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Il est le seul, à mon avis, qui ne suppose point ce qui est en question. Malebranche commence par établir le péché originel, et part de là pour la moitié de son ouvrage; il suppose que nos sens sont toujours trompeurs, et de là il part pour l'autre moitié.

Clarke, dans son second chapitre de l'existence de Dieu, croit avoir démontré que la matière n'existe point nécessairement, et cela, par ce seul argument, que si le tout existait de nécessité, chaque partie existerait de la même nécessité. Il nie la mineure, et, cela fait, il croit avoir tout prouvé; mais j'ai le malheur, après l'avoir lu bien attentivement, de rester sur ce point sans conviction. Mandez-moi, je vous prie, si ses preuves ont eu plus d'effet sur vous que sur moi.

Il me souvient que vous m'écrivîtes, il y a quelque temps, que Locke était le premier qui eût hasardé de dire que Dieu pouvait communiquer la pensée à la matière. Hobbes l'avait dit avant lui, et j'ai idée qu'il y a dans le de Natura Deorum quelque chose qui ressemble à cela.

Plus je tourne et je retourne cette idée, plus elle me paraît vraie. Il serait absurde d'assurer que la matière pense, mais il serait également absurde d'assurer qu'il est impossible qu'elle pense. Car, pour soutenir l'une ou l'autre de ces assertions, il faudrait connaître l'essence de la matière, et nous sommes bien loin d'en imaginer les vraies propriétés. De plus, cette idée est aussi conforme que tout autre au système du christianisme, l'immortalité pouvant être attachée tout aussi bien à la matière que nous ne connaissons pas, qu'à l'esprit que nous connaissons encore moins.

Les Lettres philosophiques, politiques, critiques, poétiques, hérétiques et diaboliques, se vendent en

anglais à Londres avec un grand succès. Mais les Anglais sont des papefigues maudits de Dieu, qui sont tous faits pour approuver l'ouvrage du démon. J'ai bien peur que l'église gallicane ne soit un peu plus difficile. Jore m'a promis une fidélité à toute épreuve. Je ne sais pas encore s'il n'a pas fait quelque petite brèche à sa vertu. On le soupçonne fort, à Paris, d'avoir débité quelques exemplaires. Il a eu sur cela une petite conversation avec M. Hérault; et, par un miracle plus grand que tous ceux de saint Pâris et des apôtres, il n'est point à la Bastille. Il faut bien pourtant qu'il s'attende à y être un jour. Il me paraît qu'il a une vocation déterminée pour ce beau séjour. Je tâcherai de n'avoir pas l'honneur de l'y accompagner.

CCXLI.

A M. DE CIDEVILLE.

A Montjeu, par Autun, le 24 avril.

J'étais ici tranquille, mon charmant ami, et je jouissais paisiblement du fruit de ma petite négociation entre M. de Richelieu et mademoiselle de Guise. Je n'ai pas trop l'air du blond Hyménée; mais je fesais les fonctions de ce dieu charitable, et je me mêlais d'unir des cœurs par devant notaire, lorsque les nouvelles les plus affligeantes sont venues troubler mon repos. Ces maudites Lettres anglaises se débitent enfin sans qu'on m'ait consulté, sans qu'on m'en ait donné le moindre avis. On a l'insolence de mettre mon nom à la tête, et de donner l'ouvrage avec la Lettre sur les Pensées de Pascal, que j'avais le plus à cœur de supprimer.

Je ne veux pas soupçonner Jore de m'avoir joué ce tour, parce que sur le moindre soupçon il serait mis

sûrement à la Bastille pour le reste de sa vie. Mais je vous supplie de me mander ce que vous en savez. En un mot, si l'on pouvait ôter mon nom, du moins ce serait une impertinence de sauvée. Je ne sais où est ce misérable.

Adieu; j'ai le cœur serré de douleur. Écrivez-moi pour me consoler, et faites mille complimens pour moi à mon ami Formont. L'abbé Du Resnel est-il à Rouen? En êtes-vous bien content? Écrivez-moi à Montjeu.

CCXLII.

A M. DE FORMONT.

A Montjeu, par Autun, le 25 avril.

