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vous réellement devenus tous fous à Paris? Je n'entends parler que de millions; on dit que tout ce qui était à son aise est dans la misère, et que tout ce qui était dans la mendicité nage dans l'opulence. Est-ce une réalité? est-ce une chimère? la moitié de la nation a-t-elle trouvé la pierre philosophale dans les moulins à papier? Law est-il un dieu, un fripon, ou un charlatan qui s'empoisonne de la drogue qu'il distribue à tout le monde? Se contente-t-on de richesses imaginaires? C'est un chaos que je ne puis débrouiller, et auquel je m'imagine que vous n'entendez rien. Pour moi, je ne me livre à d'autres chimères qu'à celle de la poésie.

Avec l'abbé Courtin je vis ici tranquille,
Sans aucun regret pour la ville

Où certain Écossais malin,

Comme la vieille sibylle

Dont parle le bon Virgile,

Sur des feuillets volans écrit notre destin.

Venez nous voir un beau matin,
Venez, aimable Génonville;

Apollon dans ces climats

Vous prépare un riant asile:

Voyez comme il vous tend les bras,

Et vous rit d'un air facile.

Deux jésuites en ce lieu,
Ouvriers de l'Évangile,

Viennent, de la part de dieu,
Faire un voyage inutile.

Ils veulent nous prêcher demain;
Mais pour nous défaire soudain
De ce couple de chattemites,
Il ne faudra sur leur chemin

Que mettre un gros saint Augustin:
C'est du poison pour les jésuites.

XXX.

A MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

A Villars, 1719.

Auriez-vous, madame, assez de bonté pour moi, pour être un peu fâchée de ce que je suis si long-temps sans vous écrire? Je suis éloigné depuis six semaines de la désolée ville de Paris: je viens de quitter le Bruel où j'ai passé quinze jours avec M. le duc de La Feuillade. N'est-il pas vrai que c'est bien là un homme? Et, si quelqu'un approche de la perfection, il faut absolument que ce soit lui. Je suis si enchanté de son commerce, que je ne peux m'en taire, surtout avec vous pour qui vous savez que je pense comme pour M. le duc de La Feuillade, et qui devez sûrement l'estimer par la raison qu'on a toujours du goût pour ses sem

blables.

Je suis actuellement à Villars: je passe ma vie de château en château; et si vous aviez pris une maison à Passy, ie lui donnerais la préférence sur tous les châteaux du monde.

Je crains bien que toutes les petites tracasseries que M. Law a eues avec le peuple de Paris ne rendent les acquisitions un peu difficiles. Je songe toujours à vous lorsqu'on me parle des affaires présentes; et dans la ruine totale que quelques gens craignent, comptez que c'est votre intérêt qui m'alarme le plus.

Vous méritiez assurément une autre fortune que celle que vous avez; mais encore faut-il que vous en jouissiez tranquillement, et qu'on ne vous l'écorne pas. Quelque chose qui arrive, on ne vous ôtera point les agrémens de l'esprit. Mais, si on va toujours du même train,

on pourra bien ne vous laisser que cela; et franchement, ce n'est pas assez pour vivre commodément, et pour avoir une maison de campagne où je puisse avoir l'honneur de passer quelque temps avec vous.

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Notre poëme n'avance guère. Il faut s'en prendre un peu au biribi où je perds mon bonnet. Le petit Génonville m'a écrit une lettre en vers qui est très jolie: je lui ai fait réponse, mais non pas si bien. Je souhaite quelquefois que vous ne le connaissiez point, car vous ne pourriez plus me souffrir.

Si vous m'écrivez, ayez la bonté de vous y prendre incessamment: je ne resterai pas si long-temps à Villars, et je pourrai bien venir vous faire ma cour à Paris dans quelques jours.

Adieu, madame la marquise; écrivez-moi un petit mot, et comptez que je suis toujours pénétré de respect et d'amitié pour vous.

XXXI.

