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certain que les superstitions du catholicisme furent répudiées par les hérétiques à l'époque même où elles étaient dans toute leur force. Le commerce des indulgences n'avait pas encore l'extension qu'il prit quelques siècles plus tard, mais déjà l'abus se montrait; les sectaires le combattirent dans son principe par leur doctrine sur la confession et la pénitence: « Ce n'est pas le prêtre, disaient-ils, qui remet les péchés, c'est Dieu. La contrition du cœur efface les fautes par la grâce divine; dès lors l'intervention du prêtre est inutile » (1). Rejetant la confession, à plus forte raison devaientils repousser l'indulgence; pour montrer ce qu'elle avait d'absurde, ils supposaient qu'un fidèle était condamné à une pénitence de trois ans : « trois évêques, à l'occasion de la consécration d'une église, accordent chacun une indulgence d'un an; le pénitent gagne les trois indulgences; le voilà absous pour trois deniers » (2). Le clergé dominait les vivants par la crainte des peines qui les attendaient dans la vie future; il les dominait par les angoisses que leur inspirait la pensée que des personnes chères, un époux, un fils étaient soumis aux tourments de l'enfer. L'Église prétendait avoir les moyens de sauver les vivants et les morts. Bien des siècles avant la réforme, les hérétiques aperçurent le néant de cette usurpation: ils rejetèrent les prières, les messes et en général toutes les bonnes œuvres faites pour les défunts (3). Pierre de Bruis disait avec grande raison: « Aux morts les offrandes ne peuvent pas profiter, mais elles profitent aux prêtres qui en font un instrument de puissance et une source de richesses » (').

Ceux qui abandonnent la tradition catholique sont placés sur une pente fatale, où il est impossible de s'arrêter; dès que l'on fait un pas hors de l'Église, on est conduit par la force des choses à répudier successivement toutes les croyances chrétiennes. Les hérétiques firent au moyen-âge l'expérience, que les protestants renou

(1) Alanus, contra Waldenses et Albigenses, I, 50, 52; II, 40 (p. 241, 265). La Noble Leçon dit : « Seulement Dieu pardonne, vu qu'autre ne le peut faire. >> (2) Alanus, contra Waldenses et Albigenses, II, 14, p. 265.

(3) Bernardus, contra Waldenses, c. 9 (Bibl. Max. Patrum, T. XXIV).

(4) Petri Venerabilis Epistola adversus Petrobusianos hæreticos (Bibl. Max. Patrum, T. XXII, p. 4033).

velèrent dans les temps modernes. Le principe que rien n'est légitime que ce qui est consacré par l'Écriture, les amena à rejeter la plupart des sacrements, la confirmation, l'extrême onction, l'ordre et le mariage (1). Nous verrons qu'ils dépassèrent la réforme et même le christianisme, en repoussant l'eucharistie et le baptême. Il ne leur resta plus rien du catholicisme. Un philosophe qui se respecte ne pourrait pas assister au culte romain; il ne pourrait pas même sans hypocrisie prendre part au culte des réformés; mais un philosophe aurait pu au douzième siècle se mêler aux réunions des Cathares: «< Pour adorer Dieu, disaient-ils, on n'a pas besoin de s'assembler dans une maison faite de pierres; Dieu est présent en tous lieux, il est présent là où deux ou trois hommes sont réunis en son nom. » Leurs temples n'avaient aucun ornement; l'on n'y voyait ni statues, ni peintures; ils condamnaient les images comme des idoles inventées par le démon. L'on commençait le service religieux par la lecture d'un passage de l'Évangile, que le ministre interprétait; puis venait la bénédiction. Les croyants joignaient les mains, fléchissaient les genoux et s'inclinaient trois fois en disant : « Bénissez-nous; » ils ajoutaient la troisième fois : « Priez Dieu pour nous pécheurs, afin qu'il fasse de nous de bons chrétiens et qu'il nous conduise à une bonne fin. » A chaque prière des fidèles le ministre répondait : « Que Dieu vous bénisse; » et il terminait par ces mots : « Dieu veuille faire de vous de bons chrétiens et vous conduire à une bonne fin. » Après avoir reçu la bénédiction, l'assemblée récitait l'oraison dominicale c'était l'unique prière qu'ils croyaient permise aux disciples du Christ (2). Les Vaudois avaient un culte tout aussi simple; la philosophie n'a point de notion plus pure de la prière que les pauvres de Lyon : ordonner sa vie d'après la volonté de Dieu, bien penser et bien agir, voilà ce qu'ils appelaient prier (3).

