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pour vous plaindre de mes longues absences. Si vous saviez l'état où je suis, assurément ce serait moi que vous plaindriez. Je ne suis à Paris que parce que je ne suis pas en état de me faire transporter chez vous, à votre campagne. Je passe ma vie dans des souffrances continuelles, et n'ai ici aucune commodité. Je n'espère pas même la fin de mes maux, et je n'envisage pour le reste de ma vie qu'un tissu de douleurs qui ne sera adouci que par ma patience à les supporter, et par votre amitié, qui en diminuera toujours l'amertume. Sans cette amitié que vous m'avez toujours témoignée, je ne serais pas à présent dans votre maison; j'aurais renoncé à vous comme à tout le monde, et j'aurais été enfermer les chagrins dont je suis accablé dans une retraite, qui est la seule chose qui convienne aux malheureux ; mais j'ai été retenu par mon tendre attachement pour vous. J'ai toujours éprouvé que c'est dans les temps où j'ai souffert le plus que vous m'avez marqué plus de bonté, et j'ai osé croire que vous ne vous lasseriez pas de mes malheurs. Il n'y a personne qui ne soit fatigué à la longue du commerce d'un malade. Je suis bien honteux de n'avoir à vous offrir que des jours si tristes, et de n'apporter dans votre société que de la douleur et de l'abattement; mais je vous estime assez pour ne vous point fuir dans un pareil état, et je compte passer avec vous le reste de ma vie, parce que je m'imagine que vous aurez la générosité de m'aimer avec un mauvais estomac et un esprit abattu par la maladie, comme si j'avais encore le don de digérer et de penser. Je suis charmé que Thieriot nous donne la préférence sur l'ambassade; je sens que son amitié et son commerce me sont nécessaires : c'était avec bien de la douleur que je me séparais de lui;

cependant je serais très affligé s'il avait manqué sa fortune. Tout le monde le blâme ici de son refus; pour moi, je l'en aime davantage, mais j'ai toujours quelques remords de ce qu'il a négligé à ce point ses in

térêts.

Vous savez que M. de Morville est chevalier de la Toison. Il y avait long-temps que le roi d'Espagne lui avait promis cette faveur. Je viens d'être témoin d'une fortune plus singulière, quoique dans un genre fort différent. La petite Livri, qui avait cinq billets à la loterie des Indes 1, vient de gagner trois lots qui valent dix mille livres de rente; ce qui la rend plus heureuse que tous les chevaliers de la Toison.

La petite Lecouvreur réussit à Fontainebleau comme à Paris; elle se souvient de vous dans sa gloire, et me prie de vous assurer de ses respects. Adieu; je n'ai plus la force d'écrire.

LXXIII.

A M. DE CIDEVILLE,

CONSEILLER AU PARLEMENT DE ROUEN.

A quel misérable état faut-il que je sois réduit, de ne pouvoir répondre que de méchante prose aux vers charmans que vous m'avez envoyés? Les souffrances dont je suis accablé ne me donnent pas un moment de relâche, et à peine ai-je la force de vous écrire. Laudantur ubi non sunt, cruciantur ubi sunt. Vous me prenez à votre avantage, mon cher Cideville; mais si jamais j'ai de la santé, je vous réponds que vous aurez des épîtres en vers à votre tour. L'amitié et l'estime

Voir sur mademoiselle de Livri, et sur ce gain à la loterie, une note de l'Épitre les Vous et les Tu, que Voltaire lui adressa. (Nouv. Ed.)

me les dicteront, et me tiendront lieu du peu de génie poétique que j'avais autrefois, et qui m'a quitté pour aller vous trouver. Adieu, mon cher ami; feu ma muse salue très humblement la vôtre, qui se porte à merveille. Pardonnez à la maladie si je vous écris si peu de chose, et si je vous exprime si mal la tendre amitié que j'ai pour vous. Je salue les bonnes gens qui vouiront se souvenir de moi.

LXXIV

A M. L'ABBÉ NADAL (SOUS LE NOM DE THIERIOT.)

Paris, 20 mars 1725.

Tout le monde admire, monsieur l'abbé, la grandeur de votre courage, qui ne peut être ébranlé que par les injustes sifflets dont la cabale du public vous opprime depuis quarante ans. Pour châtier ce public séditieux, vous avez en même temps fait jouer votre Mariamne et fait débiter votre livre des Vestales: pour dernier trait, vous faites imprimer votre tragédie.

