Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

butions publiques sont remplacées par des redevances féodales; l'Église seule perçoit un impôt véritable. Il a fallu que les peuples fussent bien convaincus du droit divin du clergé, pour subir le lourd fardeau qu'il leur imposait. L'Église ne manqua aucune occasion d'inculquer cette croyance aux esprits dans tous les canons, dit Thomassin, les dîmes sont fondées sur l'Écriture. Il est inutile d'accumuler des témoignages le caractère divin de cette odieuse contribution se révèle dans toutes les dispositions qui y sont relatives. Les conciles ne cessent de déclarer que les dimes sont dues pour le salut des âmes : le salut éternel est-il intéressé dans une contribution ordinaire? Celui qui refuse d'acquitter la dime, lèse le droit de Dieu, dit le concile de Marseille en est-i de même de celui qui ne paie pas ses patentes? Les fidèles récalcitrants pèchent mortellement, dit le même concile; voilà la dîme mise sur la même ligne qu'un article de foi en est-il de même de l'impôt foncier? Pour qu'il n'y ait aucun doute sur le caractère sacré de la dîme, l'Église rejette de son sein et livre aux démons celui qui refuse de l'acquitter: ceux qui ne payent pas les droits d'enregistrement ou les éludent, seraient-ils aussi damnés? Enfin l'Église lie l'avenir, comme elle charge le présent. Les lois ordinaires changent, et même les lois fondamentales; le temps anéantit par la prescription les droits les plus sacrés: mais peut-on prescrire contre Dieu? Par la même raison, aucune désuétude ne peut être opposée à l'Eglise, car les dimes sont de droit divin, dit saint Thomas qui oserait abroger ce que Dieu a décrété? Voilà donc l'humanité liée pour l'éternité par une loi d'impôt comme par le dogme. Heureusement l'éternité est un mot vide de sens, quand ce sont les hommes qui le prononcent. Le droit divin de l'Église sur les biens est abandonné par l'Église même, et pour maintenir son dogme, elle est obligée de recourir à mille distinctions, afin de le concilier avec les tendances progressives de l'humanité.

:

II.

Les dimes sont la marque de la souveraineté de l'Église comme l'impôt est la marque du pouvoir souverain de l'État. Mais la puissance de l'Église repose sur un faux titre; l'humanité, par l'organe de l'Assemblée Constituante, a revendiqué ses droits et les a déclarés inaliénables et imprescriptibles. Cette souveraineté est réellement divine, car elle est de l'essence des nations, et les nations sont de Dieu. Comment la puissance de l'Église subsisterait-elle en face de l'État? Deux souverains ne peuvent pas coexister. Voilà pourquoi le droit divin de l'Église n'a jamais eu l'assentiment des peuples; ils ont toujours protesté contre sa domination, tantôt par la violence, tantôt par la ruse.

A peine les dimes furent-elles établies, que les laïques s'en emparèrent; les conciles cherchèrent en vain à arrêter les usurpateurs en les déclarant coupables de sacrilége; les évêques eux-mêmes donnèrent les dîmes en fief à leurs vassaux, pour se les attacher. Au point de vue du droit divin, ces concessions étaient nulles; l'Église protesta, mais elle fut obligée de donner sa sanction aux faits accomplis, en reconnaissant la validité des dimes inféodées. La violence continua pendant tout le moyen-âge : « Bien que les dimes appartiennent par droit divin aux clercs, disent les conciles, nous voyons avec douleur que la cupidité pousse des laïques à enlever à l'Église un droit que Dieu s'est réservé comme marque de sa souveraineté; on dirait qu'ils veulent renoncer à la foi qu'ils ont professée dans le baptême. » Quand l'usurpation ne réussissait pas, les seigneurs entravaient la perception des dimes; ils allèrent jusqu'à défendre à leurs vassaux de les payer. Les seigneurs revendiquaient instinctivement les droits de l'État, mais ils n'étaient pas assez forts pour lutter avec l'Église. Malgré ces entraves et ces troubles, le clergé resta en possession des dîmes. Les fidèles, il est vrai, avaient recours à mille chicanes, à mille ruses, pour échapper à cette lourde charge ou pour l'alléger; mais le droit de l'Eglise resta sauf; les terreurs de l'enfer brisèrent les résistances individuelles. Quant à l'État, il laissa à l'Église ses riches revenus, en se

déchargeant sur elle d'une partie de ses obligations. L'Église était, en droit du moins, une institution de charité; cela explique comment, dépouillée de son immunité et de sa juridiction, elle conserva ses biens et ses dimes. Il a fallu le réveil des nations souveraines, pour replacer le clergé sous l'empire du droit commun. L'abolition des dimes fut un des grands bienfaits de la révolution.

No 2. Les priviléges des clercs.

I. L'immunité des clercs.

La distance immense qui sépare les clercs de la masse des fidèles devait conduire, les circonstances historiques aidant, à affranchir les élus du Seigneur de la juridiction séculière. L'auteur des fausses décrétales nous fait connaître le fondement de ce privilége: «Les clercs sont les hommes de l'esprit, les laïques les hommes de la chair comment la matière jugerait-elle l'esprit? comment les inférieurs jugeraient-ils les supérieurs? Les clercs sont les organes de Dieu, leurs causes sont donc les causes de Dieu : quel est l'homme présomptueux qui oserait se faire le juge du Tout-Puissant?» Logiquement, l'immunité des clercs doit donc exister dès qu'il y a des clercs; aussi l'auteur des fausses décrétales n'hésite-t-il pas à la faire remonter jusqu'à saint Pierre. Après avoir falsifié l'histoire, il ne restait qu'à falsifier les lois. C'est ce que fit le compilateur du droit canonique. Gratien fonde l'immunité du clergé sur les fausses décrétales, sur une loi de Théodose, confirmée par Charlemagne, dont l'authenticité est au moins douteuse; enfin sur une novelle de Justinien qu'il tronque, en lui faisant dire tout le contraire de ce qu'elle dit. Le faux passa en droit.

