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parlent la langue du peuple, c'est le reproche d'hypocrisie : « L'habit monastique, dit un poëte latin, est un manteau qui cache tous les vices. Défiez-vous de ces hommes qui usent leur corps par l'abstinence et qui éteignent leur regard: ce sont les hypocrites maudits par Notre Seigneur »(1). Le Roman de la Rose, le livre le plus populaire du moyen-âge, dénonce à chaque page l'hypocrisie de la religion : les hypocrites, dit le poëte, « en laissent le grain et en prennent la paille »(2). La Bible Guiot, œuvre d'un clerc, flétrit la papelardie des religieux, « le vice que plus hait, Celui qui tout voit, Celui qui tout sait »(3). Mais l'hypocrisie l'emporta, en dépit des malédictions divines répétées par la poésie « contre les gens qui baissent l'œil et le sourcil »>(). Le mot de papelardie devint proverbial, et passa dans la langue pour désigner l'hypocrisie, comme plus tard le nom d'un ordre fameux par ses restrictions mentales et sa morale facile.

La papelardie augmenta à l'avènement des ordres mendiants. Leur règle était plus sévère à les entendre, ils ouvraient une ère nouvelle, l'ère spirituelle par excellence. Cette haute ambition n'aboutit qu'à un redoublement d'hypocrisie : il y eut un cri général dans la chrétienté contre les loups revêtus de la peau de brebis. L'Église elle-même se souleva contre eux : un illustre docteur de l'Université de Paris eut le courage d'attaquer les amis du Saint-Siége dans un sermon public comme étant les vrais Pharisiens, et l'Université, dans une lettre adressée au pape se joignit à son illustre organe, Guillaume de Saint Amour (5). La flétrissure leur resta (6). Il est vrai que Saint Amour était un ennemi, mais l'ennemi vit le côté faible de ses puissants adversaires. Après tout, il ne s'agit pas uniquement des ordres de saint François et de saint Dominique; le

(1) Du Méril, Poésies populaires latines du moyen-âge, p. 125. (2) Roman de la Rose, v. 11737 (T. II, p. 168).

(3) La Bible Guiot, v. 1473, dans Barbazan, Fabliaux et contes, T. II, p. 355. (4) Barbazan, Contes, T. I, p. 308, 315.

(5) Bulæus, Historia Universitatis Parisiensis, T. III, p. 251, 291. — Le sermon de G. de Saint Amour se trouve dans le Tome II du Fasciculus rerum fugiendarum, p. 43.

(6) Rutebeuf, OEuvres, T. I, p. 205.

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mal envahissait l'Église tout entière, l'hypocrisie était un vice universel, que les moines mendiants ne faisaient que mettre en évidence voilà pourquoi le docteur parisien jeta son cri d'alarme ('). Le mal n'était que trop réel, et le danger que trop véritable; mais il n'y avait pas de remède, car le mal était inhérent au spiritualisme exagéré de la doctrine chrétienne. Aussi ne fit-il que s'étendre. Au quinzième siècle un chartreux se plaignit que dans toutes les classes de la société, l'on rencontrait des hommes et des femmes qui, sous une apparence de sainteté, n'avaient d'autre Dieu que leur ventre, et ne poursuivaient qu'un but, les honneurs et les richesses (3).

Il faut suivre les religieux de toutes les couleurs dans les détails de leur existence pour se faire une idée du débordement d'hypocrisie, fruit du monachisme. Singulière contradiction de la vie monastique! Les moines se proposaient de réaliser l'idéal de perfection conseillé par Jésus-Christ à ses disciples, et à quoi aboutit en réalité la vie religieuse? A faire pulluler le pharisaïsme contre lequel l'auteur de la religion chrétienne, malgré sa mansuétude, ne trouve que des paroles de colère et de malédiction.

