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VI.

A MADEMOISELLE DUNOYER.

A La Haye, le 6 décembre 1713.

On a decouvert notre entrevue d'hier, ma charmante demoiselle: l'amour nous excuse l'un et l'autre envers nous-mêmes, mais non pas envers ceux qui sont intéressés à me tenir ici prisonnier. Le plus grand malheur qui pouvait m'arriver était de hasarder ainsi votre réputation. Dieu veuille encore que notre monstre aux cent yeux ne soit pas instruit de votre déguisement! Mandez-moi exactement tout ce que cette barbare mère dit hier à M. de La B*** et à vous, et ne comptez pas que nous puissions nous voir avant mon départ, à moins que nous ne voulions achever de tout gâter: fesons, mon cher cœur, ce dernier effort sur nous-mêmes. Pour moi, qui donnerais ma vie pour vous voir, je regarderai votre absence comme un bien, puisqu'elle doit me procurer le bonheur d'être long-temps auprès de vous à l'abri des feseurs de prisonniers et des feseuses de libelles. Je ne puis vous dire dans cette lettre que ce que je vous ai dit dans toutes les autres; je ne vous recommande pas de m'aimer; je ne vous parle plus de mon amour, nous sommes assez instruits de nos sentimens ; il ne s'agit ici que de vous rendre heureuse; il faut pour cela une discrétion entière. Il faut dissimuler avec madame votre mère; ne me dites point que vous êtes trop sincère pour trahir vos sentimens. Oui, mon cher cœur, soyez sincère avec moi qui vous adore, et non pas avec

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.; ce serait un crime que de lui laisser découvrir tcut ce que vous pensez vous conserverez sans doute

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votre santé, puisque vous m'aimez; et l'espérance de nous revoir bientôt nous tiendra lieu du plaisir d'être ensemble. Je vous écrirai tous les ordinaires à l'adresse de madame Santoc de Maisan; vous mettrez la mienne : A M. Arouet le cadet, chez M. Arouet, trésorier de la chambre des comptes, cour du Palais, à Paris. Je mettrai vendredi une lettre pour vous à la poste de Rotterdam; j'attendrai une lettre de vous à Bruxelles, que le maître de la poste me fera tenir. Envoyez-moi vos lettres pour monsieur votre père et monsieur votre oncle, par le présent porteur. Si Lefèvre ne peut pas te porter cette lettre, confie-toi à celui que j'enverrai; remets-lui le paquet et les lettres. Adieu, ma chère Olympe; si tu m'aimes, console-toi; songe que nous réparerons bien.' les maux de l'absence; cédons à la nécessité: on peut nous empêcher de nous voir, mais jamais de nous aimer. Je ne trouve point de termes assez forts pour t'exprimer mon amour; je ne sais même si je devrais t'en parler, puisqu'en t'en parlant je ne fais sans doute que t'attrister, au lieu de te consoler. Juge du désordre où est mon cœur par le désordre de ma lettre; mais, malgré ce triste état, je fais un effort sur moi; imite-moi si tu m'aimes. Adieu encore une fois, ma chère maîtresse ; adieu, ma belle Olympe; je ne pourrai point vivre à Paris si je ne t'y vois bientôt. Songe à dater toutes tes lettres. AROuet.

VII.

A MADEMOISELLE DUNOYER.

Ce dimanche au soir 10 décembre.

Je vous écris une seconde fois, ma pauvre Olympe, pour vous demander pardon de vous avoir grondée ce