(4) Alanus, contra Waldenses et Albigenses, I, 66, ss., p. 251. Rainerii Summa (Bibl. Max. Patrum, T. XXV, p. 265).

(2) Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des Cathares, T. II, p. 144, 112, 115, 116.

(3) Leger, Histoire des églises vaudoises, T. I, p. 41.

SII. Les Précurseurs de la Réforme.

N⚫ 1. Les Précurseurs et les Hérétiques.

Dans les deux siècles qui précèdent la réformation paraissent les hommes que les protestants reconnaissent pour les précurseurs de la révolution religieuse du seizième siècle. On se tromperait en croyant qu'un abîme sépare les précurseurs des hérétiques, parce que les protestants adoptent les uns et qu'ils répudient les autres; les sentiments qui inspiraient les hardis sectaires du douzième siècle, animent aussi les précurseurs du quinzième ; s'il y a plus de précision dans leur doctrine, plus de fermeté dans leurs croyances, c'est qu'ils ont l'avantage des derniers venus. Les germes de la réforme avaient eu le temps de prendre racine et de grandir; les précurseurs furent les organes de ce progrès. Il est vrai que leur nom a fait oublier celui des obscurs hérétiques du moyen-âge; mais il ne faut pas perdre de vue que c'est à l'initiative des Cathares et des Vaudois qu'ils doivent leur grandeur; héritiers du passé, ils se sont enrichis des travaux de leurs ancêtres. Or, la vraie grandeur n'est-elle pas la marque de ceux qui ouvrent la carrière, plutôt que de ceux qui l'élargissent?

Les hérésies représentent en quelque sorte le côté négatif de la réforme, la haine contre l'Église, haine qui impliquait le retour aux premiers temps du christianisme, cet àge d'or que les sectes voulaient ramener sur la terre. Wiclef a le même point de départ : il tonne contre les richesses et la corruption du clergé; il veut que l'Église revienne à sa simplicité tout ensemble et à sa pureté primitives ('). Le premier réformateur des Bohémiens est encore plus explicite Matthieu de Janow voit clairement que l'Église ne peut être ramenée à l'état évangélique que par une révolution (2). Quel

(1) Neander, Geschichte der christlichen Religion, T. VI, p. 259-262. (2) Matthiæ liber de sacerdotum abhorrenda abominatione, c. 37: « Dei Ecclesia nequit ad pristinam suam dignitatem reduci vel reformari, nisi prius omnia fiant nova» (Historia et Monumenta J. Hus., T. I).

sera l'instrument de cette révolution? L'Écriture. Matthieu de Janow reproche à l'Église de négliger les livres sacrés pour des institutions et des observances purement humaines : « Il en résulte, dit-il, que les hommes ont plus de souci de ces pratiques, que de la vérité divine et de la charité; c'est en cela qu'ils placent leur justice et l'espoir du salut » (1). Dieu doit l'emporter sur les hommes: tel est le cri de guerre de tous les précurseurs. Wiclef commence l'œuvre de Luther, en traduisant la Bible en anglais. Grand émoi parmi le clergé. Il crie à l'hérésie; le hardi Anglo-Saxon répond que, s'il est hérétique, le saint Esprit l'est aussi, puisqu'en communiquant le don des langues aux apôtres, il les a autorisés à précher la parole de Dieu dans tous les idiomes (2). Les réformateurs allemands procèdent également de l'Écriture : « L'Écriture seule, dit Jean de Goch, a une autorité irréfragable; les écrits des Pères n'ont de valeur que pour autant qu'ils soient conformes aux livres saints »(3). « Il ne faut rien croire, ajoute J. de Wesel, que ce qui se trouve dans la Bible; Jésus-Christ a dit à ses disciples de précher l'Évangile, il ne leur a pas dit de porter de nouvelles lois »(*). Wessel, le plus protestant des précurseurs, conclut hardiment qu'il faut rejeter la Tradition de l'Église; il déclare ne pas croire à l'Église, mais avec l'Église; il ne veut suivre le pape que si le pape suit l'Écriture (°).

