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est, en ministre prévenu et trompé. On lui a fait entendre que c'est moi qui débite cette édition, tandis que je n'ai épargné, depuis un an, ni soins ni argent pour la supprimer. J'étais bien loin assurément de la vouloir donner au public: il me suffisait de votre approbation. Madame du Châtelet et vous, ne me valez-vous pas le public? D'ailleurs aurais-je eu, je vous prie, l'impertinence de mettre mon nom à la tête de l'ouvrage ? y aurais-je ajouté la Lettre sur Pascal, que j'avais fait supprimer même à Londres?

Savez-vous bien que j'ai fait prodigieusement grace à ce Pascal? De toutes les prophéties qu'il rapporte, il n'y en a pas une qui puisse s'expliquer honnêtement de Jésus-Christ. Son chapitre sur les miracles est un persiflage. Cependant je n'en ai rien dit, et l'on crie. Mais laissez-moi faire; quand je serai une fois à Bâle, je ne serai pas si prudent. En attendant, je vous prie de faire connaître la vérité à vos amis. Il me sera plus glorieux d'être défendu par vous, qu'il n'est triste d'être persécuté par les sots.

Je vous demande pardon d'avoir mis tant de paroles dans ma lettre; mais, quand on écrit en présence de madame du Châtelet, on ne peut pas recueillir son esprit fort aisément.

Adieu; vous savez le respect que mon esprit a pour le vôtre. Écrivez-moi, ou pour m'apprendre quelques nouvelles de ces Lettres, ou pour me consoler. Je vous suis tendrement attaché pour la vie, comme si j'étais digne de votre commerce.

CCXLV.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL'.

Avril.

On dit qu'après avoir été mon patron vous allez être mon juge, et qu'on dénonce à votre sénat ces Lettres anglaises comme un mandement du cardinal de Bissy

'Conseiller honoraire du parlement de Paris, et depuis ministre plénipotentiaire de Parme à Paris. Il y avait un grand nombre de lettres à M. d'Argental, antérieures à celle-ci. Les premières dataient de 1716 ou 1717. On n'a pu les retrouver, quoiqu'elles aient été données, à ce qu'on croit, avec les autres, par M. d'Argental.

Il n'a cessé, jusqu'à sa mort, de prendre le plus vif intérêt à cette édition des OEuvres de M. de Voltaire. Non seulement il a déterminé, par ses sollicitations, plusieurs personnes de considération en France à communiquer les lettres qu'elles avaient reçues de M. de Voltaire, mais il a employé pour le mème objet, dans les pays étrangers, avec un zèle qui ne s'est jamais refroidi, le crédit des ministres avec lesquels sa place le mettait en relation. Il n'a pu jouir malheureusement de cette partie de l'édition. Avec quelle sensibilité, avec quelle douce émotion n'eût-il pas lu cette Correspondance, où son nom tient le premier rang! Combien n'eût-il pas chéri ce monument, qui doit transmettre à la postérité de nombreux témoignages des qualités rares de son esprit, comme des vertus de sa belle ame, et l'associer à la gloire de son ami! Si la perte de M. d'Argental a devancé la publication de ce recueil, les éditeurs ont dû payer du moins à sa mémoire le juste tribut de leur reconnaissance. Ils ont cru ne pouvoir mieux remplir ce devoir qu'en consignant la notice intéressante de M. de La Harpe dans l'un des volumes de cette collection. (A la fin du dernier volume de cette Correspondance.) Ils joindront ici quelques détails sur la famille de M. d'Argental.

Charles-Augustin de Ferriol, comte d'Argental, naquit à Paris, le 20 de décembre 1700, d'une famille distinguée par son amour pour les lettres et les arts. Il fut le second fils de M. de Ferriol d'abord receveur-général des finances du Dauphiné, et ensuite président au parlement de Metz, comme son père, et de N. Guérin de Tencin, sœur du cardinal de ce nom, et de la célèbre madame de Tencin. On doit à M. de Ferriol, son oncle, ambassadeur de la Porte ottomane, un ouvrage intéressant sur les mœurs et les usages des Turcs. M. de Pont-de-Vesle, frère aîné de M. d'Argental, a été fort connu par les agrémens de son esprit, sa gaîté, ses vers faciles, et par plusieurs comédies restées au théâtre.

