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monde, pour ne s'occuper que de la contemplation des choses célestes; ils ont promis d'ètre des modèles de chasteté, d'obéissance, de pauvreté. Mais leur vie est en tout le contraire de leurs vœux; ils ont si peu renoncé au monde, qu'on les rencontre partout sauf dans leurs cellules; ils se mêlent de tout, sauf de l'observation de leur règle; l'abdication de la propriété est devenue cupidité et avarice; la continence s'est changée en débauche. Ils ne sont plus moines que par leur habit »(1). Leur vie jure avec le nom qu'ils portent « Il n'y a point de gens, dit Erasme, qui aient moins de religion que ceux qu'on nomme aujourd'hui religieux; et puisque moine signifie solitaire, à qui ce nom-là peut-il convenir plus mal, qu'à des hommes que l'on voit sur toutes les routes? » (*) La vie spirituelle n'est plus qu'une fiction, elle ne diffère en rien de la vie séculière; c'est Gerson qui le dit : « Les clercs n'ont plus qu'un souci, l'amour de l'argent et l'ambition des honneurs temporels; au lieu de la Règle de saint Benoît, ils suivent le précepte d'Horace la richesse avant tout, la vertu après les écus! »(3)

Voilà à quoi aboutit l'idéal de la perfection chrétienne! Les moines n'avaient de la vie spirituelle que le dehors; sous cette apparence de spiritualité ils cachaient toutes les passions des laïques : les spirituels étaient des séculiers avec l'hypocrisie de plus. A quoi bon alors les moines?

(1) Clemangis, De ruina Eccles., c. 32 (Von der Hardt, Concil. Const., T. I, P. III, p. 33).

(2) Érasme, Éloge de la folie.

(3) Gerson, Op., T. II, p. 167, 595.

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Les clercs séculiers et les moines sont les uns et les autres les élus du Seigneur; mais en qualifiant les moines de clercs réguliers, l'Église elle-même reconnaît que la vie monastique est l'état normal de ceux qui ont la haute ambition d'atteindre la perfection en suivant les conseils de Jésus-Christ. Au moyen-âge, lorsque le monachisme était considéré comme réalisant la perfection chrétienne, l'on devait se demander, pourquoi les élus de Dieu n'étaient pas tous également parfaits. Les clercs séculiers faisaient comme les moines vœu de chasteté et d'obéissance; pourquoi n'ajoutaientils pas le vœu de pauvreté? L'on chercherait en vain la raison d'une différence qui semble presque injurieuse pour le clergé séculier. Aussi y eut-il à partir du neuvième siècle des tentatives pour imposer la vie commune aux prêtres comme aux religieux : de là l'institution des chanoines.

Le biographe de saint Chrodegang nous fait connaître les sentiments du réformateur des clercs : « Il dédaignait les richesses, il considérait les choses terrestres comme de la boue, il aspirait par une pauvreté volontaire à imiter le Christ qui s'est fait pauvre pour nous » (1). Saint Chrodegang pensait que les clercs séculiers aussi bien que les moines devaient pratiquer le spiritualisme évangé

(1) Vita S. Chrodegangi, c. 22 (Pertz, Monumenta, T. X, p. 564).

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lique; car n'est-ce pas leur mépris des choses de la terre qui leur a fait donner le nom d'élus de Dieu? Logiquement, le saint du neuvième siècle avait raison, mais la logique se brise contre les exigences de la vie, quand le principe d'où elle part est une violation des lois de la vie. La tentative de saint Chrodegang échoua. Cette expérience semblait prouver que l'idéal chrétien, incompatible avec la vie, ne convenait qu'à ceux qui faisaient profession de mourir tout vivants. Mais il y a toujours des hommes qui, convaincus de ce qu'ils considèrent comme la vérité, la veulent pousser dans ses dernières conséquences. Saint Damien ne se contenta pas de revenir à la Règle de Chrodegang; il la croyait trop relâchée, parce qu'elle permettait aux chanoines de recevoir une part dans les aumônes : C'est, dit-il, comme si on leur laissait un aliment de la mort éternelle »> (1). Il faut avouer que le cardinal Damien avait pour lui l'autorité des Pères de l'Église : « Celui qui veut être disciple de Jésus-Christ, dit saint Jérôme, ne peut rien posséder des biens de ce monde; il faut choisir entre l'héritage de Dieu et celui du siècle; les clercs ont fait leur choix, c'est pour cela qu'ils sont les élus du Seigneur; dès lors ils ne peuvent avoir quoi que ce soit en propre sans tromper Dieu, sans cesser d'être clercs » (2). Damien trouva un zélé partisan dans un homme dont l'obstination logique ne s'arrêtait devant aucun obstacle : « On ne peut, dit Gerhoh, être tout ensemble propriétaire et clerc; il n'y a de propriétaires que selon le droit humain; selon le droit divin, tout est à Dieu; donc le clerc qui est propriétaire, appartient encore au siècle, il est séculier »(3). Voilà une logique irrésistible, mais le sévère chanoine prouvait trop; si on l'avait écouté, la société tout entière aurait dû abdiquer ses biens. En effet ses arguments s'adressaient aux laïques aussi bien qu'aux clercs: personne, à l'entendre, ne pouvait être disciple du Christ, s'il ne renonçait à tout ce qu'il possédait (*). Gerhoh ne voyait point que son idéal de vie impliquait la mort, et que partant

(1) Damiani Epist. I, 6.