Les protestants disent avec raison que reconnaître l'autorité exclusive de l'Écriture, c'est proclamer la réforme. Il ne faut pas une étude bien profonde des Livres Saints pour apercevoir l'opposition entre la Loi Ancienne et la Loi Nouvelle : « La Bible, dit Jean de Goch, est la loi des œuvres, de la contrainte, de la servitude. L'Évangile est la loi du sentiment intérieur; elle ne contraint pas le croyant, elle l'affranchit, en l'unissant à Dieu par les liens de

(1) Palacky, Geschichte von Boehmen, T. III, p. 177, note.

(2) Lewis, History of the life and sufferings of John Wicliffe, p. 67. (3) J. de Goch, Epistola apologetica (Walch, Monumenta medii aevi, T. II, fasc. I, p. 10. Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 4, § 153, note q).

(4) J. de Wesalia, Paradoxa (D'Argentré, Collectio judiciorum, T. I, P. II, p. 291). Ullmann, Reformatoren vor der Reformation, T. I, p. 328. (5) Ullmann, Reformatoren, T. II, p. 344.

l'amour »(1). C'est au fond la différence qui sépare Rome et Luther. L'Église est l'expression de la Loi Ancienne; elle domine sur la société laïque par droit divin. Wiclef lui demande les titres de sa divinité. Serait-ce l'Évangile? L'Évangile ne connaît ni pape ni cardinaux, ni patriarches ni archevêques, ni évêques ni archidiacres, ni officiaux ni doyens, bien moins encore les ordres religieux. Le réformateur anglais traite tous ces dignitaires de l'Église de ministres de l'Ante-Christ (2), sans excepter le pape, « cet orgueilleux prêtre qui siège à Rome »(5). L'Écriture à la main, Wiclef attaque la papauté. Depuis longtemps le pouvoir temporel des souverains pontifes avait perdu son prestige; les nations l'avaient repoussé l'une après l'autre. Le réformateur du quinzième siècle ne constate donc qu'un fait accompli en niant que les évêques de Rome aient un droit quelconque à la souveraineté (*). Il y avait plus de hardiesse à contester le pouvoir spirituel des successeurs de saint Pierre, car ils semblaient avoir pour eux une parole de Jésus-Christ. Wiclef nie que les papes soient les successeurs des apôtres et les vicaires de Dieu; l'Église romaine est pour lui la synagogue de Satan. S'autorisant du schisme qui déchirait la chrétienté, Wiclef s'écrie : « Ne recevons plus de pape après Urbain, et vivons comme les Grecs, sous nos propres lois » (5).

Que devient l'unité que Jésus-Christ a voulu établir, demandent les catholiques, si l'autorité de la papauté est méconnue? Les réformateurs du quinzième siècle répondent, comme font les protestants, en distinguant entre l'Église extérieure et l'Église intérieure: « La vraie unité, dit Wessel, est la société des saints, c'est-à-dire de tous ceux qui sont unis à Jésus-Christ par une même foi, une même espérance et une même charité. Peu importe quels sont les

(1) J. de Goch, De libertate christiana, lib. IV, c. 1, 3, 5. matoren, T. I, p. 89.

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(2) J. Wiclefi Dialogorum, IV, 15, 26. — Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 3, § 124, p. 302, 304.

(3) « The proud worldly priest of Rome » (Lewis, History of J.Wicliffe, p. 34). (4) Lewis, p. 266.

(5) C'est une des propositions condamnées par le concile de Londres de 1382. Mansi, T. XXVI, p. 695.)

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