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gré son immutabilité, admettrait encore que celui qui renie Dieu, sera sauvé, pourvu qu'il adore, la Vierge; au moyen-âge la légende de Théophile fut célébrée par les théologiens les plus éminents. Fulbert, évêque de Chartres, en fit l'objet d'un sermon; sa conclusion est que Marie a un pouvoir de commandement, et qu'à son gré elle casse les pactes faits avec le diable (1). Le cardinal Damien s'écrie: «Que te sera-t-il refusé, ô sainte Vierge, à toi à qui il a été accordé de retirer Théophile du fond de l'enfer »(*)! Saint Anselme, saint Bernard, saint Bonaventure, Albert le Grand tiennent le même langage.

Telle était la croyance générale sur la puissance absolue de la Vierge. A force d'exalter la charité, on compromettait la justice. Le diable, qui se pique d'être bon juriste, s'en plaignit, au dire du moine Gautier de Coinsi : « La Vierge briserait toutes les portes de l'enfer, plutôt que d'y laisser un seul jour celui qui de son vivant a fait quelques révérences à son image. Dieu ne la contredit en rien; elle peut dire que la pie est noire et que l'eau trouble est claire; son Fils est complaisant, il lui accorde tout »(3). Les plaintes du diable n'étaient pas sans fondement. La Vierge couvrait l'immoralité de son appui, et en lui procurant l'impunité, elle la favorisait. « Un homme qui avait vécu toute sa vie dans le péché vient à mourir d'une mort subite. Les démons et les anges se disputent son âme; les anges allaient céder devant les preuves trop évidentes de la culpabilité du défunt, lorsque la Vierge apparaît. D'abord terrifiés, les démons se remettent et font appel à la justice de la Mère du Sauveur. Marie répond que Jésus-Christ ne permettra pas à Satan de s'emparer d'un homme qui lui a adressé une prière avant de mourir. Les démons insistent et disent que le défunt a commis un crime énorme, sans l'avoir confessé. Pour sauver le coupable, la Vierge le rappelle à la vie et lui recommande d'aller de suite à confesse dans son monastère. Les moines se chargèrent de sa péni

(1) Bibliotheca Maxima Patrum, T. XIX, p. 39. · Comparez le sermon de Geoffroy, abbé de Vendôme, sur Théophile (Ibid., XXI, 84).

(2) Damiani Serm. 44 (Op., T. II, p. 101).

(3) Racine fils, dans l'Histoire de l'Académie des Inscriptions, T. XXVIII, p. 361.

tence, et le coupable monta incontinent avec sa protectrice dans le royaume des cieux » (1).

Récusera-t-on le cardinal Damien, malgré sa sainteté, comme un esprit porté à la superstition? Nous citerons l'abbé Guibert de Nogent. Au milieu d'un âge crédule qui admettait comme des révélations les plus grossières impostures, il osa combattre les fausses reliques et les faux miracles; mais quand il s'agit de la Vierge, sa raison s'obscurcit. Une femme vivait en adultère avec un homme marié. L'épouse de l'adultère implore le secours de la sainte Vierge contre la coupable. Marie lui apparaît et lui dit : « Il m'est impossible de punir la femme adultère, parce que tous les jours elle m'adresse la salutation angélique, chose la plus agréable que je puisse entendre d'une créature humaine. » Heureusement que la pécheresse se montra plus morale que la Mère de Dieu; les paroles de la Vierge lui ayant été rapportées, elle se convertit (2). Tel est le récit d'un abbé, esprit fort. Que l'on s'imagine d'après cela quels étaient les sentiments du peuple. C'était une croyance générale que <«< celui qui avait l'habitude de réciter les Heures de Notre Dame, jamais ne serait damné le jour où il les dirait »(3). Une sacristine courut le pays pendant dix ans avec un chapelain. Mais comme elle n'avait pas manqué de dire un ave en passant devant l'image de la Vierge, sa protectrice prit les habits et la figure de la fugitive et remplit assidûment toutes ses fonctions. Lassée enfin de son libertinage, la sacristine revint au couvent; la Vierge lui apprit par quel moyen ingénieux elle l'avait sauvée de la honte; la religieuse, honorée de cette miraculeuse protection, fut plus estimée que jamais, malgré son apostasie et ses crimes (").

