Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

d'adresse; la dépouiller par la force, c'est faire acte de courage et de vertu.» Le clergé chercha une protection contre les usurpations de la féodalité, en prenant des défenseurs dans les rangs mêmes de ses ennemis; mais les patrons ressemblaient trop souvent aux loups chargés de garder des brebis : ils dépouillaient les églises qu'ils devaient défendre. Le concile général de Lyon de 1274 excommunia ces protecteurs infidèles, quels que fussent leur rang et leur puissance. Vaines menaces! Si les anathèmes avaient pu protéger le clergé, il n'aurait pas eu besoin de défenseurs.

Tout le moyen-âge fut pour l'Eglise un temps de lutte contre la violence. Ce n'était pas seulement en Allemagne, où sévissait la guerre du sacerdoce et de l'empire; les plaintes contre l'envahissement des biens ecclésiastiques retentissent dans toute la chrétienté. En France, un synode avoue que c'est la haine du clergé qui anime les spoliateurs. En Angleterre, conciles sur conciles lancent l'excommunication et l'interdit contre les coupables; mais la répétition incessante de ces menaces prouve combien elles étaient inutiles. En Espagne, mêmes plaintes, mêmes peines et tout aussi peu de succès. On se tromperait, si l'on attribuait ces spoliations à l'anarchie du moyen-âge; la féodalité n'est pas le désordre, elle est plutôt un commencement d'ordre. Le treizième siècle est le siècle de saint Louis et de Frédéric II; les idées de droit et de justice prennent la place de la violence individuelle. Si l'Église était sans cesse dépouillée, c'est que la société laïque se trouvait en état de guerre contre l'Église. Ce qui le prouve, c'est que la spoliation continua partout, malgré les progrès de la société dans la voie de la légalité. Les hommes de loi ne vinrent pas en aide à l'Église; ennemis-nés des prétentions du sacerdoce, ils se rangèrent du côté des spoliateurs contre les spoliés. La violence prit un caractère juridique, et elle n'en fut que plus odieuse. Il n'y avait qu'un moyen légitime de lutter contre l'Église, c'était d'arrêter l'accroissement de ses richesses. Aussitôt que l'État se constitue, il sent le danger et il voit le remède. En Angleterre, le parlement prit dès le treizième siècle une mesure qui au quinzième devint le droit commun de l'Europe; il statua que les établissements religieux ne pourraient acquérir à quelque titre que ce fût, qu'avec l'autorisation du roi.

L'Église réclama contre ces restrictions : « N'était-ce pas compromettre le salut des âmes que d'apporter des entraves aux libéralités qui rachètent les péchés? n'était-ce pas une atteinte à la liberté que d'empêcher les testateurs de disposer de leurs biens comme ils l'entendaient?» Ces protestations furent inutiles. Mème au point de vue religieux, les richesses du clergé étaient dangereuses et elles trouvèrent des censeurs dans son sein. Paschal II renonça aux possessions temporelles de l'Église, parce qu'elles empèchaient les clercs de se livrer au soin des choses spirituelles. Ces sentiments ne trouvèrent pas faveur chez les hauts prélats, mais ils furent recueillis avidement par leurs ennemis. Arnauld de Bresse s'en fit une arme contre la papauté. Frédéric II parla de ramener l'Église à sa pureté primitive en lui enlevant les richesses qui l'avaient altérée. Les chrétiens zélés tenaient le même langage: Jean Hus, le plus orthodoxe des réformateurs, disait que dans l'intérêt de la religion, les princes devraient enlever à l'Église les richesses qui la corrompaient. Les vœux du martyr de Constance ne furent pas étouffés dans son sang; ils se firent jour dans des écrits auxquels on attacha le nom d'un empereur pour leur donner plus d'autorité. Un ministre de Sigismond publia un projet de réformation qui ne tendait à rien moins qu'à séculariser tous les biens de l'Église. La réformation de Frédéric III fut plus menaçante encore. L'auteur accuse ouvertement les clercs de s'être emparés des biens des laïques par de mielleuses paroles, par la ruse et la supercherie, en leur faisant croire qu'en donnant leurs biens à l'Église, ils pouvaient acheter le ciel. « Cependant, dit-il, le patrimoine qui devait servir à nourrir les pauvres est distribué à des femmes publiques; le jour de la rétribution approche : les biens dont le clergé a dépouillé les laïques, lui seront enlevés par les laïques. » La réforme ne fit donc que répondre à un vœu général en sécularisant les biens du clergé.

