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son autorité, malgré son éloquence, saint Bernard ne réussissait pas toujours à vaincre l'opposition d'un père ou d'une mère : alors une sainte colère l'anime; on dirait le juge éternel qui foudroie les coupables. Il écrit à un jeune homme qui avait quitté le monastère sur les instances de ses proches : « Dieu t'avait appelé à lui, et voilà que tu l'abandonnes pour suivre le diable. Tes parents te jettent dans la gueule du lion, ils te plongent dans les gouffres de la mort; les démons t'attendent, ils sont prêts à saisir leur proie » (1).

Nous reprochera-t-on de prendre appui sur les exagérations d'un homme que sa vive imagination emporta presque jusqu'à l'écueil du mysticisme? Nous répondrons que saint Bernard est en tout d'accord avec Anselme, et Anselme est plutôt un métaphysicien qu'un mystique. Nous rapporterons encore les paroles de saint Bonaventure; il résume en termes calmes et modérés la doctrine qui conduit à la vie monastique : « On doit mépriser le monde, d'abord à cause des angoisses que donnent l'ambition, les honneurs et les richesses; ensuite, parce qu'en aimant les biens terrestres on néglige les biens éternels. Le bonheur de ce monde n'est après tout que vanité; la gloire passe, et il n'en reste que des cendres et des vers. La vie de ce monde est une tentation perpétuelle; personne ou du moins très-peu de fidèles s'y convertissent. Il est difficile de se sauver dans le monde. Hâtez-vous donc de le quitter, et de vous retirer dans les villes de refuge, les monastères, pour y faire pénitence du passé et vous rendre dignes de la gloire future » (2).

II. Le Monachisme au moyen-âge.

En présence de la répulsion que l'humanité éprouve pour le monachisme, les partisans du passé n'osent plus le glorifier comme l'idéal de la vie chrétienne; ils ne veulent pas admettre que cette institution s'identifie tellement avec le christianisme historique, qu'elle en soit

(1) S. Bernardi Epist. 142.

(2) S. Bonaventura, De contemtu mundi (Op., T. VII, p. 95).

la vraie expression. Ces accommodements avec l'esprit du siècle ne prouvent qu'une chose, l'embarras de ceux qui voudraient ressusciter la religion du moyen-âge et qui craignent de la montrer telle qu'elle était. Mais on nie en vain l'évidence; il ne s'agit pas ici d'une appréciation sur laquelle les avis peuvent différer, il s'agit de faits que toutes les subtilités du monde ne parviendront pas à effacer.

Le moyen-âge ne cachait pas ses sentiments; il considérait le monachisme comme l'idéal de la vie chrétienne. L'on sait que le baptême est le plus indispensable des sacrements, parce qu'il nous arrache à l'empire du démon et nous fait citoyens du royaume de Dieu. Eh bien! tous les docteurs assimilent l'entrée en religion à un second baptême (') Que l'on ne dise pas que cette comparaison est une gloriole de moine qui n'a rien de commun avec la doctrine; car l'idée première remonte à un Père de l'Église (2), et elle tient aux entrailles mêmes du christianisme. Si le monde est livré à Satan, ceux qui le quittent ne sont-ils pas dans la condition de l'enfant qui est baptisé? L'un et l'autre renoncent au diable; il n'y a qu'une différence, et elle est en faveur du moine chez l'enfant, ja renonciation est une promesse : le moine la réalise; de membre du diable, il devient membre du Christ. Après cette renaissance, il participe à la vie angélique, dit saint Bernard (5). Ceci, encore une fois, n'est pas une exagération de saint Bernard; l'abbé de Clairvaux ne fait que répéter ce que disaient les Basile, les Grégoire, les Chrysostome, et ce qu'un concile du onzième siècle a consacré de son autorité. Le synode de Nîmes dit que les moines sont semblables aux anges, puisqu'ils annoncent les ordres de Dieu, qu'ils occupent même un rang plus élevé dans la hiérarchie céleste, qu'ils ressemblent aux séraphins, dont leur habit représente les six ailes, deux

(1) Damiani, De perfectione monachorum, c. 6 (Op, T. III, p. 127). — S. Bernardi, Liber de præcepto et dispensatione, c. 17, p. 520. - Hugo (archevêque de Rouen), Dialogor. VI (Martene, Thesaurus anecdotorum, T. V, p. 974). — Gaufredi abbatis, Serm. XI (Bibliotheca Maxima Patrum, T. XXI, p. 83).

(2) Saint Jérôme appelle l'entrée dans la vie monastique « secundo quodammodo propositi se baptismo lavare » (Epist. 22, ad Paulam).

(3) S. Bernardi Serm. de diversis, 37, 5, p. 4161, et passim.

par le capuce, deux par les manches et deux par le corps (').

Être un ange sur cette terre, voilà déjà une condition assez belle; cependant elle ne suffit pas à l'ambition des moines; ils eurent la prétention de s'unir à Dieu, de ne faire qu'un avec lui. Cette singulière doctrine se trouve exposée dans un traité de la Vie solitaire par Guillaume, abbé de saint Thierri (2). L'ami de saint Bernard commence par comparer les cellules des moines et le ciel ; les mots ont quelque ressemblance en latin et, si nous en croyons notre abbé, la vie qu'on mène au paradis et dans les monastères est identique. En effet, que font les saints et les moines? Les uns et les autres s'occupent de Dieu et jouissent de Dieu. Le moine parfait, le moine spirituel devient semblable à Dieu, un avec Dieu : « Nonseulement il veut ce que Dieu veut, mais il ne peut rien vouloir que ce que Dieu veut. Vouloir ce que Dieu veut, c'est déjà être semblable à Dieu; ne pouvoir vouloir que ce que Dieu veut, c'est être ce que Dieu est, car pour lui vouloir et être, c'est la même chose. »