M. d'Argental, né timide, débuta dans le monde avec moins de succès. Il fut d'abord destiné à l'état militaire; mais son frère ayant refusé une charge de conseiller au parlement de Paris, ses parens engagèrent

ou de l'évêque de Laon. Messieurs tenant la cour du parlement, de grace, souvenez-vous de ces vers :

Il est dans ce saint temple un sénat vénérable,
Propice à l'innocence, au crime redoutable,
Qui des lois de son prince est l'organe et l'appui,
Marche d'un pas égal entre son peuple et lui, etc.
(Henr., ch. Iv.)

Je me flatte qu'en ce cas les présidens Hénault et Roujaut, les Bertier, se joindront à vous, et que vous donnerez un bel arrêt, par lequel il sera dit que Rabelais, Montaigne, l'auteur des Lettres persanes, Bayle,

M. d'Argental, son cadet, à le remplacer, et par déférence pour eux, il se dévoua à la magistrature, pour laquelle il n'avait point de goût, et dont il a cependant rempli les devoirs, pendant plus de quarante années, avec autant de zèle que de lumières. Il fut fait conseiller d'honneur, et céda cette charge, en 1771, à l'abbé de Chauvelin, dont le frère, le marquis de Chauvelin, était depuis long-temps son intime ami. M. d'Argental avait été nommé, en 1738, à l'intendance de Saint-Domingue. Tous ses amis, qui craignaient de le perdre pour jamais, le pressèrent tellement de renoncer à cette place, qu'il dut céder à leurs instances.

Il accepta, en 1757, celle de ministre plénipotentiaire de l'infant duc de Parme auprès du roi, que Madame, infante, fille de Louis XV, qui était alors à la cour, fit créer pour lui. Il dut principalement ce don, que la princesse accompagna de toute la grace possible, à l'amitié de M. le duc de Choiseul, qui lui fut toujours très attaché, ainsi que feu M. le duc de Praslin.

M. d'Argental fut admis très jeune dans la société de madame de Tencin, sa tante, où il vécut avec tout ce que la France avait de plus distingué dans les lettres. Sa liaison avec M. de Voltaire s'était formée dès le college. Ils y avaient joué ensemble dans les tragédies que les jésuites étaient dans l'usage de faire représenter. L'analogie de leur goût pour la poésie et pour les ouvrages dramatiques, une sorte de sympathie avait cimenté leur amitié, qui ne s'est jamais démentie pendant soixante-dix ans. M. d'Argental, né avec beaucoup de sensibilité et de goût, fut toute sa vie adorateur des grands talens; et quand, à la fleur de son âge, il les trouva unis, avec l'esprit et la beauté, dans mademoiselle Lecouvreur, l'on dut peu s'étonner de la passion violente qu'il conçut pour elle, quoique beaucoup plus âgée que lui. Il eut la douleur de la voir mourir entre lui et M. de Voltaire, en 1730, à l'âge de quarante ans. Elle le chargea de remplir ses dernières intentions, et de partager sa petite fortune entre deux filles naturelles qu'elle laissait. Il les maria depuis toutes deux; et comme le bien de mademoiselle Lecou

Locke, et moi chétif, serons réputés gens de bien, et mis hors de cour et de procès.

Qu'est devenu M. de Pont-de-Vesle? d'où vient que je n'entends plus parler de lui? n'est-il point à Pont-deVesle avec madame votre mère?

Si vous voyez M. Hérault, sachez, je vous en prie, ce qu'aura dit le libraire qui est à la Bastille; et encouragez ledit M. Hérault à me faire, auprès du bon cardinal et de l'opiniâtre Chauvelin, tout le bien qu'il pourra humainement me faire.

vreur ne suffisait pas pour leur procurer un établissement avantageux, il y ajouta du sien, quoiqu'elles lui fussent étrangères, et qu'il fût peu riche alors. Il s'est toujours intéressé à leur sort et à celui de leurs enfans, et leur en a même donné des preuves dans son testament. Une petite anecdote pourra faire connaître la manière dont M. d'Argental savait aimer. On sait que les préjugés, dont l'empire décroît de jour en jour, à mesure que celui de la raison s'étend, avaient forcé les amis de mademoiselle Lecouvreur à la faire enterrer furtivement sur les bords de la Seine, vers la rue Belle-Chasse. Cinquante ans après, M. d'Argental, à l'âge de plus de quatre-vingts ans, apprenant qu'un particulier, propriétaire de ce terrain, avait découvert, en bâtissant, les vestiges du tombeau de mademoiselle Lecouvreur, court sur les lieux, reconnaît en pleurant ces traces précieuses, obtient d'y ériger un monument, et y fait graver des vers où se peint toute la sensibilité de son ame.

