Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

vrai dire, Luther n'innova pas, il modéra plutôt l'ardeur des révolutionnaires; il tenait au passé autant qu'à l'avenir, et c'est pour cela qu'il réussit. Il en fut de même sur le terrain politique. Là encore, il se fit un travail séculaire qui amena l'émancipation de la société laïque et l'affranchissement de l'État. Cette face de la réforme a d'autant plus d'importance que les questions soulevées par la révolution religieuse du seizième siècle sont de nouveau agitées au dix-neuvième. Nous allons suivre la marche de l'humanité pendant le moyen-âge; quand l'histoire prouve que la tendance irrésistible des faits est d'affranchir la société laïque et l'État du joug de l'Église, qui pourrait encore tenter de restaurer l'édifice du passé? La tentative serait inutile tout ensemble et criminelle, car elle irait à l'encontre des desseins de Dieu dont l'histoire est l'éclatante manifestation.

DEUXIÈME PARTIE.

LA RÉFORME SOCIALE.

CHAPITRE I.

CONCEPTION DE LA VIE.

SI. Le spiritualisme catholique et la conception de la vie.

La religion, bien qu'elle soit surtout un rapport de l'homme avec Dieu, conduit aussi à une conception de la destinée de l'homme dans ce monde. Que l'on compare les Grecs assistant à la vie comme à un banquet, la tête couronnée de fleurs, avec les chrétiens, qui méprisent les joies de la terre et les redoutent comme une tentation de l'esprit du mal, cette comparaison donnera une notion plus juste de l'hellénisme et du christianisme que les dogmes des deux religions. Le christianisme voit dans la vie d'ici-bas un court passage, une épreuve ou une expiation; notre patrie véritable est la Jérusalem céleste; c'est vers elle que doivent tendre toutes nos pensées, toutes nos actions, et pour y arriver, il faut mépriser les séductions du monde, se mépriser soi-même, fuir la société pour vivre dans la solitude avec Dieu. Cet ordre d'idées aboutit logique

ment au monachisme; aussi le monachisme a-t-il été l'idéal de la perfection évangélique pendant l'époque où les sentiments chrétiens dominaient les esprits.

Le christianisme fait de la vie une préoccupation constante de la mort, des tourments de l'enfer et des joies du paradis. Mais cet autre monde, tel que les chrétiens le conçoivent, est un monde imaginaire. L'autre monde ne diffère pas essentiellement du monde où nous vivons; les deux mondes n'en font qu'un. La mort n'est pas un abime, qui sépare pour l'éternité le paradis de l'enfer; elle n'est que le passage d'une existence à une autre existence. Or, si la vie actuelle n'est qu'une phase de la vie infinie, elle n'est pas moins sainte que la vie future; la religion, loin de la maudire et de la tuer, doit l'accepter et la sanctifier. Dans cet ordre d'idées, le monachisme ne peut plus être l'idéal de la vie, car il repose sur une fausse conception de la destinée humaine. C'est parce que l'idéal chrétien est faux, qu'il n'est pas parvenu à s'assimiler la société; le christianisme n'a même jamais essayé d'imposer son idéal à l'humanité; il en a senti l'impossibilité, et s'est contenté de pratiquer la perfection évangélique dans des communautés composées de quelques élus. De là le dualisme entre la vie laïque, qui est plus ou moins réprouvée, et la vie religieuse, qui doit réaliser l'existence des anges sur cette terre.

Il résulte du dualisme chrétien une opposition nécessaire entre les clercs qui seuls participent à la vie véritable, et les laïques qui restent en quelque sorte en dehors de la vie. Telle est la raison profonde de l'hostilité qui a toujours existé dans le sein de la chrétienté contre le monachisme; une protestation non interrompue l'accompagne depuis les premiers siècles jusqu'au jour où l'humanité a rejeté avec mépris ce que les plus grands penseurs du christianisme avaient célébré comme un type de perfection. La lutte contre le monachisme est au fond une lutte contre le christianisme historique, car la vie monastique est l'expression de la perfection évangélique, c'est-à-dire la réalisation d'une idée dans laquelle se concentre la religion du Christ. Si la vie monastique est fausse, les conseils de perfection donnés par Jésus-Christ à ses disciples sont également faux; d'où suit que la doctrine chrétienne est fausse dans

