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dant le moyen-âge, la théologie absorbait la philosophie à tel point, que toute science lui était subordonnée. Au quatorzième siècle, la philosophie, en se séparant de la théologie, sécularisa la science; la raison reprit son indépendance. Quant à la théologie, déclarée incompatible avec la raison, ou au-dessus de la raison, elle fut désertée par cela même, et elle perdit insensiblement son autorité. La philosophie maintint en face de l'Église le droit de la libre pensée telle est la gloire de la scolastique. D'où lui venait cet élément de liberté, si étranger au catholicisme? C'était un legs de l'antiquité; quelques rayons de la philosophie grecque qui percèrent à travers les nuages de la barbarie féodale, suffirent pour illuminer les esprits et pour empêcher la domination absolue du catholicisme. L'influence d'Aristote interprété par les Arabes ne fut pas seulement une influence d'initiation; il déposa dans les esprits des germes de doctrines anti-chrétiennes qui conduisirent à une opposition radicale contre l'orthodoxie catholique. De là procède le courant d'incrédulité philosophique qui commence dès le douzième siècle et se prolonge jusque dans les temps modernes. L'incrédulité ne date pas du dix-huitième siècle, elle date du moyen-âge. Ce n'était pas l'aberration de quelques philosophes; l'incrédulité pénétra dans les mœurs, elle se révéla dans la littérature populaire, elle se manifesta par l'indifférence et le scepticisme. Cela s'explique plus facilement qu'on ne le croit. Une religion qui impose à la raison des croyances que la raison ne peut admettre, aboutit fatalement à l'incrédulité. Les deux extrêmes se touchent. Plus le catholicisme était superstitieux, plus la réaction devait être passionnée. La plus sanglante injure que l'on ait adressée au Christ ne vient pas des libres penseurs; c'est le moyen-âge qui a placé le Fils de Dieu parmi les Imposteurs avec Moïse et Mahomet. L'incrédulité n'est pas un mouvement purement négatif : quand la raison se détache de toute religion, c'est que les religions positives ne la satisfont point. Mais la critique, quelque amère qu'elle soit, implique l'aspiration à une religion plus parfaite, et souvent elle contient même les éléments d'une nouvelle croyance. Il en fut ainsi du paganisme qui sembla renaître au quinzième siècle, avec la littérature de la Grèce. C'était une réaction excessive contre le spiritua

lisme chrétien, le désir instinctif d'une religion qui donne satisfaction à tous les besoins de l'humanité cette religion ne pouvait être celle du seizième siècle, ce sera la religion de l'avenir.

III. La Réforme et le moyen-âge.

Ainsi il y a deux mouvements au moyen-âge; l'un tend à réformer le catholicisme, l'autre dépasse le christianisme pour aboutir, soit à la philosophie ou à une nouvelle religion, soit à l'indifférence et à l'incrédulité. Le mouvement réformateur était légitime. Le catholicisme, par sa tendance à tout rapporter à des œuvres extérieures, compromettait l'existence même de la religion et de la moralité. Sans une réformation, la chrétienté aurait moisi dans une superstition pire que le paganisme, car le paganisme respectait au moins la liberté de l'esprit humain, tandis que le catholicisme menaçait de la détruire. Mais s'il importait de réformer l'Église, il était tout aussi nécessaire d'arrêter le mouvement anti-chrétien des sectes, de la philosophie et de l'incrédulité. Le temps d'une religion supérieure au christianisme n'était pas arrivé; ceux qui y aspiraient n'avaient que de vagues instincts; leur charité conduisait à l'abdication de l'individualité et à la communauté universelle, c'est-à-dire à la destruction de l'humanité. La philosophie n'avait pas de ces prétentions extravagantes, mais elle présentait un autre danger, c'était d'affaiblir le sentiment religieux; elle n'était pas en état de préparer une nouvelle religion, et de fait elle n'y songeait pas; cependant elle exprimait un besoin légitime en réclamant la liberté de penser. L'incrédulité, en tant qu'elle est une tendance négative, ne pouvait prévaloir, car l'homme ne vit pas de négation, mais de foi.

Tels étaient les éléments religieux et intellectuels de la société chrétienne au seizième siècle : une Église corrompue et une religion dégénérée : une philosophie incrédule et l'indifférence gagnant les masses. Que fallait-il à l'humanité? Une régénération du sentiment religieux qui donnât de nouvelles forces au christianisme, en l'épurant et en le rendant acceptable à la conscience générale. Ce fut l'œuvre de la réforme. De toutes les accusations portées

par un aveugle esprit de parti contre les réformateurs, la plus injuste est celle d'avoir affaibli les croyances religieuses. La mission de la réforme était précisément de retremper le christianiasme; elle le fit en poussant jusqu'à l'excès le dogme de la grâce et de la prédestination, en dépouillant l'homme de la liberté dont il usait si mal. Elle fut tout aussi sévère pour les sectes antichrétiennes du moyen-âge que l'Église orthodoxe; elle rejeta l'idée d'un christianisme progressif et maintint ferme et inébranlable le principe de la révélation. Quant à la philosophie, les réformateurs lui firent une rude guerre en tant qu'elle altérait le sentiment chrétien; la scolastique, même orthodoxe, avait des tendances pélagiennes qui effarouchaient les disciples de saint Paul et de saint Augustin; ils avaient de la peine à considérer comme chrétiens, des hommes qui mettaient la morale d'Aristote sur la même ligne que l'Écriture Sainte. Inutile d'ajouter que l'incrédulité et l'indifférence étaient pour les réformateurs les plus grands des crimes; ils sévissaient contre ceux qui s'écartaient de la doctrine évangélique, avec une rigueur égale à celle que les catholiques mettaient à réprimer les ennemis de l'Église.