II. L'ascétisme.

L'ascétisme, tel que le pratiquaient les saint Damien et les saint François, est une folie, héroïque si l'on veut, mais qui n'en doit pas moins être condamnée, puisqu'elle détruit le corps, organe nécessaire de l'âme. Les héros du monachisme avaient seuls l'énergie nécessaire pour briser les instincts impérieux de la nature; quant au vulgaire des cénobites, ils ne songeaient guère à tuer le corps au profit de leur âme. Ce ne sont pas des poëtes satiriques ni des

(1) G. de Sancto Amore, Sermo II (Fasciculus, II, 48): Peccatum hypocrisis, quo fere tota Ecclesia vel pro majore parte infecta... Periculum quod omnibus vel toti Ecclesiæ imminet, maximum est periculum. »

(2) Jacobus de Paradiso, De septem statibus Ecclesiæ (Fasciculus rerum expctendarum, T. II, p. 102).

philosophes incrédules qui ont les premiers adressé ce reproche aux religieux, ce sont des hommes qui prenaient la vie religieuse au sérieux. « Les moines, dit Pierre de Celles, vivent dans la turpitude, adonnés au ventre, à la luxure et à toutes les sales passions; rien ne leur est doux que le vin, rien ne leur est amer que le cloitre; ils n'aiment rien que la chair et le monde, ils ne haïssent rien que la parole et l'esprit du Christ »(1). Pierre de Blois n'est pas moins indigné en voyant les clercs dépenser en festins recherchés, des biens que Jésus-Christ a conquis par son sang pour en faire le patrimoine des pauvres (3). Le mal alla croissant: Ruysbroek, le célèbre mystique, reproche à tous les ordres la paresse, la gourmandise et la débauche.

La contradiction entre l'idéal et la réalité était flagrante; les poëtes la reprochent durement aux moines : « Faux Semblant, dit le Roman de la Rose, va prêchant l'abstinence, et il se gorge de bons morceaux et de bons vins » (5). Les religieux quittaient le monde pour échapper à des séductions qui passaient pour des tentations du diable, et que faisaient-ils dans leurs monastères? « Jà n'ont-ils Dieu fors que leurs pances », répond un poëte (). Un autre dit que c'est « Bacchus qui est le vrai Dieu des moines » (3).

III. Le mépris du monde.

Fuir les tentations du monde et s'abandonner à la plus grossière de toutes, la gourmandise, voilà une singulière façon de témoigner du mépris pour les choses de la terre. En réalité, le dédain du monde n'existait que chez quelques àmes contemplatives; les héros mêmes du monachisme étaient si loin de s'enfermer dans leurs cel

(1) Petri Cellensis Epist. IV, 13 (Bibliotheca Maxima Patrum, T. XXIII, p. 863).

(2) Petri Blesensis Serm. XII (ib., T. XXIV, p. 1402).

(3) Roman de la Rose, v. 11852, ss. (T. II, p. 173, s.).

(4) Barbazan, Fabliaux, T. 1, p. 322, v. 1596.

(5) Flacius Illyricus, Varia Poemata, p. 146. La pièce est du chanoine anglais, Gautier Mapes.

lules, que c'était plutôt eux qui gouvernaient la société laïque. Le génie actif et remuant des races occidentales ne permettait pas aux religieux de s'immobiliser sur une statue, comme fit Siméon Stylite. « Les moines quittent le monde, dit un poëte populaire, et ils s'y plongent, ils s'y baignent mieux que le poisson dans l'eau » (1).

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Rien de plus naturel que ce retour au monde de la part de ceux qui y avaient renoncé c'était revenir aux conditions normales de la vie. Mais ce qu'il y a de singulier, c'est de voir les moines se jeter avec une espèce de fureur dans une carrière qui plus que toute autre jure avec l'abandon et le mépris des choses terrestres. Au douzième siècle, les religieux quittèrent leurs cellules et ils désertèrent la théologie pour se livrer tout entiers à la jurisprudence. L'opposition entre l'idéal du monachisme et la réalité ne pouvait être plus forte. En effet, le droit, c'est la vie, et le monachisme, c'est la mort; les morts laissèrent là leurs tombeaux pour revivre d'une vie qui promettait honneurs et richesses. Le concile de Reims (1131), voulant guérir le mal dans sa racine, défendit aux moines d'étudier le droit. Quel motif les poussait à embrasser une étude qui était si peu en harmonie avec leur profession? « Ce sont les flammes de l'avarice, dit le concile, qui allument la cupidité des religieux ; ils confondent le juste et l'injuste, pour gagner le plus d'argent possible » (2). Deux conciles tenus au Latran firent du décret de Reims une loi générale pour la chrétienté (5). Les décrets solennels de deux conciles généraux furent impuissants. Au treizième siècle, synodes sur synodes interdirent aux moines une carrière faite pour les hommes du monde et non pour ceux qui y renonçaient : ils cherchèrent à arrêter par la honte ceux qui n'étaient pas retenus par les devoirs de leur Règle : « N'était-ce pas une infamie pour des clercs de vouloir briller au barreau? Ces bavards croyaient égaler Cicéron! ils ressemblaient plutôt à des grenouilles qui coassent »(*). Les conciles frappèrent les coupables de peines

