtres; dans le secret de

l'intimité, il ne médisait de personne aussi volontiers que des évêques; il détestait l'Eglise par-dessus toute chose et disait souvent que la royauté était dans l'épiscopat. » Au treizième siècle, l'auteur des fausses décrétales parle de la haine des hommes charnels contre les hommes spirituels comme d'un fait général. Quelques siècles plus tard, les conciles reconnaissent hautement ce triste état de choses: « Les chevaliers et les barons, disent-ils, et presque tous les laïques sont ennemis des gens d'église. Les mêmes plaintes retentissent dans tous les conciles du treizième siècle. Enfin un pape proclame dans une bulle solennelle la haine des laïques contre les clercs, en affirmant qu'elle a toujours existé.

Rien de plus naturel que l'hostilité des barons et des clercs, car il y avait entre eux rivalité d'intérêt et d'ambition. Le cri de Chilpéric : voilà l'Église qui absorbe notre fisc, ne cessa de retentir dans l'âme des maîtres du sol pendant tout le moyen-âge. Lors de la lutte entre Henri II et Thomas Becket, tout le baronnage d'Angleterre prit parti pour le roi. En 1281, l'archevêque de Cantorbéry se plaint que les barons ne cessaient de fouler aux pieds la liberté de l'Eglise. C'est que cette prétendue liberté était l'usurpation de la puissance souveraine; le baronnage avait le même intérêt que le roi à résister aux entreprises des clercs; c'était son devoir et sa mission. Nous avons dit qu'en France, les barons se liguèrent contre les empiètements du sacerdoce. La papauté parvint à dissoudre les ligues, mais elle fut impuissante à déraciner les sentiments qui les avaient provoquées; ils reparaissent au quatorzième siècle avec une vivacité nouvelle. Le Songe du Vergier nous apprend ce que les chevaliers pensaient du clergé : « Ils déprisent les clercs et ont leur vie en très-grand reproche. Si vous les voulez croire, ils établiront une loi que nulles dimes ne payeront, que à sainte Église point n'obéiront, que nul excommuniement ne craindront, qu'ils battront et roberont prêtres et clercs, et que tout ce que leurs ancêtres ont donné à l'Église ils rappelleront et à leur domaine appliqueront.» Les barons avaient pour eux la force; ils en abusèrent, pour commettre des violences journalières contre le clergé. On comprend qu'ils se soient jetés sur les biens ecclésias

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