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aux indigents. Les Grégoire, les Chrysostome pratiquaient cette règle au milieu du luxe de Constantinople, et un des premiers conciles en fit une loi pour les évêques. Ces sentiments d'abnégation n'étaient donc pas ceux de quelques rigoureux ascètes, c'était bien la doctrine dominante; cela est si vrai, que Justinien fit du canon d'Antioche une loi de l'État.

A ce point de vue les biens de l'Église, loin d'être une source de jouissances pour ceux qui les géraient, étaient une charge; saint Augustin le dit, et nous devons l'en croire il souffrait de cette servitude, et il aurait préféré vivre d'aumônes et ne rien posséder qui pût troubler la paix du cœur. Pourquoi les évêques ne firent-ils pas l'abandon des biens de l'Église à la société civile? Saint Chrysostome nous en apprend la raison : c'est la dureté des laïques qui force les clercs de se charger du soin des pauvres. Mais le Père grec avoue que la gestion des biens temporels est peu digne de ceux qui sont les élus de Dieu; ces soins matériels appartiennent aux laïques, les clercs ne devraient être préoccupés que des choses du ciel.

Après cela, il ne peut plus y avoir d'incertitude sur l'emploi que l'Église doit faire de ses biens. Ils sont à la lettre la propriété des pauvres : « Ceux qui demandent l'aumône, dit Grégoire le Grand, réclament ce qui leur est dû. » Les clercs sont dispensateurs des biens ecclésiastiques; s'ils s'approprient le dépôt qui leur est confié, ils volent les pauvres. Écoutons saint Jérôme : « Le devoir d'un économe est de ne rien garder pour lui; c'est une ignominie affreuse que de voir des ecclésiastiques qui pensent à s'enrichir; c'est un crime, car en usurpant les biens de l'Église ils volent les pauvres. » C'est en même temps un sacrilége: « Ce qui a été une fois consacré à Dieu, devient l'héritage de Dieu et le patrimoine de Jésus-Christ, en sorte que c'est un sacrilége d'y toucher avec d'autres mains que celles de la charité. » Cette doctrine sévère fut consacrée par le quatrième concile de Rome.

II.

Voilà l'idéal, voyons la réalité. A entendre les saints Peres, les biens ecclésiastiques sont des dons de la charité, destinés à la charité. L'apparence est en harmonie avec la doctrine : l'Église doit ses richesses à la libéralité des fidèles. Mais il y a des donations qui sont viciées, parce que le donataire a capté la bienveillance du donateur par des moyens plus ou moins illicites. Les donations faites aux saints ne sont-elles pas à certains égards des captations? Réduites à leur plus simple expression, ce sont des marchés par lesquels le donateur achète le pardon de ses fautes. Il était évidemment dupe; car les moines vendaient ce dont ils ne disposaient pas et recevaient des biens réels en échange d'une chose imaginaire. Étaient-ils au moins de bonne foi? Assistons à un de ces actes; les clercs les rédigeaient; les sentiments qu'on y exprime sont donc bien ceux de l'Eglise. Les religieux commençaient par jeter la terreur dans l'âme des pécheurs, en les menaçant des feux éternels de l'enfer; ils ne leur laissaient qu'une espérance, c'était de racheter leurs fautes avant de mourir. Torturés par la crainte, les malheureux demandaient avec anxiété quel était le meilleur moyen d'apaiser la colère de Dieu. Les moines ne manquaient pas de répondre que l'aumône lavait les péchés, et que les libéralités les plus méritoires étaient celles qui se faisaient au profit de leur monastère. Voilà la captation religieuse dans toute sa naïveté. Il est difficile de croire à la sincérité de ces conseillers intéressés. Le doute augmente, quand on voit les moines faire les promesses les plus extravagantes aux pénitents, jusqu'à dire qu'avec leurs prières et leurs jeûnes ils pouvaient racheter les crimes les plus énormes: ceci n'est plus de la naïveté, c'est du charlatanisme.

Nous préférons néanmoins ce trafic patent au langage doucereux que les religieux tiennent d'habitude dans les actes de donation. C'est le mépris des biens terrestres, si on les en croit, qui engage le donateur à se dépouiller soi et les siens : « Oh! que la race humaine est caduque et fragile! L'inévitable mort avec toutes ses misères est au bout de notre existence. Quel bonheur que la vie

celeste, où la joie des élus est sans trouble et sans fin! Cependant la plupart des hommes ne songent qu'aux intérêts de ce monde et négligent les soins du ciel ; ils s'inquiètent des choses périssables et ils perdent les biens qui durent toujours. » Suit l'abandon des biens périssables à quelque saint, qui aide le donateur à acquérir les biens éternels. Nous ne doutons pas que les moines n'aient persuadé leurs pénitents de l'inanité de ce monde; mais quand de leur côté ils mettaient tant d'âpreté à s'approprier des biens périssables, peut-on croire à leur bonne foi? Étaient-ils de bonne foi les moines qui, au témoignage de Pierre de Blois, disaient qu'ils rendaient service aux laïques en les dépouillant de leurs richesses, puisqu'elles étaient pour eux une source de péchés? Il nous vient encore des doutes sur la bonne foi des clercs, quand nous les voyons exploiter les préjugés des fidèles, pour les dépouiller, au profit du salut des donateurs, cela va sans dire, mais aussi au profit de la cupidité des donataires. L'on sait quelle immense terreur s'empara de la chrétienté au dixième siècle : la fin du monde, le jugement dernier, la redoutable sentence qui allait précipiter les pécheurs dans les flammes éternelles, étaient là. Qui a nourri cette croyance superstitieuse? Les clercs. Qui en a profité? Les clercs. Tous les actes du dixième siècle s'ouvrent par l'expression des craintes des donateurs. Si les moines avaient cru à la fin instante du monde, pourquoi auraient-ils pris sur eux la charge de biens qui ne devaient plus servir à rien? pourquoi n'auraient-ils pas déserté le soin des choses temporelles, pour se livrer tout entiers au soin de leur salut?