(2) S. Hieronymi Epist. ad Heliodorum.

(3) Gerhoh, De ædificio Dei, dans Pez, Thesaurus, T. II, P. 2, p. 246. — Idem, Dialogus de differentia clerici secularis et regularis (ib., p. 450).

(4) Gerhoh, De ædificio Dei, dans Pez, Thesaurus, T. II, P. 2, p. 241.

il était impossible d'en faire une loi pour ceux des clercs qui vivaient de la vie réelle.

Les clercs séculiers refusèrent de plier sous le joug du monachisme. C'était une inconséquence; mais dans la vie réelle, l'inconséquence vaut souvent mieux que la logique qui conduit à l'absurde et à l'impossible. Cependant elle manqua de devenir fatale au clergé, lorsqu'au treizième siècle des ordres plus sévères, renchérissant sur la perfection monastique, réprouvèrent même la propriété commune, et revêtirent l'habit de mendiant. Cette rigueur, en égalant les disciples de saint François aux premiers disciples du Christ, leur donna une force immense: nouveaux apôtres, ils semblaient aspirer à une nouvelle conquête du monde. L'existence contemplative du monachisme ne leur suffit pas; ils envahirent l'Église militante et menacèrent d'absorber le clergé, que dis-je? on put croire un instant qu'ils allaient absorber le christianisme lui-même, et remplacer l'Évangile par une religion nouvelle.

Il y avait toujours eu rivalité d'ambition et d'influence entre les clercs et les moines; l'avénement des ordres de saint François et de saint Dominique compromit l'existence même du clergé séculier. Les religieux noirs et blancs restaient dans leurs monastères, et laissaient le soin des âmes au clergé séculier; mais voici des moines qui parcourent le monde ; munis des priviléges du pape, ils prêchent et ils confessent: ce sont des prêtres universels. Que restera-t-il aux clercs? Des églises vides. Telles étaient les plaintes lamentables du clergé (1). La guerre qu'il fit aux ordres mendiants paraît au premier abord une guerre d'argent; c'était plutôt une lutte pour sa conservation, et ce qu'il s'agissait de conserver, c'était un clergé vivant de la vie des laïques, au moins comme propriétaire; tandis que ceux qui l'attaquaient brisaient toutes les conditions de la vie et entrainaient l'humanité dans une voie inconnue, voie où elle devait se perdre. L'opposition des clercs contre les mendiants cachait donc une répulsion instinctive de la vie laïque contre la vie exceptionnelle du monachisme.

La rivalité du clergé et des moines mendiants remplit le trei

(1) Petri de Vineis, Epist. I, 37.

zième et le quatorzième siècle; elle donna lieu à quantité de bulles. Il y eut des papes qui prirent parti pour les clercs séculiers; mais en général la papauté favorisa les ordres qui formaient son plus solide appui. Il ne faut donc pas s'étonner si les disciples de saint François et de saint Dominique triomphèrent. Ils eurent également le dessus dans leur lutte contre l'Université. Mais leur victoire n'était due qu'à la force; les vaincus furent réellement les vainqueurs. A la fin du combat, lorsque les mineurs et les dominicains paraissaient maîtres du terrain, il se trouva qu'une réaction complète s'était faite contre les moines mendiants et même contre le monachisme. La réalité de la vie laïque l'emportait sur l'illusion de la vie spirituelle.

Les mendiants avaient l'ardeur conquérante d'une nouvelle religion; ils dominaient sur le clergé, ils voulurent aussi dominer dans l'enseignement. L'Université de Paris ayant interrompu ses leçons parce qu'on lui refusait une réparation pour le meurtre de quelques écoliers, les dominicains s'emparèrent d'une chaire. Comme ils refusaient de se soumettre à ses lois, l'Université les exclut de tout enseignement séculier; les frères portèrent leurs plaintes devant le Saint-Siége. La querelle de l'Université et des dominicains n'était pas seulement une lutte d'intérêts: au fond c'était l'opposition de l'esprit laïque contre l'esprit monastique. Jean de Parme, le général des mineurs, eut l'imprudence de dévoiler les projets ambitieux de son ordre : l'Évangile Éternel était le hardi programme d'un nouveau christianisme, religion mystique, fondée sur l'abdication de toute propriété, de tout sentiment individuel, religion qui aurait fait de l'humanité entière une société de mendiants, religion impossible puisqu'elle détruisait l'homme dans son essence. L'Université qui était le représentant de l'intelligence au treizième siècle, se souleva contre ces exagérations. Un homme d'énergie et de caractère, comme il s'en trouve toujours dans les grandes occasions, Guillaume de Saint Amour, prit la défense de la société menacée (). Assistons à la lutte; il n'y en a pas eu de plus sérieuse pendant tout le moyen-âge.

(1) De periculis Ecclesiæ, dans le Fasciculus rerum expetendarum, T. II, p. 48.

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