matin, et pour vous gronder encore mieux ce soir, au hasard de vous demander pardon demain. Quoi! vous voulez parler à M. L***? Eh! ne savez-vous pas que ce qu'il craint le plus c'est de paraître favoriser votre retraite? Il craint votre mère, il veut ménager les E....: vous devez vous-même craindre les uns et les autres, et ne point vous exposer, d'un côté à être enfermée, et de l'autre à recevoir un affront. Lefèvre m'a rapporté que votre mère..., et que vous êtes malade; le cœur m'a saigné à ce récit ; je suis coupable de tous vos malheurs, et, quoique je les partage avec vous, vous n'en souffrez. pas moins. C'est une chose bien triste pour moi que mon amour ne vous ait encore produit qu'une source de chagrins; le triste état où je suis réduit moimême ne me permet pas de vous donner aucune consolation, vous devez la trouver dans vous-même. Songez que vos peines finiront bientôt, et tâchez du moins d'adoucir un peu la maligne férocité de votre mère; représentez-lui doucement qu'elle vous fera mourir. Ce discours ne la touchera pas, mais il faudra qu'elle paraisse en être touchée; ne lui parlez jamais ni de moi, ni de la France, ni de M. L***; surtout gardez-vous de venir à l'hôtel, ma chère. Suivez mes conseils une fois, vous prendrez votre revanche le reste de ma vie, et je ferai toujours vœu de vous obéir. Adieu, mon cher cœur; nous sommes tous deux dans des circonstances fort tristes; mais nous nous aimons, voilà la plus douce consolation que nous puissions avoir. Je ne vous demande pas votre portrait, je serais trop heureux, et je ne dois pas l'être, tandis que vous êtes malheureuse. Adieu, mon cher cœur; aimez-moi toujours, informezmoi de votre santé. AROUET.

CORRESPONDANCE. T. I.

VIII.

A MADEMOISELLE DUNOYER.

Ce mercredi soir.

Je ne sais que d'hier, ma chère, que vous êtes malade; ce sont là les suites des chagrins que je vous ai causés: quoi! je suis cause de vos malheurs, et je ne puis les adoucir! Non, je n'ai jamais ressenti de douleur plus vive et plus juste; je ne sais pas quelle est votre maladie: tout augmente ma crainte; vous m'aimez, et vous ne m'écrivez point: je juge de là que vous êtes malade véritablement. Quelle triste situation pour deux amans! l'un au lit, et l'autre prisonnier. Je ne puis faire autre chose pour vous que des souhaits, en attendant votre guérison et ma liberté. Je vous prierais de vous bien porter, s'il dépendait de vous de m'accorder cette grace; mais du moins il dépend de vous de songer à votre santé, et c'est le plus grand plaisir que vous me puissiez faire. Je ne vous ai point écrit de lettre où je ne vous aie recommandé cette santé qui m'est si chère; je supporterai toutes mes peines avec joie, si vous pouvez prendre un peu le dessus sur toutes les vôtres. Mon départ est reculé encore. M. de M***, qui vient actuellement dans ma chambre, m'empêche de continuer ma lettre: adieu, ma belle maîtresse; adieu, mon cher cœur ; puissiez-vous être aussi heureuse toute votre vie que je suis malheureux actuellement ! Adieu, ma chère; tâche de m'écrire. AROUet.

IX.

A MADEMOISELLE DUNOYER.

Ce samedi soir.

Est-il possible, ma chère maîtresse, que je ne puisse du moins jouir de la satisfaction de pleurer au pied de votre lit, et de baiser mille fois vos belles mains, que j'arroserais de mes larmes! Je saurais du moins à quoi m'en tenir sur votre maladie, car vous me laissez làdessus dans une triste incertitude; j'aurais la consolation de vous embrasser en partant, et de vous dire adieu, jusqu'au temps où je pourrai vous voir à Paris. On vient de me dire qu'enfin c'est pour demain; je m'attends pourtant encore à quelque délai ; mais, en quelque temps que je parte, vous recevrez toujours de moi une lettre, datée de Rotterdam, dans laquelle je vous manderai bien des choses de conséquence, mais dans laquelle je ne pourrai pourtant vous exprimer mon amour comme je le sens. Je partirai dans de cruelles inquiétudes, que vos lettres adouciront à leur ordinaire. Je vous ai mandé, dans ma dernière lettre, que je ne m'occupais que du plaisir de penser à vous; cependant j'ai lu hier et aujourd'hui les Lettres galantes de madame D....1 ; son style m'a quelquefois fait oublier.

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... Je suis à présent bien convaincu qu'avec beaucoup d'esprit on peut être bien... J'ai été très content du premier tome, qui ôte bien du prix à ses cadets. On remarque surtout, dans les quatre derniers, un auteur qui est lassé d'avoir la

'Les Lettres historiques et galantes de madame Dunoyer, où depuis elle inséra ces quatorze Lettres de Voltaire, venaient de paraitre à La Haye, sous l'indication de Cologne, 1714, 7 vol. in-12. R.

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