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personnalité. Dès le douzième siècle, les hommes les plus considérables de l'Église se plaignent que les moines, au lieu de travailler à leur salut, recherchaient avec avidité les biens de ce monde (1). Au treizième siècle, un grand nombre de conciles constatent que le vice de propriété envahissait tous les monastères : ils déclarèrent les religieux coupables d'idolatrie s'ils possédaient quoi que ce fût en propre aux peines spirituelles ils ajoutèrent des peines temporelles (2). Mais il y a toujours avec le ciel des accommodements; les moines mirent leur conscience à l'aise, en obtenant le consentement de leur abbé : n'étaient-ils pas tenus à lui obéir en toutes choses? D'autres se firent déléguer une somme d'argent pour leur habillement et leur nourriture: une possession qui ne servait qu'aux nécessités de la vie, était-elle une propriété? Enfin, il y en eut qui prirent les biens du monastère à cens, avec faculté de disposer librement de l'excédant: ne valait-il pas mieux d'avoir des religieux censitaires que des étrangers? (3)

Ces voies détournées réussirent si bien qu'au quinzième siècle, l'abdication de la propriété n'était plus qu'une fiction. Un docteur de Paris écrit à un chanoine régulier: « Il est rare de trouver un moine qui ne s'approprie l'une ou l'autre chose; le mien et le tien résonnent dans les monastères plus souvent que le nom de JésusChrist. Il n'y a pas un religieux sur mille qui soit fidèle à son vœu »(4). On lit dans les statuts de l'ordre de Cîteaux de 1444, que la plupart des moines étaient infectés du vice de propriété (3). L'avarice n'était pas l'unique mobile des clercs; si, oublieux de leur

(1) S. Bernardi Sermo in Psalm. VII, 14, p. 844. Guiberti, abbatis Gemblacensis, Epist. (Martene, Amplissima Collectio, T. I, p. 947).

(2) Conciles de Paris, 1212, Part. II, c. 1 (Mansi, T. XXII, p. 826); de Tours, 1231, c. 26 (ib., T. XXIII, p. 238), de Bourges, 1246, c. 24 (ib., p. 697); de Saumur, 1253, c. 16 (ib., p. 814); de Cologne, 1260, c. 11 (ib., p. 1026); de Londres, 1268, c. 41 (ib., p. 1252); de Bourges, 1286, c. 9 (ib., T. XXIV, p. 637).

(3) Conciles de Montpellier, 1214, c. 18 (Mansi, T. XXII, p. 943); de Cognac, 1238, c. 20 (ib., T. XXIII, p. 492); de Tours, 1239, c. 4 (ib., p. 500); de Laval, 1240, c. 7 (ib., p. 553); de Trèves, 1238, c. 40, 41 (ib., p. 484).

(4) Epistola cujusdam magistri Parisiensis ad quemdam canonicum regularem (Martene, Thesaurus, T. I, p. 1740).

(5) Statuta a. 1444, art. 3 (Martene, Thesaurus, T. IV,

p. 1606).

salut, comme le dit le concile de Constance, ils se procuraient des biens et en trafiquaient, c'était pour vivre dans les délices et dans la débauche (1). Les zélés réformateurs de l'Église s'indignèrent de ce renversement de toute règle; ils écrivirent des traités contre les clercs propriétaires : Nicolas de Cuse les appelle des démons incarnés (2). Mais déjà les moines en étaient arrivés à ne plus comprendre les sentiments qui avaient donné naissance à la vie monastique. Un religieux de Citeaux osa défendre au concile de Constance un abus qui ruinait le monachisme dans son fondement : il essaya de prouver comme quoi l'appropriation autorisée par l'abbé n'était pas une propriété (3).

L'on croirait que voilà le beau idéal de l'accommodement avec le ciel; mais en fait d'hypocrisie, les moines étaient réellement à la recherche de la perfection. Les anciens ordres conservaient la propriété commune, et de là il était facile de passer à la propriété individuelle, témoins les chanoines qui de communistes devinrent partout propriétaires exclusifs. Au treizième siècle s'élevèrent des ordres nouveaux avec la prétention d'être plus parfaits que les parfaits; leur idéal consistait dans l'abdication de la propriété commune, dans la pauvreté absolue et la mendicité. C'était se mettre en dehors des lois de la vie, et pour ainsi dire dans l'impossibilité de vivre. Pour concilier les nécessités de l'existence avec la réprobation de toute propriété, il fallut déployer une subtilité que l'on pourrait admirer, si ce n'était le raffinement de l'hypocrisie. Les frères mendiants ne pouvaient rien posséder à titre de propriétaire. « A qui donc, demandaient leurs adversaires, appartiennent les choses que vous consommez? comment, ayant le droit d'user de choses consomptibles, n'en seriez-vous pas propriétaires? » Saint Bonaventure répondit que le pape, ayant toute puissance sur la terre, pouvait déclarer que la propriété et l'usage des choses consomptibles restaient séparés chez les ordres mendiants. Mais com

(1) Reformatorium, dans Von der Hardt, Concilium Constantiense, T. I, P. X, p. 705.

