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chefs sous lesquels ils vivent, qu'ils soient un ou plusieurs. L'unité de l'Église sous le pape n'est qu'un accident; ce n'est pas le pape qui est le lien de l'unité, c'est l'Esprit Saint » (1). Dans cet ordre d'idées, la séparation des clercs et des laïques n'a plus de raison d'être : « Nous sommes tous clercs, s'écrient les Bohèmes. Il y a dans l'Église divers ordres de ministères, mais tous sont également saints, car tous sont établis par Dieu; le laboureur est aussi saint que le prêtre; si le prêtre remplit des fonctions plus augustes, ce n'est pas à dire qu'il soit au-dessus des autres ordres. Tous sont égaux, car par le baptême, tout chrétien est oint, tout chrétien devient saint. » Les réformateurs bohèmes demandaient en conséquence que les laïques pussent communier tous les jours comme les prêtres. A ceux qui objectaient qu'il n'y aurait plus de différence entre les clercs et les laïques, Mathieu de Janow répond avec Moïse qu'il est à souhaiter que tous les chrétiens soient prophètes (2). C'est la prophétie d'un nouveau monde, où les derniers vestiges du régime des castes disparaîtront, pour faire place à la sainte égalité.

Les hérétiques du moyen-âge avaient déjà rejeté les superstitions catholiques, en prenant appui sur la parole de Dieu. Pour les précurseurs pas plus que pour les sectes, il ne peut être question de saints, de reliques, de pèlerinages. Ils sont encore d'accord avec les Vaudois, en repoussant les sacrements dont l'Écriture ne fait pas mention. Cependant ici les précurseurs s'écartent des hérésies. Ils ne procèdent plus révolutionnairement; aucun d'eux ne se sépare de l'Église, ils y occupent tous des fonctions, tous sont clercs. Hus, bien qu'il soit mort sur le bûcher, a soutenu jusqu'au dernier instant de sa vie qu'il entendait rester dans le sein de l'Église, et la postérité, plus juste que le concile de Constance, a proclamé par la voix de Bossuet, que le martyre bohème « a cru tous les articles de la croyance romaine, sans en excepter un seul »(5). Le fougueux

(1) Wessel, Quæ sit vera communio sanctorum (Op., p. 890); de potestate ecclesiastica, ib., 753. p. - Gieseler, ib., T. II, 4, § 153, p. 464, 496.

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(2) Janow, De regulis veteris et novi testamenti (Neander, Geschichte der christlichen Religion, T. VI, p. 405-409).

(3) Bossuet, Histoire des Variations, livre IV (OEuvres, T. X,

p. 448).

Wiclef n'a pas d'autres sentiments que le doux et évangélique Hus; il ne veut pas détruire, mais réformer. Sur le mystère principal du christianisme, Wiclef est bien plus réservé que les hérétiques. Lui qui est si audacieux quand il s'agit d'attaquer le pape, est presque timide, quand il parle de l'eucharistie. Il nie à la vérité la transsubstantiation, et si nous en croyons un chroniqueur anglais, il le fit en des termes qui semblaient exclure toute présence réelle: «Si le corps de Jésus-Christ était dans l'eucharistie, disait-il, je pourrais, en brisant l'hostie, casser le cou à Dieu »('). Faut-il donc admettre qu'il rejetait la présence réelle? Non, il la maintient, mais en hésitant sur l'explication du mystère; tantôt il se rapproche de Zuingle, tantôt de Calvin ou de Luther("); on dirait qu'il réunit en lui toutes les contradictions de la réforme. Un seul des précurseurs du quinzième siècle s'est montré plus hardi. Wessel nie résolument la présence réelle; il n'admet qu'une présence saeramentelle, qui ne diffère pas essentiellement de la présence permanente de Jésus-Christ : « La vie tout entière du Christ, dit-il, est une révélation de l'amour divin; dans le sacrement de l'eucharistie, les fidèles s'approprient cette charité, mais ils peuvent aussi la faire en-dehors de ce sacrement. C'est la doctrine de Zuingle; il paraît même que le docteur du quinzième siècle inspira le réformateur suisse (5).

