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je ne suis pas poëte, non plus que vous, mon cher abbé.

Vous me reprochez de rapporter à M. de Voltaire les avis du public; j'avoue que je lui apprends avec sincérité les critiques que j'entends faire de ses ouvrages, parce que je sais qu'il aime à se corriger, et qu'il ne répond jamais aux mauvaises satires que par le silence, comme vous l'éprouvez heureusement, et aux bonnes critiques, par une grande docilité.

Je crois donc lui rendre un vrai service en ne lui célant rien de ce qu'on dit de ses productions. Je suis persuadé que c'est ainsi qu'il en faut user avec tous les auteurs raisonnables; et je veux bien même faire ici, par charité pour vous, ce que je fais souvent par estime et par amitié pour lui.

Je ne vous cacherai donc rien de tout ce que j'entendais dire de vous lorsqu'on jouait votre Mariamne. Tout le monde y reconnut votre style; et quelques mauvais plaisans, qui se ressouvenaient que vous étiez l'auteur des Machabées, d'Hérode et de Saül, disaient que vous aviez mis l'ancien Testament en vers burlesques; ce qui est vraiment horrible et scandaleux.

Il y en avait qui, ayant aperçu les gens que vous aviez apostés pour vous applaudir, et les archers que vous aviez mis en sentinelle dans le parterre, où ils étaient forcés d'entendre vos vers, disaient :

Pauvre Nadal, à quoi bon tant de peine?

Tu serais bien sifflé sans tout cela.

D'autres citaient les Satires de M. Rousseau, dans lesquelles vous tenez si dignement la place de l'abbé Pic. Enfin, monsieur, il n'y avait ni grand ni petit qui ne vous accablât de ridicule; et moi, qui suis naturel

lement bon, je sentais une vraie peine de voir un vieux prêtre si indignement vilipendé par la multitude. J'en ai encore de la compassion pour vous, malgré les injures que vous me dites, et même malgré vos ouvrages; et je vous assure que je suis, du meilleur de mon cœur, tout à vous, THIERIOT.

LXXV.

A MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Ce lundi au soir, juin.

Je vins hier à Paris, madame, et je vis le ballet des Élémens, qui me parut bien joli. L'auteur1 est indigne d'avoir fait un ouvrage si aimable. Je compte apporter une nouvelle lettre de cachet qui rendra la liberté à notre pauvre abbé Desfontaines. Je verrai samedi Mariamn. avec vous, et je vous suivrai à La Rivière. Tous ces projets-là sont bien agréables pour moi, s'ils vous fon' quelque plaisir.

Je suis d'ailleurs assez content de mon voyage de Versailles; et, sans votre absence et quelques indigestions, je serais plus heureux qu'à moi n'appartient. J'apprends que vous n'avez jamais eu tant de santé. Vous auriez bien dû me faire le plaisir de me l'apprendre. Mes respects à M. de Bernières. Ayez la bonté de faire tenir à l'abbé Desfontaines la lettre que je lui écris. J'embrasse notre ami Thieriot.

'Le poëte Roi.

2

y.

LXXVI.

A M. THIERIOT (chez madame de Bernières, à La Rivière-Bourdet).

Paris, 25 juin.

J'ai toujours bien de l'amitié pour vous, grande aversion pour les tracasseries, et beaucoup d'envie d'aller jouir de la tranquillité chez madame de Bernières; mais je n'y veux aller qu'en cas que je sois sûr d'être un peu désiré. Je ferais mille lieues pour aller la voir, si elle a toujours la même amitié pour moi; mais je ne ferais pas un stade si son amitié est diminuée d'un grain. Je devine que le chevalier Desalleurs est à La Rivière, et que vous y passez une vie bien douce. Je ne sais si M. de Bernières se dispose à partir: il n'entend pas parler de moi, ni moi de lui. Nous ne nous rencontrons pas plus que s'il demeurait au Marais, et moi aux Incurables. Je saurai probablement de ses nouvelles par madame de Bernières. Mandez-moi comment elle se porte, si elle est bien gourmande; si Silva lui a envoyé son ordonnance; si elle est bien enchantée du chevalier Desalleurs; si ledit chevalier, toujours bien sain, bien dormant et bien...., se dit toujours malade; enfin, si on veut me souffrir dans l'ermitage. Je ne sais aucune nouvelle, ni ne m'en soucie; j'attends des vôtres, et vous embrasse de tout mon cœur.

