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lisme excessif qui leur donna naissance. Or, en répudiant la conception de la vie qui découle des conseils évangéliques, il a répudié implicitement le christianisme primitif. La religion a virtuellement cessé d'être une religion de l'autre monde; donc le christianisme a cessé d'être ce qu'il était. De là l'embarras de ses défenseurs, les contradictions dans lesquelles ils se trouvent engagés, les concessions qu'ils sont obligés de faire pour concilier ce qui est inconciliable, un dogme qui méprise, qui détruit la vie et la tendance naturelle de l'humanité qui accepte la vie et s'y attache.

Ces transactions sont insuffisantes; il ne faut pas à l'humanité un dogme qui contrarie ses tendances et qui est incompatible avec ses besoins, il lui faut un dogme qui sanctifie la vie telle que Dieu l'a faite. La religion de l'autre monde doit faire place à la religion de la vie une, progressive, infinie. C'est l'œuvre de l'avenir; il ne fera que consacrer le mouvement qui dès maintenant se produit avec une force irrésistible. Le spiritualisme chrétien et le dualisme des clercs et des laïques ont donné naissance à l'Église considérée comme pouvoir spirituel, pouvoir qui domine l'État comme l'âme domine le corps. Mais si le dualisme de la vie religieuse et de la vie laïque est faux, le fondement sur lequel repose le prétendu pouvoir de l'Église s'écroule. La vie laïque est aussi sainte que la vie des clercs; donc la société laïque n'est pas subordonnée à l'Église; elle a sa légitimité en elle-même; ce qui justifie l'émancipation de l'État, et entraîne sa sécularisation complète. En vain l'Église réclame sa suprématie spirituelle; voilà des siècles que cette suprématie s'en va, pièce par pièce. La marche de l'humanité, telle qu'elle se manifeste par l'histoire, nous révèle les desseins de Dieu.

SII. Le Monachisme.

No 1. L'idéal.

I. Qu'est-ce que le Monachisme?

La question que nous posons paraîtra singulière à plus d'un lecteur. Le monachisme a une existence séculaire; nous en voyons encore des débris sous nos yeux, les partisans du passé espèrent qu'il renaîtra dans son antique splendeur; et nous demandons au milieu du dix-neuvième siècle ce que c'est que le monachisme? Cependant la question est sérieuse, et elle reçoit des solutions diverses. Cela seul ne serait-il pas une preuve qu'il s'agit d'une institution morte qui appartient à l'histoire? Est-ce que dans le siècle de saint Bernard et de saint François l'on aurait demandé ce que c'est que la vie monastique? C'est comme si l'on s'était enquis au douzième siècle de ce que c'était que la féodalité. Le monachisme est devenu étranger à nos mœurs et à nos idées; voilà pourquoi nous ne le comprenons plus; nous lui cherchons des raisons d'être qui soient en rapport avec notre état social, sans songer que par cela même elles ne sont pas en harmonie avec le temps où fleurirent les monastères.

La réforme fut une vive réaction contre le monachisme, tout en prétendant revenir à la doctrine primitive du christianisme; elle dut donc voir dans les ordres monastiques une altération de la vérité chrétienne. Comme les moines se proposaient de réaliser l'idéal de la conception catholique, les protestants leur imputèrent tout ce qui les choquait dans le catholicisme. Le dogme de la gràce avait fait place à la pratique des œuvres; les innombrables monastères qui couvraient l'Europe étaient autant de lieux où des milliers de chrétiens passaient leur vie dans les mortifications de la chair. Or, la réforme condamnait la doctrine des œuvres comme entachée de pélagianisme. De là les protestants furent conduits à chercher le fondement religieux du monachisme dans des tendances pélagiennes. Nous ne pouvons pas nous ranger à cette appréciation. Le

monachisme était dans tout son éclat avant que Pélage eût exalté la liberté au point de compromettre la grâce: les moines de la Thébaïde n'étaient pas des pélagiens. Au dix-septième siècle, le principe de la liberté humaine, si odieuse aux réformés, prit définitivement place dans la conscience générale; elle trouva d'ardents adversaires parmi les rares partisans de saint Augustin. Vit-on alors les sectateurs de la grâce déserter les couvents et ceux qui croyaient au mérite des œuvres fuir le monde? On vit tout le contraire. Les Jansénistes, les hommes de Port-Royal, si passionnés pour la grâce, se retirèrent dans les solitudes; sous leur inspiration il y eut une renaissance de la vie religieuse, comparable pour l'ardeur et la sainteté aux beaux temps de saint Benoît et de saint Bernard. Si les protestants n'imitèrent pas les solitaires de Port-Royal, c'est une inconséquence de plus à ajouter à celles que l'on est en droit de leur reprocher. En effet, la vie monastique a ses racines, non dans les erreurs de Pélage, mais dans les profondeurs du spiritualisme chrétien. Ceci n'est pas une hypothèse; nous allons laisser la parole à ceux qui ont pratiqué la vie monastique au moyen-âge : les saint Damien, les saint Anselme, les saint Bernard, les saint François, ces héros de la vie religieuse, nous diront quels étaient les sentiments qui les inspiraient.

Le spiritualisme chrétien découle de l'idée que la théologie se fait de la vie et du monde. Elle enseigne que le diable est le prince du monde; or, tout homme promet dans le sacrement du baptême de renoncer au diable, par cela même il renonce au monde : car, dit un moine du douzième siècle, que sont les œuvres du monde et ses pompes, sinon les œuvres et les pompes du diable (1)? Le mépris du monde n'est donc pas une loi particulière au monachisme : « Les laïques, dit Gerhoh, aussi bien que les clercs y sont tenus, par la raison que le monde entier est le domaine de Satan (2). » Si le monde est l'empire du mal, il s'en suit que tout chrétien doit fuir le monde.