son essence. Le mouvement qui se produit au moyen-âge contre le monachisme est donc un mouvement antichrétien, c'est un premier pas hors du christianisme traditionnel. Peu importe que ceux qui attaquaient les ordres religieux n'eussent pas conscience du but vers lequel ils marchaient, ils n'en marchaient pas moins vers ce but. Beaucoup croyaient que la vie monastique était un abus qui pouvait disparaître, sans que le christianisme en fût altéré; ils voyaient au contraire dans l'abolition des monastères un retour à l'Evangile. Les réformateurs furent de cet avis : c'est une des plus grandes inconséquences que l'on soit en droit de leur reprocher. Dans leur imprévoyance, les protestants crurent qu'ils rendraient au christianisme sa pureté primitive, en mettant fin à la vie anomale et par suite corrompne des moines; mais ici l'on voit à l'évidence que le prétendu retour au christianisme évangélique était réellement un pas hors du christianisme. Le mouvement commencé par la réforme conduit en effet à considérer le monde actuel comme un avec l'autre monde; s'il n'y a plus de dualisme dans la vie terrestre, il n'y en a pas davantage dans la vie future; donc le christianisme cesse d'être une religion de l'autre monde, c'est-à-dire qu'il cesse d'être ce qu'il était dans son principe; il doit se transformer ou faire place à une religion nouvelle.

Les protestants comme les catholiques ont beau résister à cette dernière conséquence d'un mouvement séculaire, la marche providentielle de l'humanité les emporte malgré eux. Ils croient posséder une doctrine immuable qui domine le temps et brave les révolutions qu'il amène; mais l'immutabilité est contraire aux lois que Dieu a données à la vie. La religion est l'expression des besoins et des idées des hommes; comment resterait-elle la même, quand les besoins changent et que les idées se modifient? La religion doit progresser comme toute manifestation de la vie. Ce qui fait illasion aux catholiques, c'est que leur dogme reste le même il est aujourd'hui, disent-ils, ce qu'il était il y a deux mille ans; aujourd'hui comme du temps de Jésus-Christ, ses disciples se prosternent devant le Dieu un et triple qu'il leur a révélé. Nous répondons que l'immutabilité du dogme est plus apparente que réelle. Il est vrai qu'il y a des croyances, telle que celle de la Trinité, qui, une fois

:

formulées, restent invariables; mais ce sont précisément celles qui n'ont aucune influence directe sur la vie, qui sont à peine entrées dans la conscience générale; dès que le dogme touche à la vie, il se modifie comme tout ce qui a vie. Rien ne le prouve mieux que les efforts des théologiens pour maintenir leurs vieilles formules; ils sont obligés à chaque instant de leur donner un nouveau sens; de là ces accommodements avec les sentiments généraux qui font que le terrible dogme du péché originel s'est adouci au point que saint Augustin aurait de la peine à le reconnaître. Quand il s'agit de la vie même, de la destinée de l'homme, la prétention à l'immutabilité se dément encore davantage. L'esprit de la société se modifie incessamment; la vie changeant, la conception de la vie doit nécessairement changer. Cependant la conception de la destinée humaine est l'expression d'une croyance religieuse; quand elle se modifie, on peut être sûr que la croyance se modifie également. Le christianisme ne peut échapper à une loi qui est universelle, qui est divine, puisqu'elle émane de Dieu.

Les catholiques ont conservé les monastères, mais l'idée qui animait le monachisme a fait place, même au sein du catholicisme, à une conception de la vie qui est en tout l'opposé de l'idéal chrétien. Quel est le sentiment qui inspire le christianisme primitif? C'est le mépris du monde, c'est le désir ardent de la mort qui doit conduire à la véritable vie de là l'exaltation de la virginité, de là le dédain des biens matériels et la réprobation de la propriété. Telles furent les croyances qui poussèrent des milliers de fidèles dans les déserts et dans les couvents. Où est aujourd'hui le mépris du monde et des richesses au sein de la société catholique, chez ceux-là mêmes qui s'appellent les élus de Dieu? Qu'est devenue l'horreur de la propriété? Disons avec Grégoire le Grand que ceux qui cherchent avec tant d'âpreté à accroître leurs richesses doivent avoir peu de souci des joies de l'autre monde ('). Il faut donc convenir que le catholicisme, tout en maintenant ses monastères comme des momies, legs d'un passé glorieux, a rejeté le spiritua

(1) Gregor., Moralia in Job (Op.. T. II, p. 103): « Qui hic multiplicandis divitiis inhiant, quæ alterius vitæ gaudia sperant ? »

« ZurückWeiter »