Sans vouloir excuser et bien moins encore justifier le crime des faussaires, l'on peut dire que l'immunité du clergé avait sa raison d'être au moyen-âge. Les clercs représentaient ce que la société possédait d'intelligence et de moralité, tandis que la société laïque était en proie à l'empire de la violence : l'intelligence et la moralité pouvaient-elles se soumettre à la force? Cette justification de l'immunité n'est pas une hypothèse moderne, elle date de la féodalité.

Les écrivains ecclésiastiques ne parlent qu'avec mépris des tribunaux séculiers. Étienne de Tournay dit que les clercs, traduits devant des magistrats laïques, sont jugés par des hommes qui ignorent les lettres et qui haïssent les lettrés. La barbarie de la justice féodale, les épreuves superstitieuses du feu et de l'eau, sont invoquées par les conciles et par les papes pour légitimer l'immunité du clergé.

La barbarie passa, les légistes prirent la place des barons féodaux, le droit de Justinien décida les procès au lieu du combat judiciaire. Cependant le clergé continua à soutenir son droit divin. Malheur au téméraire qui osait mettre la main sur un oint du Seigneur! l'Église lançait toutes ses foudres contre le coupable. Le moyen-âge passa et l'Église revendiqua toujours son immunité comme un droit divin. Encore à la veille de la réformation, le concile de Latran publia une constitution de Léon X pour confirmer l'immunité des personnes ecclésiastiques. C'est l'histoire de tous les priviléges et de tous les privilégiés : ce qui était le résultat de circonstances passagères, est considéré comme un droit sacré. Mais quand les circonstances se modifient, le privilége devient un abus ; des droits qui, lorsqu'ils prirent naissance, étaient légitimés par la nécessité, deviennent funestes quand l'état social change. Voilà comment il arrive que l'historien approuve tout ensemble et désapprouve les mêmes institutions; ceux-là seuls qui ignorent les lois du développement de l'humanité lui feront un reproche de ces apparentes contradictions.

II. Réaction de l'État.

Toute personne doit être soumise à l'action de la justice pénale, sinon l'existence de la société serait compromise. L'immunité des clercs est en opposition ouverte avec ce principe, car elle conduit nécessairement à l'impunité des criminels qui appartiennent au clergé. Il est vrai que les clercs coupables étaient soumis à la justice ecclésiastique, mais cette justice différait tellement de la justice laïque, qu'il en résultait une espèce d'impunité pour ceux-là mêmes qu'elle frappait. La peine est infligée au coupable pour garantir

l'ordre social qu'il a lésé par son délit. Si, une fois la peine prononcée, la société cherche à réformer le condamné, cette œuvre de correction n'est qu'accessoire. Tel n'est point le sentiment de l'Église : sa justice n'a pas pour but de punir, mais de corriger; si elle inflige un mal au coupable, c'est dans l'intérêt du coupable lui-même. Elle use de cette indulgence pour les plus grands criminels; elle ne les soumet qu'à une pénitence, parce qu'à ses yeux la pénitence vaut mieux que la mort. L'Église ne désespère pas de l'amendement des coupables: combien n'y a-t-il pas de voies de salut? Mais ces voies ne sont ouvertes que dans la vie présente; il faut donc sauver la vie aux criminels de crainte que leur supplice ne les livre aux feux éternels de l'enfer. Telle est la théorie de la justice chrétienne. Elle a réalisé un grand progrès dans le développement du droit. La justice des anciens ressemblait à une vengeance. Le christianisme se préoccupe de l'homme dans le coupable; c'est pour lui une âme égarée, qu'il faut remettre dans la voie du salut. Cette idée est digne de la religion qui l'a inspirée; aussi a-t-elle survécu au pouvoir de l'Église, elle domine aujourd'hui dans nos systèmes pénitentiaires. Mais la correction ne doit pas empêcher la peine; elle n'en doit être qu'un élément; si elle absorbe la peine, il n'y a plus de justice, il y a impunité légale, et par suite la société est en danger. C'est ce qui arriva au moyen-âge.

Indulgente pour tous les criminels, l'Église l'est surtout, quand il s'agit d'un de ses membres. Les clercs sont les élus du Seigneur: affaiblir leur caractère sacré, c'est ruiner l'autorité de l'Église. De là le soin qu'elle prend de cacher leurs fautes aux yeux des fidèles; elle ne veut pas même qu'ils soient condamnés à une pénitence publique quoique coupables, ils paraissent dans les processions revêtus de l'aube blanche, marque d'une vie sans tache. Quand un prêtre a commis un de ces crimes énormes qui le rendent indigne de sa haute mission, l'Église se borne à le dégrader, mais elle s'oppose à ce qu'il subisse la moindre peine. Un pape nous dira jusqu'à quel excès l'on poussait l'indulgence. Célestin III décréta que l'on dégraderait les clercs convaincus d'homicide ou de vol; que s'ils ne se corrigeaient pas, on les excommunierait; que si leur dureté persévérait encore, on les frapperait du dernier anathème;

« ZurückWeiter »