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No 2. Élément social et politique de la Réforme.

La réforme est une révolution essentiellement religieuse; cependant elle a eu des conséquences sociales dont l'importance ne le cède point aux résultats du mouvement théologique. Ceci n'est pas une de ces contradictions que l'on a tant reprochées aux réformateurs. Toute religion contient en germe une conception politique; peu importe que les révélateurs en aient conscience ou non; alors même qu'ils repoussent toute pensée terrestre, comme JésusChrist, la religion qu'ils fondent n'influe pas moins sur la destinée des peuples. Cela est si vrai que les révolutions qui agitent notre siècle, ne sont autre chose que des tentatives pour réaliser dans l'ordre civil les dogmes de l'égalité et de la liberté chrétiennes. La réforme aussi, quoique les réformateurs fussent surtout préoccupés de la foi, était appelée à modifier la société; on peut dire plus, c'est que dans son principe même elle était une révolution politique autant que religieuse. Le catholicisme était devenu une institution politique; la réforme avait pour mission de réagir contre la religion du moyen-âge; elle devait donc conduire à une révolution sociale.

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« Il semble, dit Erasme, que la réforme aboutisse à défroquer quelques moines et à marier quelques prêtres; cette grande tragédie se termine par un événement comique, puisque tout finit par un mariage comme dans les comédies (1). L'ingénieux écrivain ne s'apercevait pas qu'en voulant faire une pointe contre la réforme, il en faisait l'apologie. Le catholicisme, poussant à bout le spiritualisme chrétien, conduisit au monachisme qui devait réaliser la perfection évangélique. Luther, en prenant une femme, inaugure un nouvel ordre social. La nature, telle que Dieu l'a faite, reprend ses droits. Le mariage est saint, plus saint que le célibat, parce qu'il est l'accomplissement d'une loi divine. La vie civile aussi est sainte, car Dieu a créé les hommes pour qu'ils vivent en société, et non pour qu'ils désertent le monde en faisant de leur vie une mort. Le but

(1) Erasmi Epist.; XIX, 44.

de l'homme sur cette terre n'est pas d'anéantir son individualité, et de tuer ses facultés, mais de les développer en remplissant la mission que Dieu lui donne. Le travail dans sa plus large acception est donc saint, bien plus saint qu'une oisive contemplation ou une pauvreté volontaire. L'abdication de la volonté individuelle, qui d'un être vivant fait un cadavre, viole les desseins de Dieu; l'homme ne doit pas obéir à l'homme, mais à la loi, réalisation humaine de la volonté divine.

La conception que le catholicisme se faisait de la vie, avait pour conséquence de subordonner la vie civile à la vie religieuse, les laïques aux clercs, l'État à l'Église. Les clercs, élus de Dieu, réalisaient seuls l'idéal de la vie chrétienne; forts de leur supériorité, ils prétendirent former un pouvoir spirituel; l'Église, dépositaire de cette puissance, dominait l'État, représentant de la vie civile, au même titre que l'âme domine le corps. La réforme enleva à l'Église la base de sa domination, en mettant fin au dualisme de la vie sur lequel elle se fondait. Plus de vie spirituelle opposée à la vie temporelle, la vie est une et toute vie est sainte; plus de supériorité du prêtre sur le laïque, tout homme est prêtre; plus de puissance spirituelle, plus d'Église; chaque nation est souveraine, et la souveraineté s'exerce sur les choses spirituelles comme sur les choses temporelles; le sacerdoce n'est plus en dehors ni au-dessus de l'État, il est dans l'État.

Sur le terrain social et politique, la réforme n'est pas un retour au passé; elle marche hardiment dans les voies de l'avenir. Le moyen-âge fut une longue lutte pour fonder la domination universelle de l'Église. L'Église devait succomber, car ses prétentions violaient les lois de la création. La création est tout ensemble une et variée : l'homme est un avec ses semblables par le lien qui nous rattache tous à Dieu, et il est individuel, comme un être distinct des autres créatures: l'humanité est une par le but qui lui est assigné, et particulière par le génie individuel des diverses nations. L'unité ne peut pas s'accomplir par le sacrifice de ce qu'il y a de particulier et d'individuel; ce serait anéantir l'homme et l'humanité dans leur essence. La réforme brisa la fausse unité du catholicisme; il faut lui rendre grâces d'avoir rendu la monarchie

universelle impossible, sous la forme religieuse aussi bien que sous la forme politique. Pour atteindre ce but, elle a parfois outré le principe de la souveraineté individuelle et de la souveraineté nationale. Mais l'on ne doit pas considérer la révolution religieuse du seizième siècle comme l'état définitif de l'humanité; ce n'est qu'un pas dans la marche du genre humain, un passage plutôt qu'un établissement, la transition du catholicisme à la religion future. La religion de l'avenir conciliera la liberté de l'individu avec l'autorité de la société, l'indépendance des nations avec l'unité de l'humanité; elle sera tout ensemble protestante et catholique.

SII. Germes de la Réforme au moyen-âge.

No 1. Les témoins de la vérité.

