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Aux pièces du poëte Roi;

C'est là sa demeure ordinaire.

Cependant on me dit que vous ne fréquentez plus que la Comédie italienne. Ce n'est pas là où se trouve ce gros dieu dont je vous parle. J'entends dire

Que tout Paris est enchanté

Des attraits de la nouveauté ;
Que son goût délicat préfère
L'enjoûment agréable et fin
De Scaramouche et d'Arlequin,
Au pesant et fade Molière.

XXVII.

A MONSEIGNEUR LE DUC D'ORLÉANS RÉGENT.

1718.

Monseigneur, faudra-t-il que le pauvre Voltaire ne vous ait d'autres obligations que de l'avoir corrigé par une année de Bastille? Il se flattait qu'après l'avoir mis en purgatoire, vous vous souviendriez de lui dans le temps que vous ouvrez le paradis à tout le monde. Il prend la liberté de vous demander trois graces: la première, de souffrir qu'il ait l'honneur de vous dédier la tragédie qu'il vient de composer'; la seconde, de vouloir bien entendre quelque jour des morceaux d'un poëme épique sur celui de vos aïeux auquel vous ressemblez le plus; et la troisième, de considérer que j'ai l'honneur de vous écrire une lettre où le mot de sous cription ne se trouve point.

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Je suis avec un profond respect, monseigneur, de votre altesse royale, le très humble et très pauvre secré taire des niaiseries. VOLTAIRE.

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XXVIII.

A M. DE LA FAYE.

1718.

La Faye, ami de tout le monde,
Qui savez le secret charmant

De réjouir également
Le philosophe, l'ignorant,
Le galant à perruque blonde;
Vous qui rimez comme Ferrand
Des madrigaux, des épigrammes,
Qui chantez d'amoureuses flammes
Sur votre luth tendre et galant;
Et qui même assez hardiment
Osâtes prendre votre place
Auprès de Malherbe et d'Horace,

Quand vous alliez sur le Parnasse

Par le café de la Laurent ;

Je voudrais bien aller aussi au Parnasse, moi qui vous parle; j'aime les vers à la fureur; mais j'ai un petit malheur, c'est que j'en fais de détestables; et j'ai le plaisir de jeter tous les soirs au feu tout ce que j'ai barbouillé dans la journée.

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Parfois je lis une belle strophe de votre ami M. de La Motte, et puis je me dis tout bas: « Petit misérable, quand feras-tu quelque chose d'aussi bien? » Le moment d'après c'est une strophe peu harmonieuse et un peu abscure, et je me dis: « Garde-toi d'en faire autant. » Je tombe sur un psaume ou sur une épigramme ordurière de Rousseau; cela éveille mon odorat: je veux lire ses autres ouvrages, mais le livre me tombe des mains. Je vois des comédies à la glace, des opéras fort au dessous de ceux de l'abbé Pic, une épître au comte d'Ayen qui est à faire vomir, un petit voyage de Rouen fort in

sipide, une ode à M. Duché fort au dessous de tout cela; mais ce qui me révolte et m'indigne, c'est le mauvais cœur qui perce à chaque ligne. J'ai lu son Építre à Marot, où il y a de très beaux morceaux ; mais je crois y voir un enragé plutôt qu'un poëte. Il n'est pas inspiré, il est possédé; il reproche à l'un sa prison, à l'autre sa vieillesse ; il appelle celui-ci athée, celui-là maroufle. Où donc est le mérite de dire en vers de cinq pieds des injures si grossières? Ce n'était pas ainsi qu'en usait M. Despréaux quand il se jouait aux dépens des mauvais auteurs: aussi son style était doux et coulant; mais celui de Rousseau me paraît inégal, recherché, plus violent que vif, et teint, si j'ose m'exprimer ainsi, de la bile qui le devore. Peut-on souffrir qu'en parlant de M. de Crébillon, il dise qu'il vient de sa griffe Apollon molester?

Quels vers que ceux-ci :

Ce rimeur si sucré

Devient amer, quand le cerveau lui tinte,
Plus qu'aloës, ni jus de coloquinte!

