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réguliers; mais dès qu'elle sortait des limites de son existence ordinaire, ses besoins étaient ceux de tout état, et elle y pourvoyait en demandant des sacrifices à ses membres. Le sol, seule richesse du moyen-âge, était en grande partie dans les mains de l'Église; comment aurait-elle échappé aux charges qui grèvent la propriété du sol? Malgré sa résistance, elle dut payer la dime saladine; ce fut le principe d'une imposition qui finit par devenir régulière. On leva des dimes pour toutes les croisades; quand les guerres saintes cessèrent, on continua à en lever pour les besoins de l'État. Les décimes ecclésiastiques ne différaient de l'impôt que par le nom.

L'Église n'avait qu'un privilége; son consentement était requis pour légitimer les charges qu'elle supportait. Ce privilége était au fond un droit commun; par cela même il ne pouvait pas aller jusqu'à un refus absolu de concours. Le plus hautain des papes, Boniface VIII, fut obligé de reconnaître que l'imposition de l'Eglise était une question de nécessité. Philippe le Bel ayant levé un impôt sur le clergé, le pape lança la fameuse bulle où il constatait l'antique haine des laïques contre les clercs; il voyait une preuve manifeste de cette inimitié dans les édits du roi qui chargeaient le clergé, bien que les princes n'eussent aucune puissance ni sur les personnes ni sur les biens ecclésiastiques. Philippe le Bel soutint avec fermeté le droit de l'État : « Les clercs, dit-il, sont membres de la société comme les laïques, et par conséquent obligés de contribuer à sa conservation; leur défendra-t-on de supporter une part dans les besoins publics, tandis qu'on leur permet de donner le patrimoine des pauvres aux bouffons, et de le dépenser en vanités et en superfluités de toute espèce?» Boniface convint qu'en cas de nécessité, le roi pouvait demander un subside au clergé, sans même consulter le pape.

Si l'on fait abstraction des formes, on peut dire que les libéralités de l'Église étaient une vraie obligation. Le consentement de la nation est aujourd'hui requis pour toute imposition; est-ce à dire que les contributions des citoyens soient un purdon? C'est un don forcé, et il en était de même au moyen-âge. Cependant il n'a pas tenu au clergé que son exemption devint une réalité. Si on l'avait écouté, il se serait retranché derrière sa liberté pour se soustraire à toute

espèce de charges, même aux plus sacrées. Ce n'est pas nous qui lui adressons ce reproche, l'accusation vient d'un pape. Quand Clément IV accorda à saint Louis un décime des revenus ecclésiastiques pour la guerre sainte, les prélats de France réclamèrent en remontrant au saint Père que la perte de Jérusalem provenait des servitudes que l'on imposait à l'Église. Clément leur répondit durement: «Est-ce une servitude, dit-il, que de donner une petite partie de ses revenus en faveur d'une cause, pour laquelle le Fils de Dieu a versé tout son sang? n'est-ce pas plutôt une avarice sordide de refuser une petite somme d'argent en faveur d'une cause pour laquelle un saint roi et tous les grands du royaume exposent leur vie? » L'égoïsme du clergé éclatait aussi souvent que l'occasion s'en présentait. En vain les princes invoquaient-ils les plus pressantes nécessités; les prélats disaient qu'ils compatissaient aux malheurs publics; mais pour les soulager ils ne voulaient donner autre chose que des larmes et des prières; à leurs yeux, l'immunité, ce qu'ils appelaient la liberté de l'Église, allait avant les intérêts temporels. Leur opposition devait céder devant l'autorité des rois; mais là où les clercs en avaient la puissance, ils résistèrent. Dans leur isolement, les communes étaient faibles en face de la forte unité de l'Église. Le clergé mit son influence à profit pour soutenir dans l'intérieur des cités l'immunité des charges qui lui était si chère.

Les clercs qui habitaient les villes y jouissaient des bienfaits que l'État assure à ses membres : la police protégeait leurs personnes et leurs biens; en défendant la cité contre les brigandages de la féodalité, les milices communales défendaient en même temps les clercs. Quoi de plus juste que de contribuer aux dépenses dont ils profitaient? Cependant les conciles accablent de leurs foudres les communes qui osent imposer le clergé; ils cassent en termes violents les statuts contraires à la liberté de l'Église; ils traitent les auteurs de ces ordonnances « d'hommes irréligieux qui, foulant aux pieds toute crainte de Dieu, se tournent contre leur sainte mère l'Église »; ils les menacent des peines terribles dont Dieu frappa les Égyptiens pour avoir soumis le peuple d'Israël à une injuste servitude. Un des plus singuliers reproches que les conciles font aux communes, c'est la cupidité; ils ne trouvent pas d'expres

sions assez fortes pour flétrir cette insatiable passion qui,« semblable à la sangsue, ne se repaît jamais. » Et quel était donc le mobile de l'Église? Il est vrai que le clergé a toujours à sa disposition le mot de charité pour couvrir son égoïsme; à l'entendre, il défendait le patrimoine des pauvres contre la rapacité des laïques. Mais qui ne voit, comme le dit Gerson, que les clercs ajoutaient à la cupidité un vice plus honteux encore, l'hypocrisie?

