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Christ sont des actes dont le mysticisme touche à la superstition: c'est le baptême qui nous ouvre le royaume des cieux : c'est un repas où le Fils de Dieu donne son corps à manger à ses disciples. Enfin en envoyant les apôtres répandre la bonne nouvelle parmi les hommes, Jésus-Christ leur confère le pouvoir de lier et de délier, pouvoir inconciliable avec les lois de la raison et qui conduit aux abus les plus révoltants.

Il y a donc des germes de superstitions et d'abus dans la prédication même de Jésus-Christ. Que l'on se représente maintenant le milieu dans lequel le christianisme se développa: le mosaïsme avec ses observances légales, le paganisme avec ses mille divinités, le monde germanique avec sa barbarie. Sous l'influence de ces circonstances, les éléments de vérité éternelle que contient la bonne nouvelle devaient s'effacer ou se dénaturer; les éléments superstitieux, les préjugés, les erreurs transitoires devaient grandir et finir par dominer. C'est ce qui arriva. La théologie catholique ne doit pas nous faire illusion sur l'état réel des croyances. En vain l'on parle de la conception métaphysique de la Trinité, le moyen-âge ne connait qu'un Dieu, Jésus-Christ; encore son pouvoir est-il égalé par celui de sa mère, véritable déesse et qui est restée telle dans la religion populaire. Un Dieu et une Déesse ne suffisent même pas à des peuples enfants; il leur faut des divinités plus accessibles, avec lesquelles ils puissent traiter d'égal à égal. Les anges et les saints sont les demi-dieux du catholicisme; la distinction que font les théologiens entre le culte de doulie et celui de latrie n'a jamais été comprise par les masses. A côté de ces génies bienfaisants, le moyen-âge place un être malfaisant, qui lutte avec Dieu, qui intervient dans les actes journaliers de l'existence des hommes, qui a ses adorateurs et son culte. La religion pratique et la morale sont à la hauteur de la théodicée. L'adoration de la Vierge et des saints est un vrai fétichisme; la messe et les sacrements sont des cérémonies extérieures qui opèrent comme les enchantements des magiciens, sans transformer les mœurs; des œuvres matérielles constituent l'idéal de la dévotion. Le culte de la Vierge et des saints devient un principe de démoralisation; le pouvoir que l'Église s'arroge d'ouvrir et de fermer les

portes du ciel par ses indulgences fait de la pénitence un calcul et du salut une opération de banque.

Voilà, non le catholicisme théorique, mais les superstitions et les abus du catholicisme réel; on pourrait dire, sans grande exagération, que la religion du moyen-âge, et à bien des égards la religion de notre temps, n'est qu'un paganisme sous des formes chrétiennes. Le catholicisme n'avait plus rien de commun avec la religion intérieure de Jésus-Christ, avec la foi prêchée par saint Paul. Cependant les enseignements du Christ et de son grand apôtre se trouvaient recueillis dans des Écritures, que le clergé cherchait en vain à soustraire aux yeux des fidèles. L'opposition entre l'Église matérielle et la prédication évangélique était telle, qu'une réaction contre le catholicisme était inévitable. Elle éclata dès que la société, bouleversée par l'invasion des Barbares, commença à s'asseoir. A peine la féodalité fut-elle constituée, que des sectes surgirent de tous côtés; elles avaient des traits communs qui font des hérésies comme l'aube de la réforme : c'est une vive réprobation de l'Église romaine, de la Babylone moderne : c'est un retour vers les temps évangéliques, un appel incessant à l'Écriture Sainte. On a cherché l'origine des hérésies dans une tradition plus ou moins fabuleuse; il est inutile de faire des efforts de science pour en découvrir le principe elles sont nées naturellement d'un besoin religieux que le catholicisme ne satisfaisait plus. L'Église crut étouffer les hérésies dans le sang, mais la cause qui les provoquait existant partout, les bûchers étaient impuissants : le feu couvait sous la cendre des martyrs.

Aux quatorzième et quinzième siècles paraissent les prédécesseurs théologiques de la réforme. Wiclef attaque tout le système de l'Église catholique, et il le fait en exagérant la grâce et la prédestination, comme firent après lui les protestants. Hus est un réformateur plus timide; il l'est par ses instincts, par ses tendances, plus que par la raison; mais il sait mourir pour sa foi, et son bûcher allume un incendie qui menace d'embraser toute l'Allemagne. A côté de ces noms, qui sont dans toutes les bouches, il y a des penseurs dont les protestants du seizième siècle connaissaient à peine l'existence; cependant, chose remarquable, ils enseignaient les mêmes

dogmes que Luther et Calvin. La science allemande, en sauvant leur mémoire de l'oubli, a rendu un service considérable à l'histoire de l'humanité. On voit par la vie et la doctrine de ces précurseurs inconnus, comment s'accomplissent les révolutions; les grands hommes qui y figurent ne sont pas ceux qui les font; ils mettent leur puissante individualité au service d'idées élaborées avant eux par la conscience générale. Les plus grands des révolutionnaires ne sont pas les novateurs proprement dits; ceux-ci se bornent d'ordinaire à formuler les vœux des peuples, souvent en les exagérant; les vrais novateurs sont ces hommes obscurs qui s'inspirent des sentiments de l'humanité et préparent à l'ombre les croyances destinées à devenir un jour le pain de vie du genre humain. Telle est l'histoire de la réforme; elle préexistait à Luther; le moine saxon ne fit que lui donner son nom et lui prêter sa force.

