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de Dieu avait tant de puissance au moyen-âge, que ses adversaires mêmes acceptèrent cette comparaison comme l'expression de la vérité; les rois se résignèrent à l'humble rôle de la lune : ils se contentaient de régner sur les ténèbres, pourvu que le soleil papal les laissât indépendants dans leur sphère. Mais la papauté ne l'entendait pas ainsi; Innocent IV signifia aux empereurs et aux rois que les papes étaient les représentants de Celui qui est tout ensemble roi et prêtre.

L'Église exerce la souveraineté dans toute sa plénitude; elle est une avec Dieu; les lois qu'elle prescrit émanent donc de Dieu. Voilà ce que l'archevêque primat de Cantorbéry ne craignit pas d'écrire au roi d'Angleterre à la fin du treizième siècle. Quel est le pouvoir humain qui oserait se soustraire à l'autorité divine? Au moyen-âge, l'empereur était considéré comme le maître du monde; mais la grandeur impériale s'évanouit comme une ombre devant la toute-puissance de Dieu. La loi des empereurs est soumise à la loi de Dieu, dit un contemporain de Grégoire VII; s'il arrivait qu'elle y fùt contraire, les clercs n'y devraient pas obéir; car il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Le célèbre Thomas Becket osa pratiquer cette audacieuse théorie : de son autorité de prêtre, il cassa et annula les statuts de Clarendon, que lui-même ainsi que tous les évêques avaient juré d'observer.

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On pourrait croire que cette doctrine sur le pouvoir de l'Église tenait aux usurpations de la papauté et qu'elle n'était partagée que par ses partisans. Il n'en est rien. L'idée de l'Église, comme pouvoir supérieur à l'État, a son fondement dans les racines mêmes du catholicisme on la trouve chez les adversaires les plus décidés de la cour de Rome, aussi bien que chez les ultramontains. Il y avait au treizième siècle en Angleterre un évêque qui osa tenir tête à l'impérieux Innocent IV; Robert Grosse-Tête est salué par les protestants comme un précurseur de la réforme. Cependant sur les rapports de l'Église et de l'État il professe des maximes dignes de Grégoire VII: «Que personne ne croie, dit-il, que les princes puissent faire un statut contraire à une loi ecclésiastique; s'ils le faisaient, ils se sépareraient du corps du Christ, et ils seraient voués au feu éternel de la géhenne. En effet, les rois reçoivent leur

puissance de l'Église : ils ne sont rois que par elle, comment se révolteraient-ils contre elle? Est-ce que la hache peut se lever contre celui qui s'en sert? »

III.

L'Église est souveraine, elle est supérieure à l'État par droit divin; cette domination est ce qu'elle appelle sa liberté. La liberté de l'Église, c'est la servitude de l'État. Cela est si vrai que, si les prétentions de l'Église s'étaient réalisées, il n'y aurait pas d'État. L'Église possède une grande partie du sol, et si on l'avait écoutée, elle l'aurait possédé tout entier : « Les chrétiens ne sont pas propriétaires, ils ne sont que dispensateurs des richesses que Dieu leur envoie; ils n'ont droit qu'au strict nécessaire, tout le reste appartient aux pauvres, c'est-à-dire à l'Église. » Voilà la théorie : prise à la rigueur, elle ferait du clergé le propriétaire universel des biens de la chrétienté. Mais ce propriétaire réclame un singulier privilége; il prétend n'être soumis à aucune des charges qui pèsent sur la propriété; cette immunité lui vient de Dieu; ceux qui osent l'attaquer, attaquent la foi chrétienne. Ce sont des conciles qui proclament ces étranges prétentions, et l'on sait que les conciles sont les organes du Saint Esprit.

L'instinct irrésistible de la nature l'emporta sur une doctrine qui, appliquée à la lettre, conduirait à la destruction de l'humanité. Les laïques restent propriétaires, ils gardent pour eux les produits de leur travail. Mais l'Eglise réclame la dime de tous les fruits qu'ils récoltent, de tous les gains qu'ils font. C'est Dieu mème qui l'exige, comme une reconnaissance de son droit de propriété. L'Église a raison de dire que les dimes sont une reconnaissance de la souveraineté divine, c'est-à-dire de sa propre souveraineté, car celui qui impose une contribution est souverain. Cela ne satisfait pas encore la passion de liberté qui anime l'Église. La juridiction est l'expression de la puissance suprême. Libre de son essence, l'Église ne saurait se soumettre à la servitude de la juridiction laïque « Comment concevoir, dit un concile, que des sécu

liers soient juges des Christs du Seigneur? n'est-ce pas plutôt à l'esprit à juger la matière? »

Que si l'on demande quel rôle reste à l'État dans cet ordre d'idées, nous répondrons avec saint Anselme : « Les rois sont les patrons et les défenseurs de l'Église : ceux qui la respectent et la glorifient seront glorifiés avec elle. Mais malheur à ceux qui traitent l'épouse de Jésus-Christ comme une esclave! ils seront exclus de l'héritage de l'Époux. Dès ce monde, les princes qui défendent l'Église et fortifient son autorité, prospèrent, tandis que ceux qui la combattent, périssent misérablement. »

IV.