Quelques années après la mort de cette célèbre actrice, M. d'Argental épousa mademoiselle Dubouchet, dont le père, surintendant de M. le duc de Berri, avait dissipé la fortune; mais il n'avait rien négligé pour l'éducation de sa fille; elle avait des graces et de l'esprit, et c'était assez pour le bonheur de M. d'Argental. Il vécut avec elle dans la plus parfaite union jusqu'en 1774, où il eut le malheur de la perdre sans en avoir eu de postérité. Il lui a survécu jusqu'au 6 de j nvier 1788; époque funeste pour tout ce qui l'approchait, et dont M. de La Harpe a parié avec tant de sensibilité.

Depuis sa mort on a appris de madame de Courteille, qui lui était très attachée, que le roman du Comte de Comminges, attribué jusqu'ici à madame de Tencin, est de M. d'Argental, son neveu; et elle le savait de lui-même. On connait aussi des vers très agréables de M. d'Argental; nous n'en citerons que quatre. Dans le dernier séjour de M. de Voltaire à Paris, son cher ange ne le quittait guère. A la fin d'une journée pénible où tout Paris était venu rendre hommage au vieillard de Ferney, M. d'Argental lui dit : « Si quelqu'un a dû jamais être fatigué d'honneurs

Je vais vous parler avec la confiance que je vous dois, et qu'on ne peut s'empêcher d'avoir pour un cœur comme le vôtre. Quand je donnai permission, il y a deux ans, à Thieriot d'imprimer ces maudites Lettres, je m'étais arrangé pour sortir de France, et aller jouir, dans un pays libre, du plus grand avantage que je connaisse, et du plus beau droit de l'humanité, qui est de ne dépendre que des lois, et non du caprice des hommes. J'étais très determiné à cette idée; l'amitié seule m'a fait entièrement changer de résolution, et m'a rendu ce pays-ci plus cher que je ne l'espérais. Vous êtes assurément à la tête des personnes que j'aime; et ce que vous avez bien voulu faire pour moi dans cette occasion m'attache à vous bien davantage, et me fait sou

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« et de louanges, c'est vous; on vous en accable. Jamais ce mot de grand ‹ homme n'a été prononcé par tant de bouches; mais c'est un éloge trop rebattu. Il est devenu en général, et surtout par vous en particulier, « un lieu commun, une expression triviale. Que ces messieurs vous ap‹pellent, avec la postérité, grand homme, tant qu'ils voudront; moi, qui vous connais mieux, et depuis plus long-temps qu'eux tous, je « vous réserve un éloge aussi vrai et plus neuf, car aucun de nos Parisiens - ne s'en est encore agisé. Eh quoi? dit M. de Voltaire. — C'est que « vous êtes un bon homme, et que vous l'avez toujours été. « foi, vous avez raison, reprit M. de Voltaire; cet éloge me touche plus « que tous les autres, et il a cela de bon qu'on peut l'accepter sans trop blesser la modestie. » La conversation continua sur ce ton; la soirée fut très gaie, et fournit à M. d'Argental le sujet de cette inscription, qu'il mit sur une statue de M. de Voltaire :

«

Que pourrait-il manquer à sa célébrité?
Ses écrits à jamais vivront dans la mémoire;
Assez d'autres sans moi parleront de sa gloire,

Je ne veux désormais que louer sa bonté,

Par ma

Voici ceux que M. le commandeur de Buffevent fit pour le buste de M. d'Argental, son ami:

Philosophe sans faste et sans pédanterie,

L'infortune à son cœur commande les bienfaits:

Homme rare, ami sûr, le charme de sa vie

Est de s'environner des heureux qu'il a faits. (N. des éditeurs de K.)

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