L'Église ne voulait point se soumettre aux charges publiques, tout en invoquant la protection de l'État. Les communes usèrent de représailles. Puisque les clercs n'étaient pas citoyens pour les charges, ils ne devaient pas réclamer les droits des citoyens. De là l'espèce d'excommunication dont on frappa le clergé. Les Italiens prirent l'initiative. En 1218, l'évêque de Fano ayant refusé de contribuer aux frais des fortifications, le podesta défendit de lui vendre des vivres; la défense fut si bien observée, que le prélat manqua de mourir de faim. Au grand scandale de l'Église, l'exemple des cités italiennes trouva des imitateurs en France. En 1259, le comte d'Angoulème défendit, sous peine de confiscation, de vendre des vivres aux clercs, et de leur acheter quoi que ce fût; il leur défendit même de puiser de l'eau dans les fontaines publiques. Ainsi mis hors la loi, le clergé fut obligé d'abandonner la ville. Les évêques se plaignirent de ce procédé inouï comme « d'une chose monstrueuse >> ils s'adressèrent au pape pour lui dénoncer « ce fait lamentable et horrible »; ils le supplièrent « avec larmes, soupirs et véhémente douleur d'apporter à cette nouvelle peste un tel remède, que la peine terrible qui frapperait les coupables servit d'exemple aux impies »; ils représentèrent aux cardinaux que l'existence de l'Église et l'avenir même de la foi chrétienne étaient en cause. Cette guerre de représailles, déplorée comme une innovation criminelle, devint bientôt générale; elle dura aussi longtemps que les clercs refusèrent de plier sous la loi commune.

L'Église soutint son immunité divine jusqu'au bout; elle ne céda que sous le coup de la réforme. Nulle part le clergé n'avait plus de puissance qu'en Allemagne; nulle part sa résistance ne fut plus longue, plus obstinée. Là où les terres du clergé consistaient en vignobles, il se faisait marchand et débitant de vin pour

en tirer profit n'était-il pas juste que comme tel il fût régi par la loi générale? Cependant il s'y refusa pendant des siècles, hautain et arrogant, quand les communes étaient faibles, cédant et transigeant quand les communes étaient fortes. Nous avons raconté ailleurs les détails de la lutte (1). Elle est pleine d'enseignements. On voit ce qu'était en fait l'exemption dont par une espèce de sacrilége on voulait faire remonter l'origine à Dieu : les chanoines étaient marchands de vin, et ils usaient de l'immunité dans l'intérêt de leur débit. Le droit divin de l'Église aboutissait donc à transformer les clercs, ces élus de Dieu, en marchands de vin privilégiés! Est-ce dans ce but que Jésus-Christ avait fondé son Église?

S III. La domination de l'Église.

No 1. Les dîmes.

I.

Les dimes sont le souvenir le plus odieux qu'ait laissé le régime aboli par la révolution; il suffit de faire craindre aux populations des campagnes le rétablissement de cet impôt vexatoire pour les soulever contre le clergé, même là où il règne encore sur les esprits. Effrayée de cette impopularité, l'Église répond à ceux qui lui opposent l'immutabilité de son institution divine, que les dimes ne sont pas un droit divin. Nous allons voir que cette excuse est en contradiction ouverte avec les témoignages historiques; elle ne prouve qu'une chose, c'est que le clergé est obligé de renoncer à son prétendu droit divin, précisément dans un point où il a pour lui le texte d'une Écriture révélée. Il n'y a point de subtilités qui puissent pallier l'inconséquence de l'Église; elle est entraînée malgré elle dans le mouvement général qui emporte le monde. En vain prétend-elle être immuable; le privilége qu'elle a revendiqué pendant des siècles comme un droit divin, elle l'abandonne sous la pression de cette loi du progrès qu'elle nie et qui la domine cependant, quoi qu'elle fasse et quoi qu'elle dise.

(1) Voyez mon Étude sur l'Église et l'État.

Le droit du clergé aux dimes est écrit dans les livres saints. Dès les premiers siècles, les Pères de l'Église le réclamèrent, et parmi eux, un des esprits les plus libres du christianisme : Origène démontre longuement que la loi de Moïse touchant les décimes doit toujours être observée, comme émanant de Celui qui nous ayant tout donné, a pu s'en réserver une partie. Un sentiment chrétien se mêla à ce souvenir du judaïsme. L'idée d'une contribution imposée aux fidèles pour nourrir les clercs répugnait à l'essence même de l'Évangile; elle n'aurait pu d'ailleurs se réaliser dans les premiers siècles. Tant que la chrétienté fut une association persécutée par la société païenne, les dimes ne pouvaient être qu'une aumône. Elles restèrent une aumône, même après que les empereurs chrétiens eurent fait au clergé une large place dans l'État. Pourquoi saint Jérôme et saint Augustin disent-ils que les fidèles sont tenus de donner la dime de leurs biens à l'Église? Parce que « JésusChrist veut que ses disciples vendent tous leurs biens et les distribuent aux pauvres. Le moins donc qu'ils puissent faire est de leur donner une partie de ces biens. » Si la dime avait conservé le caractère que lui donnent les Pères de l'Église, elle n'aurait soulevé ni opposition ni haine, car elle était essentiellement volontaire, comme toute œuvre de charité. Mais le clergé ne l'entendait pas ainsi. La dime volontaire n'était qu'une utopie; elle ne fut pas payée, pas même lorsque les conciles en eurent fait une loi. En déclarant les dimes obligatoires, les conciles en changèrent la nature l'œuvre de charité devint un impôt. Mais pour asseoir un impôt, l'Église avait besoin du concours de l'État; elle trouva dans Charlemagne un prince disposé à lui prêter son appui. Cependant les populations résistèrent; pour vaincre leur opposition, il fallut effrayer les esprits par l'effet visible de la colère de Dieu. Le clergé ne recula pas devant cette fraude pieuse : le concile de Francfort proclama que l'on avait trouvé des épis de blé dévorés par les démons, et que l'on avait entendu ceux-ci reprocher aux fidèles de n'avoir pas payé la dîme. Malgré tous ces efforts, la dime resta le plus impopulaire des impôts; encore au dixième siècle, les paysans laissaient leurs champs incultes, pour se dispenser de le payer.

A l'époque où les dîmes s'établissent définitivement, les contri

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