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XVI.

A MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE'.

1715.

J'ai vu, madame, votre petite chienne, votre petit chat, et mademoiselle Aubert. Tout cela se porte bien, à la réserve de mademoiselle Aubert qui a été malade, et qui, si elle n'y prend garde, n'aura point de gorge pour Fontainebleau. A mon gré, c'est la seule chose qui lui manquera, et je voudrais de tout mon cœur que sa gorge fût aussi belle et aussi pleine que sa voix.

Puisque j'ai commencé par vous parler de comédiennes, je vous dirai que la Duclos ne joue presque point, et qu'elle prend tous les matins quelques prises de séné et de casse, et le soir plusieurs prises du comte d'Uzès. N*** adore toujours la dégoûtante Lavoye; et le maigre N*** a besoin de recourir aux femmes, car les hommes l'ont abandonné. Au reste, on ne nous donne plus que de très mauvaises pièces jouées par de très mauvais acteurs. En récompense, mademoiselle de Montbrun récite très joliment des pièces comiques. Je l'ai entendue déclamer des rôles du Misanthrope avec beaucoup d'art et beaucoup de naturel. Je ne vous dis rien de l'Important 3, car je vous écris avant la représentation, et je veux me réserver une occasion de vous écrire une seconde fois.

'Madeleine de Carvoisin d'Achi, d'une maison trés distinguée de Picardie, épousa Jacques-Louis Valon, marquis de Mimeure, reçu à l'Académie française en 1707, et mort en 1719. (Nuov. Éd.)

'C'était probablement la sœur ou la belle-sœur de madame de Montbrun-Villefranche, à qui Voltaire adressa une Épître. R.

3 On ne connaît qu'une comédie de ce nom, par Bruéys, jonée première fois en 1693. (Éd. de Kehl.)

ponr

la

On joue à l'Opéra Zéphyre et Flore1. On imprime l'Anti-Homère de Terrasson, et les vers héroïques, moraux, chrétiens et galans de l'abbé du Jarri. Jugez, madame, si on peut en conscience m'interdire la satire; permettez-moi donc d'être un peu malin.

J'ai pourtant une plus grande grace à vous demander. C'est la permission d'aller rendre mes devoirs à M. de Mimeure et à vous, dans l'un de vos châteaux où peutêtre vous ennuyez-vous quelquefois. Je sais bien que je perdrais auprès de vous tout le fiel dont je me nourris à Paris; mais afin de ne me pas gâter tout-à-fait, je ne resterais que huit ou dix jours avec vous. Je vous apporterais ce que j'ai fait d' OEdipe. Je vous demanderais vos conseils sur ce qui est déja fait, et sur ce qui n'est pas travaillé ; et j'aurais à M. de Mineure et à vous une obligation de faire une bonne pièce.

Je n'ose pas vous parler des occupations auxquelles vous avez dit que vous vous destiniez pendant votre solitude. Je me flatte pourtant que vous voudrez bien m'en faire la confidence tout entière:

Car nous savons que Vénus et Minerve

De leurs trésors vous comblent sans réserve.
Les Graces même et la troupe des Ris,
Quoiqu'ils soient tous citoyens de Paris,
Et qu'en ces lieux ils se plaisent à vivre,
Jusqu'en province ont bien voulu vous suivre.

Ayez donc la bonté de m'envoyer, madame, signée de votre main, la permission de venir vous voir. Je n'écris point à M. de Mimeure, parce que je compte que c'est lui écrire en vous écrivant. Permettez-moi seule

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Tragédie-opéra de Duboulay, musique des fils de Lulli (Jean-Louis et Loais), représentée en 1688, et reprise en 1715. (Éd. de Kehl.)

ment, madame, de l'assurer de mon respect et de l'envie extrême que j'ai de le voir.

XVII.

A MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

1717 ou 1719.

On ne peut vaincre sa destinée: je comptais, madame, ne quitter la solitude délicieuse où je suis que pour aller à Sully; mais M. le duc et madame la duchesse de Sully vont à Villars, et me voilà, malgré moi, dans la nécessité de les y aller trouver. On a su me déterrer dans mon ermitage pour me prier d'aller à Villars, mais on ne m'y fera point perdre mon repos1. Je porte à présent un manteau de philosophe dont je ne me déferai pour rien au monde.