La réforme ayant à combattre à la fois une Église corrompue et des tendances antichrétiennes, son rôle était tout tracé. Elle devait réformer en conservant. Les réformateurs furent essentiellement des conservateurs. Bossuet avoue que les protestants témoignèrent dans l'origine une grande vénération pour l'autorité de l'ancienne Église; mais il leur reproche cette modération comme un leurre destiné à tromper les fidèles (1). L'historien des Variations n'a pas vu que la conduite des protestants était mieux qu'une nécessité de position, que c'était une condition de leur existence. Toutes les révolutions doivent avoir un principe conservateur, un lien avec le passé, sinon elles échouent; c'est parce que les sectes du moyenàge étaient trop avancées, trop révolutionnaires, qu'elles ne réussirent point. Les révolutions radicales sont impossibles, car elles conduiraient à la destruction de la vie. Le christianisme a dû

(1) Bossuet, Histoire des Variations, livre III (OEuvres, T. X, p. 112, s. Édit. de Besançon, 1840).

la conscience générale? Si la réforme a été accueillie avec tant
d'enthousiasme, c'est que les esprits y étaient préparés, ils l'atten-
daient. Cela est si vrai, que les réformateurs n'ont rien enseigné
qui n'eût été dit avant eux. Le dogme de la justification par la foi est
professé par les précurseurs que la réforme eut au quinzième siècle
en Angleterre, en Allemagne et dans les Pays-Bas. Des associations
religieuses opposèrent à la religion extérieure de Rome une religion
intérieure, se nourrissant de foi : le mysticisme, qui a de si pro-
fondes racines dans le génie allemand, prépara le peuple à la
réformation du catholicisme. Ainsi s'expliquent les progrès rapides
que fit la réforme dans toutes les classes de la société. Sans cette
longue préparation, la révolution serait inexplicable; elle serait
un miracle, c'est-à-dire qu'elle n'existerait pas.

Est-ce à dire que les réformateurs du seizième siècle ne furent
pour rien dans la révolution à laquelle ils donnèrent leur nom? Nous
ne dirons pas que sans Luther il n'y aurait pas eu de réforme; tout
était mûr pour une révolution; si le moine saxon ne l'avait pas
faite, un autre l'eût faite à sa place. L'influence des hommes de
génie n'est pas aussi grande qu'on le suppose; ils sont l'expression
de l'état social dans lequel ils vivent, en ce sens que s'ils étaient
venus à toute autre époque, ils n'auraient exercé aucune action
sur la société; leur influence est donc due aux circonstances his-
toriques au milieu desquelles ils se produisent; or, ces circonstan-
ces, ce ne sont pas eux qui les font, ils les trouvent en naissant;
c'est l'œuvre de l'humanité qui se développe par ses propres
forces, sous l'inspiration de Dieu. Ce ne sont pas les grands
hommes qui font l'humanité, c'est l'humanité qui fait les grands
hommes. Cela est vrai même pour les plus grands parmi les
grands, les révélateurs. Saint Augustin dit que Jésus-Christ n'est pas
venu plutôt, parce que sa venue eût été inutile, les esprits n'étant
pas encore disposés à recevoir la bonne nouvelle ('); il fallait done
qu'ils fussent préparés par tout le travail de l'antiquité, pour que
la prédication évangélique devint possible. Il en est de même de
Luther; s'il réussit à détacher la moitié de l'Europe chrétienne du

(4) Voyez le T. IV de mes Etudes.

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Saint-Siége, c'est qu'il vint au moment où la révolution était mùre. Cependant en mettant l'humanité au-dessus des grands hommes, nous ne prétendons pas abaisser ces illustres individualités au profit des masses. Les grands hommes sont réellement les élus de Dieu; ils sont les agents de ses desseins et des agents libres: c'est là leur gloire. Parmi les plus illustres de ces élus sont ceux qui donnent le pain de vie à l'humanité : après Jésus-Christ, il n'y en a pas de plus grands que les réformateurs, parce qu'ils ont ranimé le sentiment de la religion, sans lequel il n'y a point de vie.

No 2. La réforme religieuse,

I. Germes de la Réforme.

L'on demande comment la pensée d'une réforme religieuse a pu naître au milieu d'un âge de foi. Nous répondons que le besoin de la réforme est né des abus et des défauts inhérents au christianisme. Il y a un élément superstitieux dans les Écritures Saintes; c'est la marque du temps où ont paru les prophètes et Jésus-Christ. Aucun homme, pas même le plus grand, n'échappe à l'empire des circonstances au sein desquelles il se développe de là l'alliage nécessaire de l'imperfection qui vicie plus ou moins toutes les œuvres humaines. En vain les chrétiens placent-ils leur religion au-dessus de la sphère mobile et troublée où s'agitent les passions; les paroles mêmes de celui qu'ils révèrent comme un Dieu, prouvent qu'il partageait les erreurs et les préjugés de son époque. Qu'on ouvre l'Évangile; à chaque page il est question d'anges et de démons; à chaque page on rencontre des événements impossibles ici c'est Dieu qui s'incarne dans le sein d'une vierge : là Jésus-Christ et les apòtres ressuscitent des morts et imposent leur volonté à la nature. La morale évangélique, quelque pure qu'elle soit, n'est pas à l'abri de tout reproche. Jésus-Christ croit à la fin prochaine du monde; à quoi bon dès lors les soins de la vie? Il faut abandonner, mépriser le monde, pour ne songer qu'à son salut de là un spiritualisme excessif qui détruit les conditions de l'existence, telle que Dieu l'a faite. Les rites institués par Jésus

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