De plus, toute cette épître roule sur un raisonnement faux; il veut prouver que tout homme d'esprit est honnête homme, et que tout sot est fripon; mais ne seraitil pas la preuve trop évidente du contraire, si pourtant c'est véritablement de l'esprit que le seul talent de la versification? Je m'en rapporte à vous et à tout Paris. Rousseau ne passe point pour avoir d'autre mérite; il écrit si mal en prose que son factum est une des pièces qui ont servi à le faire condamner. Au contraire, celui de M. Saurin est un chef-d'œuvre,

Et quid facundia posset

Tum patuit.

(OVID. Met. XIII, v. 382.)

Enfin, voulez-vous que je vous dise franchement mon petit sentiment sur MM. de La Motte et Rousseau? M. de La Motte pense beaucoup, et ne travaille pas assez ses vers; Rousseau ne pense guère, mais il travaille ses vers beaucoup mieux: le point serait de trouver un poëte qui pensât comme La Motte et qui écrivît comme Rousseau (quand Rousseau écrit bien, s'entend); mais,

« Pauci, quos æquus amavit

Jupiter, aut ardens evexit ad æthera virtus,

Dis geniti, potuere.

(En., VI.)

J'ai bien envie de revenir bientôt souper avec vous et raisonner de belles lettres: je commence à m'ennuyer beaucoup ici. Or, il faut que je vous dise ce que c'est que l'ennui;

Car vous qui toujours le chassez;

Vous pourriez l'ignorer peut-être :
Trop heureux si ces vers, à la hâte tracés,
Ne vous l'ont déja fait connaître!
C'est un gros dieu lourd et pesant,
D'un entretien froid et glaçant,
Qui ne rit jamais, toujours bâille;
Et qui depuis cinq ou six ans
Dans la foule des courtisans
Se trouvait toujours à Versaille.
Mais on dit que, tout de nouveau,
Vous l'allez revoir au parterre,
Au Capricieux de Rousseau :
C'est là sa demeure ordinaire.

Au reste, je suis charmé que vous ne partiez pas
pour Gênes2;
votre ambassade m'a la mine d'être

si tôt

' Mauvaise pièce de J.-B. Rousseau, qu'on voulait mettre au théâtre mais qu'on fut obligé d'abandonner aux répétitions. (VOLT.)

› M. de La Fayc était nommé envoyé extraordinaire à Gênes. (É. de K.)

pour vous un bénéfice simple. Faites-vous payer de votre voyage, et ne le faites point: ne ressemblez pas à ces politiques errans qu'on envoie de Parme à Florence et de Florence à Holstein, et qui reviennent enfin ruinés dans leur pays pour avoir eu le plaisir de dire le roi mon maître. Il me semble que je vois des comédiens de campagne qui meurent de faim après avoir joué le rôle de César et de Pompée.

Non, cette brillante folie

N'a point enchaîné vos esprits :
Vous connaissez trop bien le prix
Des douceurs de l'aimable vie
Qu'on vous voit mener à Paris
En assez bonne compagnie;
Et vous pouvez bien vous passer
D'aller loin de nous professer
La politique en Italie.

XXIX.

A M. DE GÉNONVILLE.

Ami que je chéris de cette amitié rare

Dont Pylade a donné l'exemple à l'univers,

Et dont Chaulieu chérit La Fare:

1718.

Vous pour qui d'Apollon les trésors sont ouverts,
Vous dont les agrémens divers,

L'imagination féconde,

L'esprit et l'enjoûment, sans vice et sans travers,
Seraient chez nos neveux célébrés dans mes vers,

Si mes vers, comme vous, plaisaient à tout le monde :
Votre épitre a charmé le pasteur de Sully;

Il se connaît au bon, et partant il vous aime;
Votre écrit est par nous dignement accueilli,
Et vous serez reçu de même.

Il est beau, mon cher ami, de venir à la campagne tandis que Plutus tourne toutes les têtes à la ville. Êtes

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