Il y avait de ces légendes en masse; les moines les recueillaient pour l'édification des fidèles : « Il fallait avoir d'étranges idées, dit Racine fils, pour y trouver de quoi s'édifier, car l'absurdité le dis

(1) Damiani, Opusc. XXXIII, 2 (Op., T. III, p. 251).

(2) Guiberti, De laude B. Mariæ, c. 12 (Op., p. 306).

(3) Fabliau d'un roi qui voulut faire brûler le fils de son sénéchal (Legrand d'Aussy, Fabliaux, T. V, p. 58).

(4) Fabliau de la Sacristine (Legrand d'Aussy, T. V, p. 79-82. La légende se trouve déjà dans Césaire d'Heisterbach, VII, 35).

putait à l'immoralité dans les prétendus miracles de la Vierge » (1)! Le culte des saints n'était pas plus moral que celui de Marie : un pèlerinage suffisait pour couvrir une vie entière de désordres : « Un homme qui ne croyait ni aux saints, ni au paradis, un vrai païen, se laissa engager par sa femme à aller au Mont saint Michel; il y alla sans aucun sentiment de foi ni de repentir; ce qui n'empêcha pas saint Michel de le sauver de l'enfer qu'il avait si bien mérité. Écoutons maintenant la morale de la légende : « Qui au Mont saint Michel ira, il lui sera pardonné »(2).

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On voit ce que le culte des saints était dans la réalité : ce n'était pas l'intercession auprès de Dieu dont parlent les théologiens, c'était le plus grossier fétichisme : l'offrande sur l'autel d'un saint, le fait matériel de visiter son tombeau, remplaçaient la prière, le repentir et tenaient lieu de toutes les vertus (5). Au commencement du seizième siècle, il se trouvait dans une église de Bourges une inscription où les croyances populaires étaient exprimées avec une crudité que l'on appellera naïveté, mais qui mérite plutôt le nom d'impudence: « Offre ici dévotement, et tu auras place parmi les bienheureux.... En ce lieu le paradis est exposé en vente »('). Qui donne au tronc, va au ciel: telle était la morale pratique du moyenàge; le cynisme ne pouvait aller plus loin. Ceci n'est plus une superstition isolée, soufferte ou condamnée par l'Église; le chef de la chrétienté, celui qui se dit le vicaire de Dieu et se prétend infaillible, est le premier à propager cette funeste erreur, qu'un don fait à l'Église tient lieu de pénitence et rachète même les morts des peines de l'autre monde. A certains égards, on pourrait dire, sans calomnier le catholicisme, que sa morale a consisté pendant des siècles en une opération de finance, destinée à remplir les trésors du pape.

No 2. Les Indulgences.

Les indulgences furent le cri de guerre de la réforme, et à juste titre. Ce ne fut pas, comme le disent les catholiques, une jalousie de

(1) Mémoires de l'Académie des Inscriptions, T. XVIII. Histoire, p. 358. (2) Jubinal, Fabliaux, T. II, p. 202-207.

(3) Polydorus Vergilius, De rerum inventoribus, VI, 13.

(4) Henri Estienne, Apologie d'Hérodote, ch. 38, § 20-21.

moine qui inspira à Luther ses fameuses thèses; c'est parce que les indulgences concentraient en quelque sorte tout ce qu'il y avait de vices dans le catholicisme, qu'elles devinrent une arme dans les mains de ceux qui protestèrent contre les tendances extérieures de la religion romaine. Une bulle d'indulgences souleva le pieux Hus contre Rome, et au quinzième siècle, tous les précurseurs de la réforme s'élevèrent contre le pouvoir que le pape s'attribuait sur les vivants et sur les morts. Cependant quand on se place au point de vue du catholicisme, le droit de l'Église ne saurait être contesté. La satisfaction est un des éléments de la pénitence; elle consiste dans des actes méritoires, dont la mesure est déterminée par le prètre, organe de Dieu. Au moyen-âge l'on permit aux fidèles de remplacer ces œuvres par des prestations au profit de l'Église, telles qu'un service personnel ou une somme d'argent. De là les indulgences; elles sont une commutation de peine, et à ce titre très-légitimes, si l'on admet que l'Église a reçu de Dieu le pouvoir de lier et de délier. Pourquoi donc l'exercice de ce droit a-t-il soulevé la conscience générale contre Rome au quinzième et au seizième siècle? Il en faut chercher la raison dans l'ambition et la cupidité du clergé. Les motifs intéressés qui l'animaient finirent par se montrer à découvert : quand les fidèles virent que la religion de Rome n'était qu'un commerce d'argent, ils s'éloignèrent avec horreur de la Babylone moderne.