A M. DE FONTENELLE.

De Villars, le 1er septembre 1720.

Les dames qui sont à Villars, monsieur, se sont gâtées par la lecture de vos Mondes. Il vaudrait mieux que ce fût par vos églogues; et nous les verrions plus volontiers ici bergères que philosophes. Elles mettent à observer les astres un temps qu'elles pourraient beaucoup mieux employer; et comme leur goût décide des nôtres, nous nous sommes tous faits physiciens pour l'amour d'elles.

Le soir sur des lits de verdure,
Lits que de ses mains la nature,

La Henriade.

Dans ces jardins délicieux,

Forma pour une autre aventure,

Nous brouillons tout l'ordre des cieux :
Nous prenons Vénus pour Mercure;

Car vous saurez qu'ici l'on n'a
Pour examiner les planètes,
Au lieu de vos longues lunettes,
Que des lorgnettes d'Opéra.

Comme nous passons la nuit à observer les étoiles, nous négligeons fort le soleil, à qui nous ne rendons visite que lorsqu'il a fait près des deux tiers de son tour. Nous venons d'apprendre tout à l'heure qu'il a paru de couleur de sang tout le matin; qu'ensuite, sans que l'air fût obscurci d'aucun nuage, il a perdu sensiblement de sa lumière et de sa grandeur: nous n'avons su cette nouvelle que sur les cinq heures du soir. Nous avons mis la tête à la fenêtre, et nous avons pris le soleil pour la lune, tant il était pâle. Nous ne doutons point que vous n'ayez vu la même chose à Paris.

C'est à vous que nous nous adressons, monsieur, comme à notre maître. Vous savez rendre aimable les choses que beaucoup d'autres philosophes rendent à peine intelligibles; et la nature devait à la France et à l'Europe un homme comme vous pour corriger les savans, et pour donner aux ignorans le goût des

sciences.

Or dites-nous donc, Fontenelles,
Vous qui par un vol imprévu,
De Dédale prenant les ailes,
Dans les cieux avez parcouru
Tant de carrières immortelles,
Où saint Paul avant vous a vu
Force beautés surnaturelles,
Dont très prudemment il s'est tu:
Du soleil, par vous si connu,

Ne savez-vous point de nouvelles?
Pourquoi sur un char tout sanglant
A-t-il commencé sa carrière?
Pourquoi perd-il, pâle et tremblant,
Et sa grandeur et sa lumière?
Que dira le Boulainvilliers'
Sur ce terrible phénomène ?
Va-t-il à des peuples entiers
Annoncer leur perte prochaine ?
Verrons-nous des incursions,
Des édits, des guerres sanglantes,
Quelques nouvelles actions,
Ou le retranchement des rentes?
Jadis, quand vous étiez pasteur,
On vous eût vu sur la fougère,
A ce changement de couleur

Du dieu brillant qui nous éclaire,
Annoncer à votre bergère

Quelque changement dans son cœur.

Mais à présent, Monsieur, que vous êtes devenu philosophe, nous nous flattons que vous voudrez bien nous parler physiquement de tout celà. Vous nous direz si vous croyez que l'astre soit encrouté, comme le prétend Descartes; et nous vous croirons aveuglément, quoique nous ne soyons pas trop crédules.

Mais, depuis que votre Apollon
Voulut quitter la bergerie
Pour Euclide et pour Varignon,

Et les rubans de Céladon

Pour l'astrolabe d'Uranie,

Vous nous parlerez le jargon

De calcul, de réfraction.

Mais daignez un peu, je vous prie,

Si vous voulez parler raison,

'Le comte de Bonlainvilliers, homme d'une grande érudition, mais qui avait la faiblesse de croire à l'astrologie. Le cardinal de Fleury disait de lui qu'il ne connaissait ni l'avenir, ni le passé, ni le présent. Cependant al a fait de très belles recherches sur l'histoire de France. (VOLT.)

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