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le monde, détruit presque toujours l'humilité et engendre l'orgueil (1). Si le monachisme nourrit le sentiment le plus personnel, comment les religieux auraient-ils eu la charité qui s'oublie, la charité qui n'est point soupçonneuse, la charité qui pardonne, la vertu que saint Paul cultiva dans la rude lutte de la vie et non dans la solitude? L'on peut considérer saint Bernard comme l'idéal du moine; cependant il ne se distingua pas par l'humilité ni par la charité : dans sa lutte avec Abélard il fit plutôt preuve d'orgueil et de haine. En disant que la vertu qui caractérise les vrais disciples du Christ manquait à l'abbé de Clairvaux, nous ne sommes que l'écho de ses contemporains. Pierre le Vénérable lui écrit : « Tu suis les durs commandements de Jésus-Christ, tu jeùnes, tu veilles, tu t'épuises à force de macérations; et tu négliges le facile commandement de la charité! Tu chàties ton corps, tu le réduis en servitude, et tu ne veux pas te réchauffer du doux lait de la charité ! » (3) C'est que le jeune est plus facile que l'indulgence, et les pratiques d'austérité, au lieu de développer le sentiment de l'amour, en tarissent la source, parce qu'elles endurcissent l'àme.

Si un saint Bernard manquait de la vertu chrétienne par excellence, que sera-ce du vulgaire des moines? Ils avaient la charité, comme ils avaient toutes les vertus, en apparence: « De foi, de paix et de concorde, dit un poëte, ils ont la langue toute pleine, mais leur vie atteste que dire et faire ne sont pas une même chose(). Il faut voir les religieux des divers ordres dans leurs relations entre eux, pour apprécier l'influence malfaisante de l'esprit monastique. Voilà des sociétés d'hommes qui se disent parfaits; sans doute ces disciples du Christ vont pratiquer la vertu que l'auteur de l'Évangile recommande sans cesse aux siens. Pierre le Véné

4) Richardus de Sancto Victore, De præparatione animi ad contemplationem, c. 30 « Sed scimus quia virtutum opera quæ caeteras virtutes nutriunt, pene semper humilitatem destruunt. »

(2) Petri Venerabilis Epist. VI, 4 (Bibl. Max. Patrum, T. XXII, p. 942). (3) Rutebeuf, T. I, p. 151.

moyen-âge, p. 139:

Comparez Du Méril, Poésies populaires du

Qui vult Satanae servire,

Claustrum debet introire.

rable nous dira comment s'aimaient les moines noirs et les moines blancs « Bien qu'ils appartiennent à la même famille, au même ordre, ils se détestent cordialement et ils se font une guerre à mort. Jai vu plus d'un moine noir qui, rencontrant un moine blanc, riait de lui, comme s'il voyait quelque monstre étrange, un centaure ou une chimère. Pourquoi des religieux qui ont un même père, sont-ils divisés à ce point? C'est l'orgueil qui les rend ennemis. Les moines noirs, qui ont pour eux l'ancienneté, ne pardonnent point aux blancs de leur avoir enlevé la faveur populaire, et les blancs sont fiers d'avoir régénéré l'ordre de saint Benoît » ›(1). On connait la haine furieuse que les Juifs portaient aux Samaritains; eh bien! Pierre de Celles dit que les noirs et les blancs s'aimaient comme les Juifs et les Samaritains (2). La charité des noirs et des blancs devint proverbiale. Gautier Mapes, le clerc-poëte du douzième siècle, décrit la dispute d'un moine de Cluni et d'un moine de Clairvaux. Les deux émules ne s'épargnent pas les injures; ils se reprochent si bien de manquer de douceur et de charité, que le lecteur est obligé d'avouer qu'ils ont raison tous les deux leur dispute finit par des coups de bâton (3).