Je viens de lire la Préface de cet inimitable ouvrage; vous y dites beaucoup de bien de vous, et beaucoup de mal de M. de Voltaire et de moi. Je suis charmé de voir en vous tant d'équité et de modestie; et c'est ce qui m'engage à vous écrire avec confiance et avec sincérité.

Vous accusez M. de Voltaire d'avoir fait tomber votre tragédie par une brigue horrible et scandaleuse. Tout le monde est de votre avis, monsieur; personne n'ignore que M. de Voltaire a séduit l'esprit de tout Paris, pour vous faire bafouer à la première représentation, et pour empêcher le public de revenir à la seconde. C'est par ses menées et par ses intrigues qu'on entend dire

si scandaleusement que vous êtes le plus mauvais versificateur du siècle, et le plus ennuyeux écrivain. C'est lui qui a fait berner vos Vestales, vos Machabées, votre Saül et votre Hérode. Il faut avouer que M. de Voltaire est un bien méchant homme, et que vous avez raison de le comparer à Néron, comme vous le faites si à propos dans votre belle Préface.

Quelques personnes pourraient peut-être vous dire que la ressource des mauvais poëtes, monsieur l'abbé, a toujours été de se plaindre de la cabale; que Pradon, votre devancier, accusait M. Racine d'avoir fait tomber sa Phèdre, et que Debrie, à qui on prétend que vous ressemblez en tout si parfaitement,

Pour disculper ses œuvres insipides,

En accusait et le froid et le chaud:

Le froid, dit-il, fit choir mes Heraclides 2,
Et la chaleur fit tomber mon Lourdaud.
Mais le public, qui n'est point en défaut,

Et dont le sens s'accorde avec le nôtre,
Dit à cela : Taisez-vous, grand nigaud;

C'est le froid seul qui fit choir l'un et l'autre.

On pourrait ajouter que personne ne peut avoir assez d'autorité pour empêcher le public de prendre du plaisir à une tragédie, et qu'il n'y a que l'auteur qui puisse avoir ce crédit; mais vous vous donnerez bien de garde d'écouter tous ces mauvais discours.

Histoire des Vestales, 1 vol. in-12. Les Machabées et Antiochus, dont il est fait mention dans le cours de cette lettre, sont la même pièce de théâtre; elle fut jouée en 1722, et imprimée en 1723. Mariamne fut joués et imprimée en 1725. R.

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Cette épigramme de J.-B. Rousseau, la douzième du livre *, dirigée d'abord contre Debrie, le fut ensuite contre Danchet, auteur, comme lui, d'une mauvaise tragédie des Пéraclides. Elle fut jouée en décembre 1719. R.

On dit même que ce n'est pas d'aujourd'hui que vous faites imprimer des préfaces pleines d'injures à la tête de vos tragédies sifflées. Quelques curieux se souviennent qu'il y a deux ans vous imputâtes à M. de La Motte et à ses amis la chute d'un certain Antiochus, et que vous accusâtes mademoiselle Lecouvreur, qui représentait votre premier rôle, d'avoir mal joué une fois en sa vie, de peur que vous ne fussiez applaudi une fois en la

vôtre.

Il est vrai pourtant, et j'en suis témoin, qu'à la première représentation de votre Mariamne, il y avait une cabale dans le parterre; elle était composée de plusieurs personnes de distinction de vos amis, qui, pour vingt sous par tête, étaient venus vous applaudir. L'un d'eux même présentait publiquement des billets gratis à tout le monde; mais quelques uns de ses partisans, ennuyés malheureusement de votre pièce, rendaient publiquement l'argent, en disant : « Nous aimons mieux ⚫ payer, et siffler comme les autres. »

Je vous épargne mille petits détails de cette espèce et je me hâte de répondre aux choses obligeantes que vous avez imprimées sur mon compte.

Vous dites que je suis intimement attaché à M. de Voltaire, et c'est à cela que je me suis reconnu. Oui, monsieur, je lui suis tendrement dévoué par estime, par amitié et par reconnaissance.

Vous dites que je récite ses vers souvent c'est la différence, monsieur l'abbé, qui doit être entre les amis de M. de Voltaire et les vôtres, si vous en

avez.

Vous m'appelez facteur de bel esprit; je n'ai rien de bel esprit, je vous jure: je n'écris en prose que dans les occasions pressantes, jamais en vers; et l'on sait que

CORRESPONDANCE. T. I.

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