(1) Roman de la Rose, v. 12332-12335.

p. 438).

(2) Concile de Reims, de 1131, c. 8 (Mansi, T. XXI, (3) Concile de Latran, de 1139, c. 9 (Mansi, T. XXI, p. 528); id. de 1179, c. 12 (Mansi, T. XXII, p. 225).

(4) Conciles d'Angers, de 1269, c. 2 (Mansi, T. XXIV, p. 2); d'Excester, de

spirituelles et civiles, ils déclarèrent excommuniés de plein droit ceux qui ne rentreraient pas au couvent dans les deux mois (1); ils les menacèrent d'un jour de prison pour chaque contravention (*). Les moines bravèrent les canons, sans doute parce qu'ils trouvaient des complices dans leurs supérieurs. L'hypocrisie, toujours l'hypocrisie vint à leur aide. Ce n'était pas pour gagner de l'argent, disaient-ils, ce n'était pas pour arriver aux honneurs qu'ils plaidaient, c'était pour servir d'appui aux veuves et aux orphelins, et pour protéger les pauvres contre les riches (3). Comment s'opposer à de si pieux desseins! Les clercs s'armèrent encore d'un prétexte plus spécieux les moines-avocats n'étaient-ils pas les meilleurs défenseurs des intérêts ecclésiastiques? Les conciles admirent ces excuses et permirent aux clercs de plaider pour l'Église (*). C'était laisser la porte ouverte à l'abus que l'on voulait détruire. Aussi les conciles finirent-ils par se relâcher de leur rigueur; ils tolérèrent, dit Thomassin (), ce qu'ils ne pouvaient empêcher.

Au moyen-âge comme aujourd'hui, le droit donnait accès aux fonctions judiciaires et administratives. L'on s'arrachait les légistes célèbres quel appât pour l'ambition des moines! Le concile général de Latran défendit en vain aux clercs d'accepter des charges séculières (6); la répétition incessante des mêmes défenses atteste leur inefficacité. Pour détourner les clercs des fonctions civiles, les conciles firent appel à leur dignité : « Est-ce aux élus du Seigneur à servir des laïques, des hommes qui appartiennent à Satan? n'est-ce pas une chose dégradante pour le pouvoir spirituel, d'être subordonné au pouvoir temporel, jusqu'à être obligé de lui rendre des comptes? » Les zélés ressentaient vivement cette espèce d'infa

1287, c. 24 (Mansi, T. XXIV, p. 813); de Mayence, 1310 (Mansi, T. XXV, p. 307). (1) Concile de Paris, de 1212, c. 20 (Mansi, T. XXII, p. 831). (2) Concile de Mayence, de 1261, c. 52 (Mansi, T. XXIII, p.1104). (3) « Pro miserabilibus personis. » Concile de Latran, de 1179, c. 12 (Mansi, T. XXII, p. 225). -<< Pro pauperibus, viduis et orphanis, intuitu pietatis. >> Concile d'Arles, de 1260, c. 9 (Mansi, T. XXIII, p. 4007).

(4) Concile de Latran, 1179, c. 12. Concile de Ruffec, 1326, c. 2 (Mansi, T. XXV, p. 806). · Concile de Bourges, 1336, c. 7 (Mansi, T. XXV, p. 1061). (5) Thomassin, Discipl. eccl., Part. III, livre III, ch. 22, § 5, 6.

(6) Concil. Wigomiense, 1240, c. 30 (Mansi, T. XXIII, p. 536).

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