L'Église crie à la spoliation. La sécularisation ne serait en effet qu'un abus de la force, si le clergé était propriétaire absolu. Mais il ne l'est pas; ses biens sont le patrimoine des pauvres, il n'en a que la gestion. L'Église a donc des devoirs plutôt que des droits. Si elle est dispensatrice infidèle, faudra-t-il néanmoins lui laisser la faculté de dilapider des richesses qui ne sont pas à elle? N'ap

partient-il pas à l'État de veiller à ce que les fondations répondent au but pour lequel elles sont établies, et s'il trouve que la destination n'est pas remplie, n'est-ce pas à lui à intervenir? C'est là un principe incontestable en matière de fondations; or les biens de l'Église ne sont que des fondations; le droit de disposition de l'État ne saurait donc être révoqué en doute.

La sécularisation soulève encore une question plus grave. Comme propriétaire, l'Église est une grande institution de charité. Or une expérience séculaire atteste que la bienfaisance catholique crée des pauvres, en détruisant l'énergie individuelle de l'hommę; elle est donc un principe d'appauvrissement et de décadence pour les États. Ainsi, en supposant même que l'Église fit une distribution fidèle des biens qui lui sont confiés, cet emploi serait encore nuisible à la société; il irait même contre l'intention des donateurs, car ceux-ci ont voulu soulager des misères, ils n'ont pas voulu nourrir la fainéantise. Quand des fondations deviennent nuisibles, n'est-ce pas à l'État de les supprimer? La sécularisation est donc plus qu'un droit, c'est un devoir. L'État ne doit qu'une chose à l'intention des fondateurs, l'entretien du clergé. Encore cette charge n'est-elle pas absolue; elle suppose l'utilité du salaire; du jour où il serait reconnu que l'intérêt général s'oppose à ce qu'il soit pourvu à la subsistance du clergé par cette voie, l'État serait dégagé de toute obligation.

SII. L'Église en-dehors de l'État. Les exemptions.

I.

L'Église est d'institution divine et, à l'entendre, ce qu'elle appelle sa liberté, ce que nous appelons sa domination, a également son origine dans la parole de Dieu. Il y a une manifestation de la volonté divine qui met à néant le droit divin de l'Église, c'est l'histoire. Or l'histoire, si elle explique les causes qui ont donné au catholicisme un certain empire à une certaine époque, nous apprend aussi que cet empire, dù à des circonstances transitoires, était passager par essence. Quant aux témoignages sur lesquels le

clergé fonde ses prétentions, l'histoire encore, en les éclairant, leur ôte tout prestige et toute force: il a fallu un temps d'ignorance comme le moyen-âge pour permettre aux clercs d'invoquer des textes mal interprétés et même des faux. Les immunités du clergé nous montreront le droit divin de l'Église dans toute son inanité.