(1) Johannis, Cartusiæ Portuarum, Epist. (XIIe siècle. Bibliotheca Maxima Patrum, T. XXIV, p. 1508).

(2) Gerhoh, De ædificio Dei, c. 43 (XIIe siècle), dans Pez, Thesaurus anecdotorum, T. II, P. 2, p. 390.

C'est saint Bonaventure (1) qui tire cette conséquence, et elle est irréfragable. Comment échapper au démon, quand on reste au milieu de ses tentations? C'est comme si pour sauver sa vie, l'on allait de gaîté de cœur braver les orages et les tempêtes. Il faut chercher un abri contre l'ouragan. Le monastère est ce refuge : « Heureux, s'écrie saint Damien (2), heureux les élus que Dieu sauve parmi le grand nombre de ceux qui périssent; en les recevant dans son arche sainte, Jésus-Christ arrache les moines au monde, comme le pasteur arrache quelques agneaux de la gueule d'une bête féroce. »

Voilà la théorie du monachisme : c'est la doctrine des plus grands penseurs, des plus belles âmes qui aient brillé dans la nuit du moyen-âge. Écoutons d'abord saint Anselme. Il avoue qu'à la rigueur le salut est possible dans le monde; mais qui a le plus de chances de se sauver, ceux qui prennent à tâche d'aimer Dieu seul, ou ceux qui veulent unir l'amour de Dieu et l'amour du siècle? Vainement dit-on que la vie monastique a aussi ses écueils: parce qu'il y a danger partout, faut-il choisir la voie la plus dangereuse (5)? Quelle différence entre le monde et le monastère! C'est la différence entre l'empire du démon et le royaume céleste. Anselme écrit à un moine que Dieu, en lui inspirant le goût de la vie monastique, l'a conduit dans le chemin du paradis, pour mieux dire dans le paradis lui-même (*). Le saint abbé sollicite, il supplie les personnes qu'il aime de quitter le monde pour le cloître. A l'époque où il vivait, une noble ardeur emportait des milliers de fidèles sur les champs de bataille de la Terre Sainte. C'était une ambition consacrée par la voix de Dieu les croisés n'allaient-ils pas délivrer le tombeau du Christ? n'obéissaient-ils pas à l'appel de son vicaire? la guerre sacrée n'était-elle pas un moyen d'obtenir la rémission de ses péchés? Cependant saint Anselme emploie toute son éloquence pour détourner de la croisade un ami qui lui est cher; il le prie, il le conjure, il lui commande de renoncer à la

(1) S. Bonaventura, Sermo de Sanctis (Op., T. III, p. 222).

(2) S. Damiani, De bono religiosi status, c. 1, 2 (Op., T. III, p. 350). (3) S. Anselmi Epist. II, 29 (Op., p. 352).

(4) S. Anselmi Epist. III, 137, p. 415.

Jérusalem terrestre pour ne songer qu'à la Jérusalem céleste: dans le monastère il trouvera ce qu'il cherche vainement ailleurs, le salut éternel (1).

Saint Bernard est encore plus enthousiaste de la vie monastique. Il ne méprise pas seulement le monde, il le hait, il le maudit, parce que tous ceux qui s'y attachent deviennent ennemis de Dieu (2). Quand par ses pressantes exhortations, il a gagné une âme au monastère, il faut entendre ses cris de joie, mêlés à l'anathème qu'il jette au siècle; c'est comme si le paradis s'ouvrait en face des abimes de l'enfer. « Les cieux se réjouissent, la terre tressaille, toute langue glorifie Dieu de votre conversion. C'est Jésus-Christ qui Vous appelle à lui, parce qu'il vous aime comme ses entrailles, comme le fruit le plus précieux de sa croix, comme la plus digne récompense de son sacrifice »(3). Cependant, mème au milieu de la plus grande ferveur du monachisme, la nature se révoltait, le lien du sang luttait contre une vie qui ne connaît plus aucune affection humaine. Saint Bernard poursuit de ses invectives ceux qui osent détourner un chrétien du cloitre; il les compare au serpent qui séduisit Ève : « Le diable ne suffit-il pas pour perdre les hommes? faut-il que les disciples du Christ lui viennent en aide? Pleurer un enfant qui entre au couvent, c'est pleurer parce que de fils de Satan il est devenu fils de Dieu : c'est de la folie, c'est de la cruauté, c'est un crime! » (') Citons encore la lettre insensée que saint Bernard écrit au nom d'un novice aux parents qui s'opposaient à ses désirs: « Vous n'êtes pas mes parents, vous êtes mes ennemis.... Qu'ai-je de vous si ce n'est péché et misère?... Il ne suffit pas, malheureux, que vous ayez mis un malheureux dans cette vie de malheur; il ne vous suffit pas, que, pécheurs, vous ayez engendré un pécheur dans le péché; vous m'enviez la grâce divine qui me sauve de la mort, vous tenez à me faire enfant de la géhenne »(3). Malgré

(1) S. Anselmi Epist. II, 19, p. 347.

(2) S. Bernardi Epist. 107.

(3) Id., Epist. 109.

(4) Id., Epist. 292, 322.

(5) Id., Epist. 444.

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