La réforme est une révolution; or, toute révolution est l'expression violente d'idées, de sentiments, de besoins qui ont longtemps germé dans le sein d'un peuple ou de l'humanité, auxquels on a opposé des digues et que l'on a réprimés; mais quand les idées sont vraies et les besoins légitimes, la résistance, loin de les arrêter, leur donne une force nouvelle. Toute révolution a donc ses racines dans le passé. Ainsi cette immense révolution que l'on appelle le christianisme, a été préparée par l'antiquité tout entière; philosophes et prophètes, politiques et conquérants ont chacun apporté une pierre pour poser les fondements de l'édifice destiné à abriter le genre humain pendant des siècles. Ainsi la révolution tout aussi considérable à laquelle nous assistons comme acteurs et comme témoins, a eu ses précurseurs jusque dans la nuit du moyen-âge; les premiers serfs qui prononcèrent les mots de liberté et d'égalité, inaugurèrent le mouvement de 1789; un travail séculaire mûrit les idées; alors l'Assemblée Constituante n'eut plus qu'à formuler des vœux, à rédiger des principes, à organiser des institutions qui existaient déjà dans la conscience générale.

Telle est la loi des révolutions; il faut qu'elles soient longuement préparées, c'est à ce prix qu'elles réussissent. Conçoit-on qu'une

riche plantation s'élève là où il n'y a pas de semences jetées en terre, là où le sol n'est pas propre aux arbres qui y doivent grandir? Une révolution qui serait sans racines dans le passé, serait tout aussi impossible. Cependant, à en croire les catholiques, la réforme serait née sans parents; ils nient qu'avant le seizième siècle il y ait eu un désir d'une révolution religieuse : « La philosophie du moyen-âge, disent-ils, était essentiellement chrétienne et catholique; la littérature dans ses grands représentants était chrétienne; la renaissance même, malgré ses prédilections pour l'antiquité païenne, n'avait pas abandonné le catholicisme; quant à la réformation de l'Église demandée par les conciles du quinzième siècle, elle ne portait que sur des abus, et non sur les fondements de la foi; elle pouvait donc et elle devait se faire sans révolution, par les voies légales ("). » Dans cet ordre d'idées, la réforme date du seizième siècle : c'est un moine qui l'a provoquée. La réforme est donc une innovation; son acte de naissance est sa condamnation, car tout ce qui est nouveau dans l'Église est par cela même faux. Voilà ce que Bossuet ne cesse de dire aux protestants; et au point de vue chrétien, son argumentation serait irrésistible, si elle était aussi fondée en fait que le croyait l'illustre auteur des Variations.

Les protestants acceptaient le christianisme historique; leur prétention était de le rétablir dans sa pureté primitive. S'ils repoussaient l'Église et les institutions nées au moyen-âge, ils pouvaient hardiment en appeler à l'histoire et dire à l'Église qui les accusait d'innover, qu'elle-même s'était rendue coupable de ce crime, si crime il y avait. Mais la science historique ne faisait que de naître au seizième siècle, et puis les protestants étaient eux-mêmes imbus du préjugé catholique contre les nouveautés dans l'Église; comme eux, ils croyaient à une vérité immuable et ils ne voulaient à aucun prix passer pour des novateurs. De là les efforts qu'ils firent pour se créer une tradition; de là les ouvrages sur les témoins de la vérité : « L'Église, dit Flacius Illyricus, a partagé nos sentiments pendant près de trois siècles; elle ignorait les

(4) Moehler, dans la Theologische Quartalschrift, 1831, p. 589-633.

erreurs, les abus et la tyrannie de la papauté; lorsque les germes de ces abominations se répandirent, les principaux docteurs leur résistèrent; même alors que l'Antechrist de Rome fleurit, il y eut toujours des témoins de la vérité qui non-seulement refusèrent de plier les genoux devant l'idole, mais qui la combattirent par leurs paroles, leurs écrits et leur sang (). Quand on parcourt les témoignages de la vérité recueillis par les protestants, il est facile de voir qu'ils se sont placés sur un mauvais terrain. Pour prouver que la réforme n'est pas une innovation, ils cherchent à établir qu'elle est aussi ancienne que le christianisme; mais cette preuve est impossible, et Bossuet n'eut pas de peine à renverser un pareil échafaudage : « Jusqu'à l'avènement des hérésies du onzième siècle, dit-il, on ne rencontre que des sentiments unanimes en faveur de la foi catholique. S'il y a quelques hommes isolés qui soutiennent telle ou telle erreur, ils sont réprouvés comme hérétiques; comment prétendre qu'un Vigilance ait conservé le dépôt, c'est-à-dire la succession de la doctrine apostolique, de préférence à saint Jérôme, qui a pour lui toute l'Église? Pour trouver des prédécesseurs de la réforme, il faut descendre jusqu'aux Vaudois et aux Albigeois; mais ceux-ci, n'ayant personne à montrer devant eux, sont coupables du même crime d'innovation dont on accuse les protestants: ce ne sont pas des témoins, ce sont des complices (2). »

En apparence Bossuet triomphe, mais il triomphe grâces aux préjugés chrétiens de ses adversaires. Non, la réforme n'est pas aussi ancienne que le christianisme; elle est une innovation. Sur ce terrain Bossuet est invincible; mais il ne prévoyait pas qu'un jour viendrait où loin d'être condamnée parce qu'elle est une nouveauté, la réforme serait glorifiée précisément parce qu'elle est une révolution. Oui, Luther et Calvin sont des révolutionnaires, et c'est là leur grandeur; mais Jésus-Christ aussi était un révolutionnaire et le plus grand de tous. L'innovation est légitime, quand elle réalise un besoin légitime: tel fut le christianisme, telle fut la réforme. Bossuet qui condamne du haut de sa catholicité et les réformateurs et leurs ancêtres, ne se doutait pas que le

(4) Catalogus Testium veritatis. Préface.

(2) Bossuet, Histoire des Variations, livre XI.

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