Si l'Église était exempte des charges communes par la volonté de Dieu, elle aurait dù obtenir cette immunité, ou la réclamer du moins, dès qu'elle eut été reconnue par l'État. Or l'on ne trouve rien dans les lois des empereurs chrétiens que des priviléges accordés aux personnes des clercs, et des priviléges impliquent une faveur et non un droit; ils impliquent même que le droit n'existe pas, car les exceptions confirment la règle. Aussi les Pères de l'Église se soumettaient-ils aux charges publiques sans protester, sans faire aucune réserve. Aux clercs qui disaient qu'il était au-dessous de leur dignité de payer des tributs, saint Ambroise et saint Hilaire répondirent, qu'il leur était libre de n'en plus payer, en renonçant aux faux biens sujets à cette servitude. Au sixième siècle un pape qui a reçu le titre de grand, saint Grégoire, ne trouva pas étrange que les terres de l'Église payassent les impôts ordinaires. Ce n'est que dans la nuit du moyen-âge que l'on vit surgir des prétentions qui, sans l'invasion des Barbares, ne seraient jamais devenues une réalité.

Passons du sixième au douzième siècle; la révolution est complète les clercs réclament l'immunité des charges publiques, <«< parce que le caractère dont ils sont revêtus leur défend de se mêler d'affaires temporelles, et qu'ils sont plus parfaits que les laïques. » C'est, comme on voit, l'idée du pouvoir spirituel qui inspire ces hautes prétentions. Les textes n'ont jamais manqué à l'Église, pour y appuyer sa liberté. L'Ancien Testament est une mine inépuisable: tantôt c'est une loi de Moïse qui à titre de loi divine doit encore régir la chrétienté, tantôt ce sont des prophéties qui par leur obscurité se prêtent à toute espèce d'interprétation. Ne soyons donc pas surpris, si une loi concernant les lévites devint au douzième siècle un témoignage de la volonté de Dieu pour exempter les clercs de toutes charges: l'immunité de la tribu sacerdotale chez les Juifs, disent Pierre de Blois et Jean de Salisbury, est une figure de la liberté perpétuelle de l'Église.

Il était plus facile aux théologiens de bâtir des systèmes de droit divin, qu'à l'Église, placée en face d'un pouvoir rival, de les réaliser. Deux conciles se prononcèrent au douzième et au treizième siècle sur l'exemption des clercs; ils la supposent reconnue plutôt qu'ils ne la proclament, et ce qu'ils refusent à l'État à titre de droit, ils le lui accordent à titre de don. Le concile de Latran de 1179 se plaint vivement que les communes accablent le clergé d'impôts de toute espèce; il défend ce qu'il appelle des exactions sous peine d'anathème, sauf au clergé à accorder des subsides volontaires en cas de nécessité ou d'utilité. L'exécution de ce décret ayant éprouvé de la résistance, le concile de Latran de 1215 le renouvela, en ajoutant une garantie pour le clergé la nécessité de l'intervention du pape pour légitimer les contributions volontaires de l'Église. Bien que les conciles ne prononçassent pas les mots de droit divin, leurs décrets furent un grand pas vers la liberté. Le don que l'Église se disait disposée à faire à l'État, impliquait que de droit elle était libre; bientôt elle proclama ouvertement que l'État n'avait aucun pouvoir ni sur les biens ni sur les personnes des clercs.

II.

L'exemption absolue est l'idéal de l'Église, mais cet idéal est une utopie qui ne peut se réaliser, parce qu'il est en opposition avec la nature des choses. Quand il s'agit de contribuer aux charges communes, l'Église veut être en dehors de l'État; mais si elle n'a pas d'obligations à remplir à l'égard de la société, elle n'a aussi aucun droit à réclamer: car obligation et droit sont des idées correlatives. Ce n'est pas ainsi que l'Église l'entendait; moins elle se reconnaissait de devoirs, et plus elle avait de prétentions. C'était vouloir l'impossible; aussi peut-on dire que la liberté de l'Église n'a jamais été une réalité.

La seule charge publique qui pesât sur la propriété féodale, c'est le service militaire. L'Église n'en était point affranchie; elle était tenue de remplir tous les devoirs d'un vassal, et quand les prélats y manquaient, le suzerain les y contraignait par la saisie de leur temporel. Dans sa vie étroite, la féodalité pouvait se passer d'impôts

« ZurückWeiter »