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du passé profite à la société actuelle. L'Église ne prétend plus à la juridiction, parce que la souveraineté des nations ne lui permet pas de revendiquer le pouvoir souverain; mais c'est toujours au nom de la charité qu'elle demande à intervenir dans la bienfaisance publique, c'est au nom du salut qu'elle demande à diriger l'enseignement. Allons au fond des choses et ne nous laissons pas tromper par les mots; nous trouverons que l'Église est au dix-neuvième siècle ce qu'elle était au moyen-âge : le masque seul a changé. Elle a toujours la liberté à la bouche, mais cette liberté signifie domination et assujettissement de l'État. Glorifions donc les légistes qui ruinèrent la puissance de l'Église au nom du droit et de la raison écrite. En vain l'on essaie de relever les ruines du passé; la société, dans la conscience de sa souveraineté et de sa force, ne supportera pas un joug que la société, dans son enfance et sa faiblesse, n'a pas voula supporter.

III. Lutte des légistes contre l'Église.

La juridiction est un des attributs essentiels de la souveraineté. Au moyen-âge, elle en était pour ainsi dire la marque caractéristique. La puissance souveraine était divisée entre les barons. Chef de la hiérarchie féodale, le roi était comme tel le représentant suprême de l'idée de la justice. Lorsque, au douzième siècle, les communes prirent une place dans la société féodale, elles eurent par cela même une part dans la distribution de la justice. La juridiction ecclésiastique était une usurpation de la souveraineté; elle devait avoir pour ennemis tous ceux qui à un degré quelconque participaient au pouvoir souverain. La guerre des rois, des barons et des communes contre l'Église était donc inévitable. C'était une lutte d'influence et de pouvoir, mais c'était aussi une lutte d'argent; c'est ce qui lui donna cette âpreté qui afflige les historiens catholiques : « L'Église, dit Fleury, défendit sa juridiction avec la même chaleur que si le dogme avait été en cause. » En apparence, la juridiction touchait à la foi, puisque les conciles en rapportaient l'origine à Dieu. Mais au moyen-âge, comme de nos jours, le nom de

Dieu servait à couvrir des intérêts terrestres. Les prélats gallicans eux-mêmes en convinrent à l'assemblée de 1329 : « Si l'on nous ôtait la juridiction, disaient-ils, nous serions plus pauvres et plus misérables que les laïques, car c'est dans la justice que consiste une grande partie de nos revenus. » Ce qui était vrai du clergé, l'était aussi des barons et des communes.

Comment l'Église a-t-elle pu résister à tant d'ennemis? Ses adversaires étaient faibles, parce qu'ils étaient divisés. Les rois prenaient rarement parti contre le clergé; défenseurs-nés de l'Église, ils avaient intérêt à la ménager, car la guerre entre la royauté et le sacerdoce tournait rarement au profit des princes. Les barons se montrèrent plus entreprenants; leurs intérêts et les prétentions de l'Église se heurtaient à chaque instant. Des collisions journalières étaient inévitables. Pendant tout le cours du treizième siècle, on voit les barons s'agiter en France. En 1219, ils adressent des plaintes au roi; en 1225, ils reviennent à la charge dans une assemblée des grands du royaume. Dix ans plus tard, nouvelles réclamations; les seigneurs cherchent à confondre leur cause avec celle du roi; ils le supplient de conserver en leur entier les droits du royaume et les leurs contre les envahissements du clergé. Louis IX donna gain de cause aux barons dans une ordonnance sur la juridiction ecclésiastique qui excita la colère de Grégoire IX. Le pape écrivit au jeune roi pour lui apprendre que Dieu avait confié à son vicaire tout ensemble l'empire terrestre et le céleste; il lui reproche de vouloir réduire l'Église en servitude; il finit par le menacer de l'excommunication. Fleury dit que saint Louis ne révoqua point son ordonnance, et qu'il fut toujours attentif à réprimer les entreprises de son clergé. L'ordonnance de Louis IX ne porta pas remède au mal; le mal était dans le principe de la juridiction ecclésiastique, que le roi ne pouvait pas songer à abolir. Les barons finirent par se conjurer contre l'Église; en 1246, ils formèrent une ligue, dont l'acte respire à chaque mot la haine et le mépris du clergé : « Après nous avoir déçus par une feinte humilité, les clercs s'élèvent maintenant contre nous avec la cautelle des renards et s'enflent d'orgueil... Que les clercs enrichis par notre appauvrissement retournent à

l'état de l'Église primitive; qu'ils nous laissent la vie active, et que vivant de la contemplation, ils nous fassent revoir enfin les miracles qui depuis longtemps ont disparu de ce monde. » C'était le hardi manifeste d'une véritable guerre; les confédérés élurent des chefs, qu'ils chargèrent de veiller aux intérêts communs, en les autorisant à ordonner des levées d'hommes et d'argent. Comment se fait-il que cette puissante ligue n'aboutit à aucun résultat? Comme seigneurs féodaux, les barons étaient les ennemis naturels du clergé; mais d'un autre côté, ils avaient le plus grand intérêt à maintenir ses richesses et sa puissance, car l'Église plaçait leurs fils et leurs filles qui n'auraient pu prendre part à l'hérédité paternelle, sans ruiner les familles nobles: c'est ce que les prélats dirent ouvertement à l'assemblée de 1329. Cela explique la faiblesse des seigneurs et la force de l'Église.