Le clergé exploita largement le jugement dernier, comme le prouvent le grand nombre de libéralités inspirées par la crainte de ce jour terrible. Mais l'an mille passa et la fin du monde n'arriva point. Quand cette source de richesses tarit, l'Église en trouva d'autres. Les rois étaient propriétaires de grands domaines qu'ils donnaient à leurs vassaux pour les récompenser de leurs services. Le clergé eut l'art de persuader aux princes que le meilleur usage qu'ils pussent faire de leurs biens, c'était de les donner à quelque saint protecteur dans le ciel, c'est-à-dire à un monastère ou à une église. Plus ils s'appauvrissaient, et plus ils devenaient riches. Dieu ne dit-il pas : Donnez et il vous sera donné? » Ce singulier

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moyen d'accroître leur puissance ne fut pas longtemps du goût des princes; ils finirent par s'apercevoir qu'en enrichissant l'Église, ils ne faisaient que vider leur trésor.

Les clercs, trouvant un accès plus difficile auprès des hommes, s'adressèrent aux femmes. Un grand nombre de donations portent dans leur préambule : « Notre très chère épouse s'est présentée devant nous et nous a prié de faire une libéralité à tel monastère pour l'amour des récompenses célestes... Nous avons fait droit à sa prière. » Dans d'autres diplômes, la femme ajoute à ses supplications celles de ses enfants. Les femmes et les enfants! C'est par ces êtres faibles que l'Église conserve aujourd'hui un reste d'influence sur la société quelle devait être sa puissance au moyen-âge ! Les femmes, sans instruction aucune, sans appui intellectuel, étaient à la merci du clergé; les terreurs que leur inspirait la vie de désordre d'un mari ou d'un fils leur faisaient accepter comme une faveur divine le sacrifice de leurs intérêts temporels pour sauver l'âme de ceux qu'elles aimaient. Écoutons les aveux d'Eudes, comte de Champagne : « En méditant sur les récompenses et les peines de la vie éternelle, je cherchais comment je pourrais plaire à Dieu et éviter le feu de l'enfer. Ma très fidèle compagne Ermengarde, me voyant sans cesse occupé de ces pensées, surprenant mes soupirs et devinant mes tourments, osa me demander par de douces paroles, quel était le sujet de ma tristesse. J'ouvris mon cœur à ses prières, et plein de confiance dans sa piété, je lui demandai conseil. Elle me supplia de reconstruire la basilique de saint Martin, et de lui donner assez de biens pour que le chapitre, assuré de sa subsistance, pût prier sans cesse le Tout-Puissant en faveur de nos âmes. »

Les donations ne suffirent pas à la cupidité de l'Église; peut-être aussi les libéralités finirent-elles par tarir. Tant qu'ils ne savaient pas en tirer profit, les Barbares prodiguèrent leurs possessions; mais une fois attachés au sol par les mille liens de la féodalité, la terre devint la grande préoccupation des seigneurs; bien loin de donner, les barons étaient plutôt disposés à reprendre. Il fallut aviser à d'autres moyens pour augmenter le patrimoine des pauvres. L'Église imagina une combinaison qui, sans priver les propriétaires de leur jouissance, enrichissait les monastères : c'étaient des dona

tions avec réserve d'usufruit. Il est vrai que ces libéralités dépouillaient la famille du donateur, mais qu'importait à l'égoïsme de l'usufruitier et à l'égoïsme plus grand encore des clercs? n'était-ce pas une œuvre sainte que d'enlever aux siens pour donner aux pauvres? L'Église alla plus loin : elle provoqua les donations par l'appât du lucre. Il y avait des fidèles qui hésitaient à spolier leur famille; le clergé fit taire leurs scrupules par une invention digne de l'esprit de cupidité qui l'inspirait : c'étaient des contrats de rentes viagères en immeubles ; celui qui donnait ses biens à l'Église, en recevait d'elle, ou autant, ou le double, ou le triple en usufruit: << Cette sorte de précaire, dit Thomassin, était une riche source qui faisait couler dans ses trésors un très-grand nombre d'héritages. Il n'y a pas de passion plus insatiable que la cupidité: l'Église ne se contenta pas des captations et des marchés frauduleux, elle eut recours aux faux. L'histoire a signalé les fausses donations de Constantin et des Carlovingiens; ceux qui ne reculaient pas devant ces impostures monstrueuses, ne pouvaient pas se faire un cas de conscience de fabriquer de petits faux; en définitive, ils ne faisaient que prendre aux riches pour donner aux pauvres! Les fausses chartes sont innombrables; il y a très-peu d'églises, dit un savant bénédictin, et presque pas un monastère qui ne soient souillés de

cette tache.

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L'Église cria à la spoliation quand la réforme et la révolution sécularisèrent ses immenses possessions. En supposant qu'il y eût spoliation, l'Église ne pourrait pas s'en plaindre; la société n'aurait fait que reprendre ce qui lui avait été enlevé par la ruse, la fraude et le faux. En réalité l'État était dans son droit en sécularisant les biens ecclésiastiques, tandis que l'Église abusait de ce qu'il y a de plus sacré au monde, la religion, pour nourrir la crédulité et l'exploiter ensuite à son profit. Qu'on ne nous accuse pas d'exagération et de mauvais vouloir : ce sont les témoignages de ses propres annales que nous avons invoqués contre l'Église, pour prouver quelle est la source de ses richesses. C'est encore à ses annales que nous allons recourir pour montrer quel usage elle faisait du soidisant patrimoine des pauvres.

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