Il y a ici un grand jugement de Dieu : le pape qui fonda la puissance de Rome, inaugura aussi le fatal système qui devait la briser. Pour soulever les populations contre Henri IV, Grégoire VII accorda l'absolution de tous leurs péchés à ceux qui prendraient le parti du roi Rodolphe (1). Le pontife romain parlait comme organe de la justice divine; cependant quel renversement de toute justice dans cette absolution! La révolte contre le souverain légitime, le parjure, la guerre civile, les plus grands des crimes, étaient recommandés aux chrétiens, que dis-je? ordonnés par le vicaire de Dieu, comme un moyen infaillible d'expier leurs fautes! Par là les indulgences changèrent de caractère; d'individuelles elles devinrent générales.

(1) Mansi, T. XX, p. 534.

Il en fut de même des indulgences que le Saint-Siège accorda aux croisés le passage devait leur tenir lieu de toute pénitence (1). Les premiers papes qui prêchèrent les croisades, agirent sous l'inspiration de la foi, peut-être de l'ambition; ils ne songeaient pas encore à une spéculation d'argent. Mais dans la lutte à mort que les souverains pontifes soutinrent contre les Hohenstaufen, ils oublièrent la Terre Sainte et ne pensèrent qu'à leur ambition et à leur haine : le salut des fidèles ne fut plus qu'un prétexte pour lever des contributions sous le nom d'indulgences.

Pour faire face à ces indulgences sans cesse croissantes, il fallait un fonds inépuisable de grâces dont la papauté eût la disposition. Les docteurs scolastiques trouvèrent ce trésor mystique, qui servit pendant des siècles à remplir le trésor matériel des papes. Saint Thomas part du principe, qu'un fidèle peut satisfaire pour l'autre, parce que tous les chrétiens sont membres d'un seul corps, du corps spirituel de l'Église; si donc il arrive qu'un fidèle ait fait plus d'actes méritoires qu'il n'en faut pour son salut, ce qui reste peut servir à la satisfaction des autres fidèles. Or, il y a un nombre infini de ces œuvres surérogatoires : ce sont les mérites des saints, et surtout les mérites de Jésus-Christ. Qui distribuera ce trésor? L'Église pour laquelle les saints et Jésus-Christ ont souffert (2). Tous les docteurs admettaient cette théorie; seulement quelquesuns ajoutaient des restrictions au pouvoir de l'Église : ils demandaient que celui qui profitait de l'indulgence eût la foi et la contrition, et que l'Église fit la distribution de ses grâces avec prudence et mesure (3). Saint Thomas rejette ces conditions: « Il ne faut pas, dit-il, considérer la foi ni les œuvres de celui qui reçoit l'indulgence, mais le trésor de mérites dont l'Église a le droit de disposer; ce trésor est inépuisable, et l'Église le dispense à sa convenance, et suivant son intérêt. Sans doute il est bon qu'elle mette de la mesure dans ses faveurs; mais quand même les pénitences seraient remises presque pour rien, les indulgences n'en seraient pas moins effi

(1) « Iter illud pro omni pœnitentia reputetur. » Concil. Claromontan., e. 2 (Mansi, T. XX, p. 816). Willelm. Tyr., lib. I (Bongars, p. 640).

(2) S. Thomas., Summa theologica, Supplem., Quæst. 25, art. 1. (3) Albert. Magnus, in Sentent. libr. IV, dist. 20, art. 17.

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