Voici les parfaits des parfaits qui arrivent sur la scène; on ne leur reprochera pas de manquer d'humilité, car ils s'appellent les humbles, les petits, les mineurs, et ils ont toujours l'humilité à la bouche:

Pour prêcher humilité
Qui est voie de vérité...

Vinrent ces saintes gens en terre.

Mais leur humilité n'est qu'un masque : « Il est bien juste, dit Rutebeuf, qu'Humilité, une si grande dame, ait grandes maisons et beaux palais et belles salles »("). Laissons là les témoignages des poëtes, pour qu'on ne nous impute pas d'écrire un libelle; un géné

(1) Petri Venerabilis Epist. IV, 17 (Bibl. Maxima Patrum, T. XXII, p. 913, 916, 918).

(2) Petri Cellensis Epist. VIII, 9.

(3) Gautier Mapes, dans Th. Wright, Latin poems, p. 237.

4) Rutebeuf, OEuvres, T. II, p. 58, 59.

ral des mineurs nous apprendra que l'orgueil le plus excessif se cachait sous l'apparence de la plus parfaite humilité. Saint Bonaventure demande si des moines d'un autre ordre peuvent entrer dans celui de saint François : « Oui, dit-il, parce que notre ordre est plus parfait; mais les mineurs ne peuvent pas changer de religion, parce qu'il n'y en a pas de plus parfaite, ni même qui lui soit égale »(1). De là leur mépris pour les autres religieux; ils traitaient les moines blancs de simples, de rustres, de demi-laïques, et les moines noirs de superbes et d'épicuriens : « Personne, disaientils, ne peut être sauvé que par nous »(2). Était-ce par préoccupation du salut des fidèles qu'ils cherchaient à les attirer dans leur sein? Les mandements du seizième siècle le disaient sans doute, mais alors comme de nos jours, il y avait sous les apparences du zèle religieux un intérêt d'ambition et d'argent. A les entendre, << la messe d'un mendiant en valait quatre d'un autre clerc »(5). Guerre de boutique, au treizième siècle comme au dix-neuvième!

De cette rivalité naquit une antipathie furieuse entre le clergé régulier et les moines mendiants. Les clercs, dit saint Bonaventure, ont plus de haine pour nous que pour les Juifs ('). Ils reprochaient aux mendiants que leurs œuvres ne ressemblaient guère à leurs paroles, qu'ils ne cherchaient que la faveur du peuple et les biens extérieurs, que leurs envahissements détruisaient les paroisses et anéantissaient la discipline »(5). Que répondaient les mendiants? « Les clercs nous haïssent parce que nous connaissons leurs vices; la plupart des prêtres sont tellement corrompus, qu'une honnête femme craint de se perdre de réputation en leur parlant. Honteux de leur ignorance, ils nous envient parce que nous plaisons davantage aux fidèles; enfin, ils craignent que leurs revenus ne dimi

(1) S. Bonaventura, Quæstion. in Regulam S. Francisci, quæst. 12 et 13 (Op., T. VII, p. 334).

(2) Matthieu Paris, ad a. 1246, p. 694.

(3) Roman de la Rose, le Codicille de Jean de Meung, v. 977 (T. III,

p. 308).

(4) S. Bonaventura, Apologia fratrum minorum (T. VII, p. 355). (5) J. Carthusianus, de arte curandi vitia (Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, P. 4, § 144, note h).

nuent par les aumônes qu'on nous fait : c'est là la cause principale de l'aversion qu'ils nous témoignent, car ils sont plus attachés à un vil lucre qu'au salut des âmes » (1). Ne serait-ce pas le cas de dire que les séculiers et les mendiants avaient également raison?