L'Église avait des ennemis moins haut placés que les barons et bien plus dangereux, c'étaient les légistes. Il y a toujours eu une antipathie instinctive entre les gens d'Église et les hommes de loi. L'opposition tient à leurs études, à leurs tendances, à leur génie. Les uns procèdent de la Bible, les autres de Justinien; ceux-là cherchent à élever l'Église et son chef le pape au-dessus des rois, en vertu d'un prétendu droit divin; ceux-ci ne connaissent d'autre souverain que le prince, d'autre droit que la loi écrite; les premiers veulent absorber l'État dans l'Église, les derniers veulent dominer l'Église au nom de l'État. Cette contrariété de principes explique et justifie suffisamment la lutte des clercs et des légistes. On l'a rabaissée en imputant des sentiments de jalousie et de haine aux hommes de loi; on pourrait faire le même reproche aux gens d'Église qui avaient aussi leur ambition et leur cupidité. La lutte touchait de trop près aux intérêts matériels, pour ne pas exciter de mauvaises passions; mais il y avait au fond des intérêts plus élevés. Les juristes étaient les défenseurs du droit, de l'État, de la société laïque; la royauté ou l'empire était leur idéal, et cet idéal est vrai en ce sens que la souveraineté appartient à la nation. C'est l'idée de l'État qui fait leur force et qui donne de la grandeur à leur cause; c'est parce qu'ils étaient les

organes de l'État, qu'ils l'emportèrent sur leurs puissants adver

saires.

Ce n'était pas une petite entreprise que d'entamer la juridiction ecclésiastique. La liberté de l'Église et son droit divin étaient une formidable réalité au moyen-âge. Quand le pape, du haut de la chaire de saint Pierre, accusait les juges laïques qui usurpaient les priviléges des clercs d'être ennemis de Dieu, et les menaçait de la vengeance céleste, le cœur devait manquer aux plus intrépides. Les légistes eurent soin de ne pas attaquer ouvertement l'autorité de l'Église; ils la combattirent avec les armes que leur fournissait leur profession. C'était chez eux un vrai système on le voit par un mémoire qu'un avocat du roi écrivit à Philippe le Bel. La ruse vainquit la force. Il faut ajouter que la force de l'Église avait ses écueils. Les richesses du clergé qui faisaient sa puissance, étaient en même temps un principe de faiblesse, parce qu'elles donnaient prise à ses habiles adversaires.

L'Église était riche, elle avait des droits et des priviléges, mais la force matérielle lui faisait défaut pour le maintien de ce qu'elle appelait sa liberté la force se trouvait précisément dans les mains de ceux qui étaient intéressés à en user contre le clergé. D'après la théorie des deux puissances, les juges laïques auraient dû user de leur pouvoir pour défendre l'Église; mais c'étaient eux-mêmes qui l'attaquaient; pour peu que la royauté favorisât leurs entreprises, ils devaient l'emporter sur des adversaires sans défense. Que pouvait faire l'Église? « Les baillis se moquaient des excommunications et y répondaient par la saisie du temporel des évêques; ils saisissaient jusqu'aux dîmes; ils mettaient des garnisaires dans les demeures des prélats, en sorte que ceux-ci ne savaient plus où reposer leur tête; quand la saisie était levée, ils se faisaient encore payer des frais pour leurs dilapidations. » Telles sont les plaintes adressées par les évêques à Philippe le Bel. Le roi n'y fit droit qu'en apparence; il paya les prélats de belles paroles et laissa le champ libre à ses légistes.

Au quatorzième siècle, la lutte change de caractère; les légistes enhardis attaquent la juridiction ecclésiastique comme une usurpa

tion. La convocation des prélats français en 1329 est un fait d'une haute gravité. Tout en reconnaissant le principe de la juridiction ecclésiastique, Pierre de Cugnières laissa tomber des paroles menaçantes; il parla de droits que le roi ne pouvait abdiquer, parce qu'ils étaient de l'essence de la royauté; il dit qu'on ne pouvait pas davantage prescrire ces droits, parce qu'ils étaient imprescriptibles. Les évêques sentirent le danger de leur position; rien qu'en se défendant, ils compromettaient leur droit divin; de là leurs vives protestations : « Notre défense, dirent-ils, ne doit pas être considérée comme une soumission à la décision du roi; nous ne pouvons rien céder de notre droit, parce que ce droit vient de Dieu; nous le défendrons au besoin jusqu'à la mort. » Pierre de Valois, placé entre deux influences contraires, ne décida rien. Mais l'attaque seule de Pierre de Cugnières était un danger rien ne l'atteste mieux que la haine du clergé pour l'intrépide défenseur du droit de l'État. L'avocat du roi était digne de cette haine; c'est à son initiative que Pasquier rapporte l'appel comme d'abus, qui est au fond la revendication de la suprématie de l'État sur l'Église.

Dans les conférences de 1529, l'organe des légistes cria à la spoliation. Durand, évêque de Mende, nous dira qui était le spolié : « De même que le loup mange l'agneau pièce à pièce, de même les seigneurs temporels s'emparent pièce à pièce de la juridiction de l'Église, en ce qui concerne le temporel. » Le célèbre canoniste aurait pu, à tout aussi bon droit, comparer les légistes aux renards; ils employaient tantôt la ruse et la chicane, tantôt la violence pour ruiner la juridiction ecclésiastique. Les conciles firent entendre des plaintes lamentables sur l'usurpation journalière des juges laïques. En un certain sens, les légistes étaient usurpateurs, puisque l'Église se trouvait en possession; mais cette possession était elle-même une usurpation, car la juridiction est le premier droit et le premier devoir de l'État. Au fond, les légistes avaient donc raison, bien qu'ils eussent tort dans la forme. L'État l'emporta sur l'Église. Cependant la victoire ne fut décidée qu'au seizième siècle, sous le contrecoup de la réformation; mais ici, comme en toutes choses, les réformateurs ne firent que consacrer les conquêtes de l'esprit

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