Cette exaltation de la vie monastique touche au sacrilége, mais elle caractérise bien les idées chrétiennes. En laissant de côté les excès ridicules ou impies, toujours est-il que le monachisme était l'idéal de la vie au moyen-âge. Cela est si vrai, qu'il absorba le christianisme et devint la religion par excellence. Les Pères de l'Église appelaient le monachisme philosophie chrétienne, et les moines les philosophes du christianisme. Cette comparaison, déjà assez ambitieuse, ne répondit pas à la haute idée que le moyen-âge se formait de la vie monastique. En effet les philosophes se bornaient à rechercher la sagesse, à aspirer à la perfection, tandis que les moines réalisaient la vie parfaite telle que le christianisme la conçoit; de là le nom de religion donné au monachisme et celui de religieux donné aux moines. Il nous faut donc voir quel était cet idéal de la vie chrétienne, dont on faisait une existence angélique et presque divine.

(4) Concile de Nimes tenu par le pape Urbain II, en 1096, c. 2, 3 (Mansi, T. XX, p. 934).

(2) Le traité se trouve dans le T. II des œuvres de saint Bernard, p. 195–233 (édit. des Bénédictins).

III. L'idéal de la vie monastique.

Le monachisme est l'idéal de la vie chrétienne; si cet idéal est l'expression de la vérité, tous les reproches que les protestants et les philosophes adressent aux moines tombent à faux; peu importe que leur existence se soit passée dans l'oisiveté et le désordre; quand tout ce qu'on leur impute serait vrai, cela ne prouverait qu'une chose, que l'idéal est difficile à atteindre et qu'il sera toujours impossible à un être imparfait de le réaliser d'une manière complète; mais cela n'empêcherait pas que cet idéal ne restât le but de notre vie, et que nous ne fussions tenus à faire des efforts incessants pour nous en rapprocher, dans la limite de notre faiblesse. Si au contraire l'idéal est faux, alors les vices des moines prouvent contre l'institution même, en ce sens qu'ils en sont une suite inévitable; les vices et l'institution se confondent, le monachisme doit être repoussé parce qu'il est vicié dans son essence. Il importe donc de considérer l'idéal en lui-même, abstraction faite de la réalité. Ce n'est pas dans les abus, ce n'est pas dans la corruption de la vie monastique qu'il faut chercher des armes pour combattre la doctrine chrétienne, c'est dans l'idéal lui-même, tel que les saints l'ont conçu et pratiqué.

Écartons d'abord une conception du monachisme qui n'a rien de commun avec l'idéal chrétien. Depuis que la vie monastique est repoussée par la conscience générale, on a essayé de lui trouver des titres à l'estime de l'humanité. Ce sont les moines, disent avec orgueil les partisans du passé, qui ont défriché l'Europe, ce sont les moines qui ont jeté les semences de la civilisation dont nous recueillons les fruits: ne soyons pas ingrats en répudiant nos bien faiteurs. Les historiens philosophes abondent dans cet éloge; nous mèmes nous avons célébré l'influence civilisatrice exercée par les moines d'occident. Mais est-ce au monachisme comme institution chrétienne qu'il faut rapporter ces bienfaits? Les fondateurs des ordres religieux, et tous ceux qui les ont illustrés par leurs vertus auraient rougi des éloges qu'un siècle incrédule leur prodigue. On les glorifie parce qu'ils ont essarté des forêts et des bruyères! Les

saint Benoit, les saint Bernard se proposaient-ils par hasard une œuvre matérielle? les moines dans leur pensée étaient-ils des pionniers? Laissons cette gloire aux Américains; en faire un titre d'honneur aux disciples du Christ, c'est rabaisser des hommes qui loin de penser à créer de nouvelles sources de richesses, fuyaient la matière et la redoutaient comme le domaine de Satan. Ils n'étaient pas citoyens de ce monde, mais citoyens de la Jérusalem céleste; ils ne songeaient pas à donner une face nouvelle à la terre, mais à y vivre de la vie des anges. Si tout en travaillant à leur salut ils ont cultivé le sol, cette œuvre est due aux tendances des populations occidentales et non au génie des ordres monastiques. La race européenne et surtout la race germanique a modifié l'esprit du monachisme; ce sont les Barbares, ce ne sont pas les chrétiens qui ont été les pionniers du moyen-âge. Le vrai monachisme ne conduit pas à l'action mais à la contemplation: Siméon Stylite, immobile sur sa colonne, est l'idéal du moine et non le religieux qui défriche des bois, ou le bénédictin qui passe sa vie dans des travaux scientifiques.

La science était moins encore que l'agriculture le but du monachisme. Le travail corporel est un instrument de perfectionnement moral; c'est comme tel que les fondateurs des ordres monastiques l'ordonnèrent aux moines. Mais la science était vue avec défaveur, que dis-je? elle passait presque pour l'œuvre de l'ennemi du genre humain. Les hommes qui ont le plus exalté la vie monastique au moyen-âge, nous diront si le monachisme s'est proposé une mission intellectuelle. Saint Damien a écrit un opuscule sur la simplicité de l'esprit opposée à l'enflure de la science ('); il s'y efforce de prouver combien l'amour de la science est pernicieux : « C'est par des simples d'esprit et non par des savants que Dieu a fait prêcher sa loi. Saint Benoît ne brillait pas par la science. Saint Antoine laissa là Platon pour se contenter de l'Evangile. A quoi sert la science aux chrétiens? Allume-t-on une lanterne pour voir le soleil? Laissons la science aux Julien l'Apostat. Saint Jean s'en passa, saint Grégoire la méprisa, saint Jérôme se la reprocha comme un

(1) S. Damiani, Op., T. III, p. 346.

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