On ne peut, mon cher Formont, vous écrire plus rarement que je fais, et vous aimer plus tendrement. Je passe la moitié de mes jours à souffrir, et l'autre à étudier ou à rimailler, et il se trouve que la journée se passe sans que j'aie le temps d'écrire ma lettre. Vous serez peut-être étonné de la date de celle-ci. Moi au fond de la Bourgogne! moi, qui n'aurais voulu quitter Paris que pour Rouen; mais c'est que je me suis mêlé de marier M. de Richelieu avec mademoiselle de Guise, et qu'il a fallu dans les règles être de la noce. J'ai donc fait quatre-vingts lieues pour voir un homme coucher avec une femme. C'était bien la peine d'aller si loin.

Mais voici bien une autre besogne. On vend mes Lettres, que vous connaissez, sans qu'on m'ait averti, sans qu'on m'ait donné le moindre signe de vie. On a l'insolence de mettre mon nom à la tête, et, malgré mes prières réitérées, de supprimer au moins ce qui regarde les Pensées de Pascal, on a joint cette Lettre aux autres. Les dévots me damnent; mes ennemis crient, et on me

fait craindre une lettre de cachet, lettre beaucoup plus dangereuse que les miennes. Je vous demande en grace de me mander ce que vous pourrez savoir. Jore est-il dans votre ville? est-il à Paris? Pourrait-on au moins faire savoir mes intentions à ceux qui ont eu l'indiscrétion de débiter cet ouvrage sans mon consentement? Pourrait-on au moins supprimer mon nom? Adieu, mon sage et aimable ami. Je suis bien fou de me faire des affaires pour un livre.

CCXLIII.

A M. L'ABBÉ D'OLIVET.

A Montjeu, par Autun, ce 25 avril.

Je compte toujours sur votre amitié, mon très cher abbé et mon maître, et je vous mets à l'épreuve. Écrivez-moi, si vous m'aimez, tout ce qu'on dit de ces Lettres anglaises qui paraissent depuis peu. C'est bien assurément malgré moi que l'on débite cet ouvrage. Il y a plus d'un an que je prenais les plus grandes et les plus inutiles précautions pour le supprimer. Il m'en a coûté 1500 francs pour espérer pendant quelques mois qu'il ne paraîtrait point. Mais enfin j'ai perdu mon argent, mes peines et mes espérances. Non seulement on m'a trahi, et l'on débite l'ouvrage, mais, grace à la bonté qu'on a toujours de juger favorablement son prochain, j'apprends qu'on me soupçonne de faire vendre mci-même l'ouvrage. Je me flatte que vous me défendrez avec vos amis, ou plutôt que ceux qui ont l'honneur d'être vos amis ne m'imputeront point de telles

bassesses.

Mais vous, mon cher abbé, mandez-moi ce que c'était que l'affaire qu'on voulait vous susciter au sujet des

rêveries de ce fou de père Hardouin. Faudra-t-il que les gens de lettres en France soient toujours traités comme les mathématiciens l'étaient du temps de Domitien ? Écrivez-moi, je vous en prie, au plus vite à Montjeu. J'y étais paisiblement occupé à marier M. le duc de Richelieu à mademoiselle de Guise. L'aventure de ces Lettres a rabattu ma joie, et votre souvenir me la rendra.

CCXLIV.

A M. DE MAUPERTUIS.

A Montjeu, par Autun, 29 avrů.

Votre géomètre ', monsieur, vient de me montrer votre lettre. Je vous plains de son absence; mais je suis beaucoup plus à plaindre que vous, s'il faut que j'aille à Londres ou à Bâle, tandis que vous serez à Paris avec madame du Châtelet.

Ce sont donc ces Lettres anglaises qui vont m'exiler! En vérité, je crois qu'on sera un jour bien honteux de m'avoir persécuté pour un ouvrage que vous avez corrigé. Je commence à soupçonner que ce sont les partisans des tourbillons et des idées innées qui me suscitent la persécution. Cartésiens, malebranchistes, jansénistes, tout se déchaîne contre moi; mais j'espère en votre appui : il faut, s'il vous plaît, que vous deveniez chef de secte. Vous êtes l'apôtre de Locke et de Newton, et un apôtre de votre trempe avec une disciple comme madame du Châtelet rendraient la vue aux aveugles. Je crains encore plus M. le garde des sceaux que les raisonneurs; il ne prend point du tout cette affaireci en philosophe; il se fâche en ministre, et qui pis

' Madame du Châtelet, à qui M. de Maupertuis avait donné quelques leçons de géométrie. (Éd. de Kehl

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