L'Église a l'ambition d'être immuable; l'immutabilité qu'elle réclame comme un privilége, deviendra l'arrêt de sa condamnation, car elle la force à maintenir des prétentions qui sont en opposition complète avec l'état de la société moderne. Il en est ainsi des rapports de l'Église avec l'État. Elle a invoqué le droit divin pour légitimer toutes ses usurpations : c'est par droit divin qu'elle possède le sol : c'est par droit divin qu'elle est exemptée des charges que cette possession entraîne : c'est par droit divin qu'elle perçoit les dimes : c'est par droit divin qu'elle exerce la juridiction. L'Église ne peut pas renoncer à son droit divin; aussi n'y renonce-t-elle pas; là où elle en a la puissance, elle revendique ses anciennes immunités; là où elle ne le peut, elle biaise et s'accommode aux circonstances. En Belgique, l'Église n'a plus ni dîmes, ni biens, ni immunités, ni juridiction, et elle proteste au besoin qu'elle ne songe pas à restaurer le passé en Italie, elle a maintenu jusqu'à nos jours ses droits divins avec une hauteur insultante.

Cependant, pour l'historien il est plus qu'évident que le prétendu droit divin de l'Église n'est qu'un fait, produit de circonstances accidentelles. La barbarie du moyen-âge donna du relief à la science relative des clercs et leur supériorité intellectuelle les appela à dominer sur les peuples. Après tout l'Église faisait un meilleur usage de ses biens que la société laïque; les moines défrichèrent

l'Europe, et leur charité fut le seul appui des pauvres pendant les longs siècles qu'on a appelés siècles de fer. Les immunités du clergé le mettaient à l'abri, et encore imparfaitement, de la violence et de la spoliation. Trop souvent le droit de la société laïque était le règne de la force; l'Église ne pouvait consentir à se soumettre à une juridiction où le combat judiciaire tenait lieu de procédure. Les circonstances historiques justifiaient donc les priviléges de l'Église. Mais l'état social changea, et cependant l'Église maintint ses prétentious, alors qu'elles n'avaient plus de raison d'être. Quand la société laïque voulut reprendre la souveraineté que des causes passagères avaient donnée à la société religieuse, le clergé lui opposa son droit divin. De là la lutte entre l'État et l'Église.

SECTION II.

LUTTE DE L'ÉTAT CONTRE L'ÉGLISE.

SI. Les biens de l'Église.

No 1. Les donations.

I.

La réforme sécularisa une partie des biens de l'Église et la révolution acheva l'œuvre des réformateurs. De là une haine immortelle contre la réforme et la révolution. On accuse les réformateurs d'avoir jeté les biens des pauvres en pâture aux princes, pour les attirer à la nouvelle doctrine; quant aux hommes de 89, on les traite tout simplement de spoliateurs, de voleurs et de brigands. L'histoire de la lutte entre l'État et l'Église au moyen-âge vengera la révolution religieuse du seizième siècle et la révolution politique du dix-huitième de ces accusations passionnées. La sécularisation des biens ecclésiastiques ne date pas de Luther; les réformateurs

ne firent que suivre l'impulsion des siècles: c'est dire qu'ils obéirent à la voix de Dieu. L'Église n'aurait droit de crier à la spoliation, que si elle avait été propriétaire; mais son propre témoignage atteste qu'elle ne l'était pas. Les saints Pères et les conciles nous diront quelle était la destination de ses biens.

L'Église vivait sous le droit romain; sa propriété avait-elle les caractères que les jurisconsultes de Rome assignent au domaine? avait-elle le droit absolu d'user et de disposer? Les saints Pères et les conciles répondent que les biens de l'Église sont les vœux des fidèles, le rachat des péchés et le patrimoine des pauvres. »Telle était la doctrine incontestée des premiers siècles, les plus beaux du christianisme, au dire des croyants. Dans son spiritualisme exalté, l'Église répugnait à la possession des biens terrestres : si elle consentait à en posséder, ce n'était pas dans un esprit de propriété, ni à titre de droit, c'était comme charge, pour les dispenser aux indigents. Les conciles formulèrent cette doctrine. Celui d'Aix-la-Chapelle de 816 proclama que tous les biens de l'Église sont le patrimoine des pauvres. Celui de Paris de 829 enseigne la même vérité; il en conclut que c'est à tort qu'on se plaint des richesses excessives de l'Église, puisqu'elle est toujours pauvre, quelque riche qu'elle soit, la multitude des indigents étant capable d'épuiser des trésors infiniment plus grands que les siens. Le langage officiel de l'Église n'a jamais varié; le dernier concile général qu'elle a célébré dit encore que les biens ecclésiastiques sont les biens des pauvres.

Quel droit les clercs avaient-ils sur les biens ecclésiastiques? Ces biens étant le patrimoine des pauvres, les clercs n'y pouvaient avoir droit qu'en tant qu'ils étaient pauvres eux-mêmes. On ne songeait pas dans les premiers temps du christianisme à récompenser les services des clercs : leur récompense était au paradis. «L'Église, dit Julien Pomère, ne prétend pas payer ses ministres; elle n'a garde de les traiter comme des mercenaires, elle se borne à fournir à leurs nécessités.» « Les clercs, dit saint Augustin, sont admis comme pauvres à jouir des aumônes communes, mais ils n'y ont droit, ajoute saint Jérôme, que pour se garantir de la nudité et de la faim; tout ce qui leur reste après cela est superflu et appartient

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