Les frères mendiants s'aimaient-ils du moins entre eux? Ils s'aimaient comme les mendiants s'aiment, en se faisant une guerre de gueux (*). Les dominicains disaient : « Nous sommes les premiers, nous portons un habit plus honnête, nous prêchons la parole de Dieu.» Les mineurs répondaient : « Notre vie est plus austère et plus humble, et par conséquent plus sainte. » Les frères prêcheurs répliquaient : « Il est vrai que vous allez nu-pieds, mal vêtus et ceints de cordes; mais il ne vous est pas défendu comme à nous de manger de la viande et de faire bonne chère» (3). Les franciscains et les dominicains s'arrachaient les libéralités, ils se disputaient les aumônes, ils s'enlevaient les novices et se volaient jusqu'aux sermons; ils prêchaient les uns contre les autres et racontaient la chronique scandaleuse en pleine chaire (4). Voilà ce que devint la charité dans les deux ordres qui avaient plus que tous les autres la prétention de réaliser l'idéal de la perfection évangélique!

VI. Le monachisme au quinzième siècle.

Nous avons dit quel fut l'idéal du monachisme; nous avons vu à l'œuvre ceux qui se disaient les élus parmi les élus, et la réalité a confirmé ce que l'idéal nous avait fait entrevoir, c'est que l'idée de la perfection évangélique est fausse dans son essence. La tentative du monachisme de réaliser ce qui est irréalisable devait échouer

(1) S. Bonaventura, Op., T. VII, p. 330, 341, 343.

(2) Le Songe du Vergier dit que les frères mendiants «< se entrehayent comme deux truans à ung huys »(Traités des libertés de l'Église gallicane, T. II, Part. II, p. 134).

(3) Matth. Paris, ad a. 1243, p. 641.

(4) Ces accusations réciproques sont constatées dans une espèce de traité de paix intervenu en 1255 entre les deux ordres, et renouvelé en 1278 (Martene, Thesaurus, T. IV, p. 1712).

complètement. De là la décadence des institutions monastiques au quinzième siècle.

Qu'est devenu l'idéal des saint Bernard, des saint Anselme, des saint François? La réalité répond à l'idéal en un seul point, le mépris de la science : « La principale dévotion des moines, dit Érasme, est de ne rien savoir, non pas même lire » (1). Qu'est devenue la perfection chrétienne dans le sein des ordres monastiques? Gerson répondra pour nous : « Les religions factices des moines, loin de conduire à la perfection, sont trop souvent un état d'imperfection » (2). Quelle est cette imperfection dont se plaint si amèrement le grand chancelier? De tous les côtés s'élèvent des cris contre les nouveaux Pharisiens. Les témoignages sont si abondants, qu'il faut choisir. Nous citerons quelques traits du tableau tracé par un écrivain qui vit l'hypocrisie de près, puisqu'il fut secrétaire de plusieurs papes : «On vous appelle des comédiens, dit Léonord Arétin, en s'adressant aux moines, et l'on vous fait honneur, car vous êtes pires que les histrions: ceux-ci mettent un masque pour amuser les spectateurs, vous portez le masque de la vertu pour la ruine des fidèles les acteurs jouent leurs farces dans un lieu profane, vous souillez le sanctuaire des temples... Votre hypocrisie s'accroît à proportion de votre prétention à la perfection; les plus hypocrites d'entre vous sont ceux qui se font passer pour les plus parfaits; sépulcres blanchis, ils brillent en-dehors; regardez en-dedans, vous ne trouverez que pourriture!... Voyez ces humbles, au regard éteint, aux yeux baissés, vous les prendriez pour des saints; mais si vous les offensez dans la moindre des choses, leur colère et leur fureur éclateront; vous diriez des Agamemnon, des Achille, ou je ne sais quels héros plus irascibles encore et plus orgueilleux » (3).

Dépouillons l'hypocrisie de son masque, que restera-t-il? Clemangis nous le dit : « Les moines ont promis de renoncer au

(1) Érasme, Éloge de la folie.

(2) Gerson, De perfectione cordis (Op., T. III, p. 439).

(3) Leonard. Aretin., adversum hypocritas (Fasciculus rerum expetendarum, T. I, p. 307).

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