(2) Ullmann, Reformatoren, T. I, p. 203.

(3) Von der Hardt, Concil. Constant., T. III, p. 120.

ment faisaient les frères, quand ils voulaient acquérir les choses qui leur étaient nécessaires? Pour acheter, il faut que l'argent donné par l'acheteur lui appartienne, et la chose achetée devient sa propriété; cependant les frères mendiants prétendaient n'être propriétaires ni de l'un ni de l'autre : « L'argent, dit saint Bonaventure, n'est pas aux frères, mais à celui qui le leur a donné; la chose achetée ne leur appartient pas davantage, elle est aussi la propriété du donateur » (1).

Voilà la simulation légitimée par les chefs de l'ordre : que devait être la pratique de la foule? Saint Bonaventure nous apprend ce qu'était devenue l'abdication de la propriété, soixante ans après l'institution des mineurs : « L'argent, cet ennemi mortel de notre ordre, est demandé avec une telle avidité par nos frères, que les passants ont peur de les rencontrer et qu'ils les fuient comme des voleurs de grand chemin. Notre pauvreté est un horrible mensonge; nous mendions comme si nous étions pauvres, et nous nageons dans l'abondance » (2). Les poëtes flétrirent, et à juste titre, l'hypocrisie de ces pauvres gens pleins d'avoir, qui étaient plus à l'aise sans denier ni maille que ceux qui avaient trésors et terres »>().

L'hypocrisie des ordres mendiants méritait d'autant plus d'ètre réprouvée, qu'ils se procuraient leurs richesses par les plus vils moyens. Ils enlevèrent au clergé séculier les confessions, les testaments et les sépultures, pour arracher des legs aux pénitents et aux mourants. C'est un général des dominicains qui fait ces plaintes (), et saint Bonaventure adresse le même reproche aux mineurs (5). Les poëtes n'ont donc pas calomnié les frères en leur imputant la captation des testaments : « Qui meurt, dit Rutebeuf, s'il ne les nomme légataires, son âme se perd »(6). Parmi les hardis

(1) S. Bonaventura, Apologia Pauperum (T. VII, p. 422-424).

(2) S. Bonaventura, Op., T. VII. p. 432, 433.

(3) Jubinal, Nouveau recueil de fabliaux, T. I, p. 184, 460.

(4) Humbert de Romanis, en 1255 (Martene, Thes., T. IV, p. 4740).

(5) «Sepulturarum ac testamentorum litigiosa ac avida quædam invasio. » (S. Bonaventura, Op., T. VII, p. 432.)

(6) Rutebeuf, Dit des Jacobins (T. I, p. 164).

censeurs d'un ordre tout-puissant, Jean de Meung se distingua par sa hardiesse : « On dit en maints lieux, et maintes gens le croient, que tant cette gent ne testamenterait pour le profit des âmes, si leur grand profit ils n'y voyaient... Si la pitié des âmes les meut principalement, pourquoi ne prennent-ils pas également pauvres et riches? Mais ils prennent les riches et des pauvres n'ont cure » » (1). Plus on contrarie les penchants légitimes de la nature, plus la réaction est violente; voilà pourquoi les frères mendiants trouvèrent moyen de se distinguer, au milieu de la cupidité générale des moines.

V. L'humilité et la charité.

Les moines avaient la prétention de vivre dans un état de perfection est-ce à dire que l'on était parfait par cela seul que l'on était religieux? Le vulgaire le croyait, mais tel n'était pas le sentiment des grands docteurs qui illustrèrent la scolastique. Tous disent que le monachisme est seulement une voie pour arriver à la perfection, tous proclament avec Jésus-Christ que la vraie perfection consiste dans la charité. Voilà un id al que l'humanité moderne ne désavouera pas; mais de tous les moyens que l'on peut choisir pour y atteindre, c'est le monachisme qui y conduit le moins. Séparé de ses semblables et ne songeant qu'à son salut, comment le solitaire cultiverait-il la vertu sociale du dévouement et de l'abnégation? Le moine marche dans ce qu'il croit être un chemin sûr pour arriver à la perfection; il finit par se persuader qu'il est au but; alors un orgueil démesuré prend la place de la vertu chrétienne par excellence, de l'humilité. Ainsi égoïsme et orgueil, voilà les fruits de cet état contre nature dans lequel les religieux veulent réaliser la perfection chrétienne! Ceci n'est pas une accusation. procédant de la théorie; les témoignages abondent et ils sont accablants.

Richard de Saint Victor, le Fénelon du douzième siècle, dit que la pratique des vertus monacales qui excite tant d'admiration dans

(1) Le Codicile de J. de Meung, dans le Roman de la Rose, T. III, p. 303-306.

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