LXXVII.

A MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Ce mercredi 27 juin.

Je sors de chez Silva, à qui j'ai envoyé quatre fois inutilement demander votre ordonnance; il m'a paru

aussi difficile d'en avoir une de médecin que du roi. Enfin, Silva vient de me dire que les morceaux d'une boule de fer étaient aussi bons que la boule en entier. Mais, pour moi, je puis vous assurer que le régime vaut mieux que toutes les boules de fer du monde. Je ne me sers plus que de ce remède, et je m'en trouve si bien, que je serais déja chez vous, par le coche ou par les batelets, sans la lettre que M. Thieriot m'a écrite. Il m'a mandé que vous et lui seriez fort aises de me recevoir, mais qu'il ne me conseillait pas de venir sans avoir auparavant donné de l'argent à M. de Bernières. Je n'ai jamais plus vivement senti ma pauvreté qu'en lisant cette lettre. Je voudrais avoir beaucoup d'argent à lui donner, car on ne peut payer trop cher le plaisir et la douceur de vivre avec vous. J'envie bien la destinée de M. Desalleurs, qui a porté à La Rivière-Bourdet son indifférence et ses agrémens. Je m'imagine que vous avez volontiers oublié tout le monde dans votre charmante solitude, et que qui vous manderait des nouvelles de ce pays-ci, fût-ce des nouvelles de votre mari, vous importunerait beaucoup.

1

Je ne sais autre chose que le risque où le roi Stanislas a été d'être empoisonné. On a arrêté l'empoisonneur, et on attend de jour en jour des éclaircissemens sur cette aventure. Les dames du palais partiront, je crois, le 10, pour aller chercher leur reine 2. Je crois M. de Luxembourg parti pour Rouen. Voilà tout ce que je sais. Tout

'Il parait certain que, malgré son intimité dans la maison du président de Bernières, M. de Voltaire y paya toujours sa pension. On le voit par cette lettre, par la suivante, et par une déclaration formelle qu'il en fait dans un autre endroit de ses ouvrages.

R.

2 Marie Leczinska, fille de Stanislas, devenue reine de France par son mariage avec Louis XV. (Ed. de Kehl.)

le monde dit dans Paris que je suis dévot, et brouillé avec vous, et cela parce que je ne suis point à La Rivière, et que je suis souvent chez la femme1 au miracle du faubourg Saint-Antoine 2. Le vrai pourtant est que Je vous aime de tout mon cœur, comme vous m'aimiez autrefois, et que je n'aime Dieu que très médiocrement, dont je suis très honteux.

Je ne sais point du tout si M. de Bernières ira vous voir, et vous savez si j'y dois aller. Mandez-moi ce que vous souhaitez : ce sont vos intentions qui règlent mes désirs. Adieu: soit à La Rivière, soit à Paris, je vous suis attaché pour toujours, avec la tendresse la plus vive.

LXXVIII.

A MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Juin.

Me voici donc prisonnier dans le camp ennemi, faute d'avoir de quoi payer ma rançon pour aller à La Rivière, que j'avais appelée ma patrie. En vérité, je ne m'attendais pas que jamais votre amitié pût souffrir que l'on mît de pareilles conditions dans le commerce. J'arrive de Maisons, où j'ai enfin la hardiesse de retourner. Je comptais de là aller à La Rivière, et passer le mois de juillet avec vous. Je me fesais un plaisir d'aller jouir auprès de vous de la santé qui m'est enfin rendue. Vous ne m'avez vu que malade et languissant. J'étais honteux

' C'est une madame Lafosse, en mémoire de qui on fit depuis, dans lu faubourg Saint-Antoine, une magnifique procession qui avait, dit-on, lieu le dimanche de la Trinité. R.

On ne sait ce que c'est que ce miracle, où Voltaire est pour quelque chose. Il en est encore question dans la lettre du 20 auguste à la présidente de Bernières. (Ed. de K.)

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