Jusqu'ici nous ne voyons d'autre différence entre les précurseurs et les hérétiques qu'une nuance dans l'esprit qui les anime on peut dire que les uns étaient des conservateurs, tandis que les autres étaient des révolutionnaires. Il y a cependant un dogme qui les distingue plus profondément. On ne trouve pas chez les sectaires du moyen-âge la doctrine théologique de la réforme; les plus protestants des hérétiques, les Vaudois partageaient les sentiments de l'Église dominante sur les œuvres. La Noble Leçon place le jeûne

(1) Walsingham, ad a. 1381.

(2) Lewis, History of Wicliffe, p. 268, ss. 3, § 124, note l. Wiclef, Dialog., IV, 4. chen Religion, T. VI, p. 289, ss.

(3) Wessel, De sacramento eucharistiæ. p. 583.561.

Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, - Neander, Geschichte der christli

Ullmann, die Reformatoren, T. II.

et l'aumône parmi les actes satisfactoires des pénitents; elle considère l'Evangile comme une loi dont la stricte observation est requise pour le salut ('). Cet attachement aux œuvres fut une des causes de la faiblesse des sectaires. En vain attaquaient-ils l'Église, en vain faisaient-ils appel à l'Écriture, il leur manquait une arme de guerre pour battre en brèche le puissant édifice du catholicisme, il leur manquait un principe de foi pour remplacer la foi orthodoxe. Les réformateurs du quinzième siècle trouvèrent cette arme et ce principe dans la doctrine de la justification. Wiclef prit l'initiative dans ses propositions paradoxales sur la prédestination; mais ce furent surtout les Allemands qui préparèrent le terrain à la réforme. Chose remarquable! Les catholiques nient qu'avant Luther, l'on ait songé à altérer le dogme catholique, et voici des penseurs chrétiens qui dès le quinzième siècle enseignent la doctrine luthérienne sur la justification! L'un, Jean de Goch, resta inconnu du célèbre réformateur (2). L'autre, Wessel, ne vint à sa connaissance qu'après que Luther eut formulé sa doctrine : « Heureusement, dit le moine saxon; sans cela l'on m'aurait accusé de plagiat, tellement nos esprits concordent »(3)! Nous voilà sur le seuil de la réforme.

No 2. Le dogme.

Lorsque Luther inaugura la révolution religieuse par ses fameuses thèses sur les indulgences, les partisans du passé ne virent dans l'héroïque insurrection du réformateur allemand qu'une querelle de moines, et de graves historiens, même de libres penseurs, se sont faits l'écho de cette calomnie en rapportant le principe de la réforme à une jalousie d'ordres religieux. Les curieuses investigations de la science allemande ont vengé le protestantisme de ces indignes accusations. Déjà au douzième siècle, les hérétiques attaquèrent la théorie romaine des indulgences, comme s'ils avaient

(1) La Noble Leçon, dans Raynouard, Poésies des Troubadours, T. II, p. 74, 98, 89.

(2) Ullmann, Reformatoren, T. I, p. 148.

(3) Luther, T. XIV, p. 220, éd. de Walch.

voulu avertir l'Église qu'elle trouverait sa déchéance morale dans le même abus qui faisait sa puissance matérielle. L'Église ne profita pas de l'avertissement; elle s'abandonna tout entière à une cupidité effrénée Jésus-Christ et sa passion, les saints et leurs humbles vertus devinrent des mines d'or dans les mains d'un clergé insatiable. Mais en faisant servir les choses du ciel aux intérêts de la terre, Rome chrétienne ne s'apercevait pas qu'elle aboutissait à des monstruosités dignes de Rome païenne; par une juste punition, l'instrument de ses richesses devint l'instrument de sa perte. Depuis la fin du quatorzième siècle jusqu'au seizième, la conscience humaine proteste sans interruption contre le dégradant commerce que l'Eglise fait du salut des chrétiens. C'est le long grondement du tonnerre qui précède la tempête.