II. L'hétérodoxie.

On aime à se représenter le moyen-âge comme une époque de foi naïve. Mais la foi sans mélange de doute est plus qu'un idéal, c'est une utopie; cette utopie ne se réalisera jamais, et, quoi qu'on en dise, elle peut encore moins se réaliser sous le christianisme que dans la religion de l'avenir. La religion révélée repose sur un fait faux et sur une idée fausse, or l'erreur ne peut jamais être acceptée par l'universalité du genre humain : telle est la cause des protestations qui accompagnent la révélation chrétienne depuis sa naissance et qui ne lui manqueront pas, aussi longtemps qu'il y aura des adorateurs du Dieu-Homme. Elles se sont produites au moyen-âge sous les formes les plus diverses: tantôt c'est le sentiment religieux qui se révolte contre l'Église dominante : tantôt c'est la raison qui combat la foi tantôt c'est l'incrédulité qui se fait jour dans la philosophie, dans la littérature et dans les mœurs.

Les hérésies du moyen-âge étaient bien plus radicales que le protestantisme; celles-là mêmes qui restaient dans les limites du christianisme traditionnel dépassaient de beaucoup les timides réformes du seizième siècle; elles ne laissaient rien debout dans l'Église; c'est la raison pour laquelle elles échouèrent, car, pour

réussir, les révolutions doivent accepter le passé, tout en le transformant. A côté des sectes chrétiennes, il y en avait qui ne conservaient du christianisme que le nom; peut-on appeler chrétiennes des doctrines qui professent le panthéisme? Un mouvement plus remarquable se produit au moyen-âge, ce sont de longues aspirations vers une religion progressive. Le Règne du Saint Esprit et l'Évangile Éternel, indiquent par leur nom que ces tentatives se rattachent au christianisme historique; on pourrait donc croire que dès le moyen-âge l'humanité a conçu l'idée du progrès dans le domaine de la religion; mais ce serait se faire illusion sur l'importance de ces rêveries apocalyptiques; elles révèlent seulement un besoin de l'esprit humain : ce sont des instincts, ce n'est pas une doctrine.

La scolastique passe pour être entièrement chrétienne. Il est vrai qu'elle commença par être une dépendance de la théologie; tel fut même, en apparence, son rôle pendant tout le moyen-âge. Au début de l'ère féodale, saint Damien déclare que « la philosophie est la servante de la théologie et qu'elle doit suivre sa maîtresse de crainte qu'elle ne s'égare si elle prenait les devants.» (1) Dans l'âge d'or de la scolastique, Albert le Grand proclame la théologie la science par excellence : « Elle domine sur toutes les autres sciences, dit-il; elle seule possède la vérité, elle seule est la sagesse (2). » Telle est encore au quinzième siècle l'opinion de Gerson (3). Le langage hautain de la théologie a trompé les historiens; ils ont pris les prétentions pour une réalité. Brucker conteste le nom de philosophe aux scolastiques parce que, dénués de toute liberté d'esprit, ils se mirent au service de la cour de Rome et firent de la science un instrument de la domination pontificale (). Les écrivains modernes abondent dans cet ordre d'idées; ils disent « que la scolastique n'est autre chose que l'emploi de la philoso

(4) Damiani, Opusc. xxxvi, 5 (Op., T. III, p. 271).

(2) Albertus Magnus, Summa theologica, Tract. II, proœm. (Op., T. XVII, p. 18).

(3) « Theologia scientias omnes alias subditas habet velut ancillas. » (Gerson, Op., T. I, p. 489.)

(4) Brucker, Historia philosophiae, T. III, p. 713, 724.

phie comme simple forme au service de la foi (1). » Cependant ces mêmes docteurs que les philosophes répudient commé étant trop enchaînés par le dogme pour conserver l'indépendance de la raison, sont accusés et par les réformateurs et par les néocatholiques de donner trop à la raison. Melanchthon reproche aux scolastiques de n'admettre d'autre justice que celle de la raison, d'enseigner que l'homme peut aimer Dieu par dessus tout, sans le secours de la grâce à quoi bon alors le christianisme? s'écrie l'ami de Luther (2). Schlegel trouve que la scolastique n'est pas assez chrétienne, qu'elle tient trop à Aristote au fond, dit-il, elle est rationaliste (3).

Si nous devions choisir entre ces deux opinions, nous préférerions la dernière. La philosophie du moyen-âge, malgré sa couleur orthodoxe, n'en est pas moins ennemie du christianisme, et cela doit être, car la philosophie ne peut accepter la révélation; l'opposition est donc dans la force des choses; elle peut longtemps être latente, cachée à ceux-là mêmes qui se disent tout ensemble croyants et philosophes; mais elle finit par éclater, et alors le divorce est éternel. Au moyen-âge, la rupture ne se fit pas d'une manière éclatante. L'Église, bien qu'hostile à la liberté de penser, ne condamna jamais la philosophie comme telle; dans sa prudence, elle se contenta de réprouver les erreurs des philosophes. La philosophie, de son côté, tout aussi prudente, n'attaqua pas ouvertement la religion. Elle commença par aider la théologie à bâtir ses systèmes. Mais il est contraire à la raison de servir d'instrument, et il est contraire à l'essence d'une religion révélée de reconnaître l'indépendance de la raison. L'alliance de la religion et de la philosophie ne pouvait donc subsister. La scission se fit au quatorzième siècle. La raison fut déclarée incompétente dans le domaine de la théologie. C'était une séparation de corps plutôt qu'un divorce; mais la séparation seule était une révolution. Pen

(1) Tennemann, Geschichte der Philosophie, T. VIII, p. 12. - Cousin, Cours de l'histoire de la philosophie, IXe leçon.

(2) Apologie de la Confession d'Augsbourg (de justific., 61).

(3) J. Schlegel, Philosophie der Geschichte (XIVe leçon. T. XIV, p. 130); Geschichte der Literatur (Xe leçon, T. II, p. 42-44).

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