Vous ne me reverrez de long-temps, madame la marquise; mais je me flatte que vous vous souviendrez un peu de moi, et que vous serez toujours sensible à la tendre et véritable amitié que vous savez que j'ai pour vous. Faites-moi l'honneur de m'écrire quelquefois des nouvelles de votre santé et de vos affaires; vous ne trouverez jamais personne qui s'y intéresse autant que

moi.

Je vous prie de m'envoyer le petit emplâtre que vous m'avez promis pour le bouton qui m'est venu sur l'œil. Surtout ne croyez point que ce soit coquetterie, et que je veuille paraître à Villars avec un désagrément de moins. Mes yeux commencent à ne me plus intéresser qu'autant que je m'en sers pour lire et pour vous écrire.

'M. de Voltaire avait eu une passion très violente pour madame la maréchale de Villars; il disait dans la suite que c'était la seule qui l'eût emporté sur l'amour du travail, et qui lui eût fait perdre du temps. ( K. )

Je ne crains plus même les yeux de personne; et le poëme de Henri IV et mon amitié pour vous sont les deux seuls sentimens vifs que je me connaisse.

XVIII.

A MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

1717.

Je vais demain à Villars: je regrette infiniment la campagne que je quitte, et ne crains guère celle où je

vais.

Vous vous moquez de ma présomption, madame, et vous me croyez d'autant plus faible que je me crois raisonnable. Nous verrons qui aura raison de nous deux. Je vous réponds, par avance, que si je remporte la victoire, je n'en serai pas fort enorgueilli.

Je vous remercie beaucoup de ce que vous m'avez envoyé pour mon œil; c'est actuellement le seul remède dont j'aie besoin, car soyez bien sûre que je suis guéri pour jamais du mal que vous craignez pour moi: vous me faites sentir que l'amitié est d'un prix plus estimable mille fois que l'amour. Il me semble même que je ne suis point du tout fait pour les passions. Je trouve qu'il y a en moi du ridicule à aimer, et j'en trouverais encore davantage dans celles qui m'aimeraient. Voilà qui est fait; j'y renonce pour la vie.

Je suis sensiblement affligé de voir que votre colique ne vous quitte point; j'aurais dû commencer ma lettre par là, mais ma guérison, dont je me flatte, m'avait fait oublier vos maux pour un petit moment.

S'il y a quelques nouvelles, mandez-les-moi à Villars, je vous en prie. Conservez, si vous pouvez, votre santé et votre fortune. Je n'ai rien de si à cœur que de trouver

une et l'autre rétablies à mon retour. Écrivez-moi au plus tôt comment vous vous portez.

XIX.

A M. L'ABBÉ DE BUSSI',

DEPUIS ÉVÊQUE de lucon.

1717.

Non, nous ne sommes point tous deux
Aussi méchans qu'on le publie;

Et nous ne sommes, quoi qu'on die,
Que de simples voluptueux,
Contens de couler notre vie

Au sein des Graces et des Jeux.
Et, si dans quelque douce orgie
Votre prose et ma poésie,
Contre les discours ennuyeux
Ont fait quelque plaisanterie,
Cette innocente raillerie

Dans ces repas dignes des dieux
Jette une pointe d'ambroisie.

Il me semble que je suis bien hardi de me mettre ainsi de niveau avec vous, et de faire marcher d'un pas égal les tracasseries des femmes et celles des poëtes. Ces deux espèces sont assez dangereuses. Je pourrai bien, comme vous, passer loin d'elles mon hiver, du moins je resterai à Sully après le départ du maître de ce beau séjour. Je suis sensiblement touché des marques que vous me donnez de votre souvenir; je le serai beaucoup plus de vous retrouver.

Ornement de la bergerie,
Et de l'église et de l'Amour,
Aussitôt que Flore à son tour

Second fils du fameux Bussi-Rabutin, consin de madame de Sévigné.

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