Le hardi Wiclef ouvre le combat; il conteste à l'Église le droit de remettre les péchés : « C'est un blasphème, dit-il, que de s'arroger un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu. Les prêtres annoncent seulement aux hommes que, s'ils sont réellement contrits, Dieu les absoudra» (1). La doctrine des indulgences implique la possession du fameux trésor de mérites dont le pape prétendait avoir la faculté de disposer. Wiclef dit que l'idée même de ce trésor est une absur⚫dité : « En supposant qu'il y ait des mérites surérogatoires, conçoiton qu'on puisse les transporter d'une personne à une autre, comme on transfère une créance? » (2) La vente des indulgences allume la colère du réformateur anglais : il demande pourquoi le riche jouit d'une faveur spirituelle, dont le pauvre est privé; si c'est réellement une chose spirituelle, on ne peut pas la vendre : c'est induire les hommes en erreur, c'est commettre un infâme brigandage (3).

Sur le terrain des indulgences il n'y a pas de divergence entre les précurseurs les timides n'ont pas d'autres sentiments que les audacieux. Hus s'indigne d'autant plus qu'il est plus chrétien. Son opposition contre l'Église éclata à l'occasion d'une bulle d'in

(1) Vaughan, The life and opinions of John de Wycliffe, T. II, p. 284. Wiclef, Dialog., III, 7.

(2) Wiclef, Dialog., IV, 32.

(3) Vaughan, d'après un manuscrit de Wiclef: on prelates.

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dulgences accordée par Jean XXIII pour soutenir la guerre contre le roi de Naples. Une guerre entreprise par le vicaire de Dieu, dans un intérêt temporel, lui paraissait déjà une énormité; c'était une chose plus monstrueuse encore de promettre des indulgences à ceux qui tueraient des chrétiens, ou de vendre des indulgences à ceux qui contribueraient aux frais de la croisade. Hus dit comme Wiclef que Dieu seul peut remettre les péchés (1). C'est le cri de la conscience chrétienne; il ne restait plus qu'à détruire, l'Écriture à la main, l'édifice ruineux de l'avarice romaine.

Jean de Wesel entre dans le cœur de la difficulté. Il ne suffit pas de combattre les indulgences, en tant qu'elles accordent une rémission de péchés; c'est attaquer l'abus plutôt que le principe; pour ruiner le pouvoir de l'Église dans son fondement, il faut lui contester le pouvoir de compenser les peines, à l'aide de son trésor de mérites. C'est ce que fait Wesel: « L'homme, dit-il, n'a pas de mérite aux yeux de Dieu; il ne doit son salut qu'à la grâce; dès lors il est impossible qu'il y ait un trésor de mérites. Mais supposons qu'il y en ait un et qu'il puisse y avoir une compensation de peines qui la fera? L'homme? Il ignore quelle est la peine infligée par Dieu; comment saurait-il ce qui peut la compenser? Les indulgences ne sont en définitive qu'une fraude pieuse.» Cette critique des indulgences est plus radicale que celle de Luther dans ses fameuses thèses. Le réformateur du seizième siècle blâmait seulement les abus; le précurseur du quinzième attaque le droit même de l'Église et à une fausse théorie il oppose la vraie doctrine: « Dieu est juste, dit-il, donc celui qui pèche doit être puni; mais Dieu est aussi bon, sa grâce relève le pécheur de sa chute. Pour cela il n'est pas besoin de l'intermédiaire de l'Église; tout se passe entre l'homme et Dieu » (2). La critique de Jean de Wesel est décisive; ses successeurs n'eurent rien à y ajouter; celui des précurseurs que les Allemands placent le plus haut, Wessel, ne fit que répéter ce que le premier avait enseigné (3).

(1) J. Hus, Quæstio disputata ab eo, anno 1412 (Historia et Monumenta, T. I, p. 215).

(2) J. de Wesalia, adversus indulgentias disputatio (Walch, Monumenta medii aevi, vol. II, fasc. I, p. 111-156). — Ullmann, die Reformatoren, T. I, p. 287-307. (3) Ullmann, die Reformatoren, T. II, p. 607-613.

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