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II.

A MADEMOISELLE DUNOYER.

Je suis ici prisonnier au nom du roi; mais on est maître de m'ôter la vie, et non l'amour que j'ai pour vous. Oui, mon adorable maîtresse, je vous verrai ce soir, dussé-je porter ma tête sur un échafaud. Ne me parlez point, au nom de Dieu, dans des termes aussi funestes que vous m'écrivez; vivez, et soyez discrète: gardez-vous de madame votre mère, comme de l'ennemi le plus cruel que vous ayez; que dis-je! gardez-vous de tout le monde, ne vous fiez à personne; tenez-vous prête dès que la lune paraîtra; je sortirai de l'hôtel incognito, je prendrai un carrosse, ou une chaise, nous irons comme le vent à Scheveling; j'apporterai de l'encre et du papier, nous ferons nos lettres. Mais, si vous m'aimez, consolez-vous, rappelez toute votre vertu et toute votre présence d'esprit; contraignez-vous devant madame votre mère, tâchez d'avoir votre portrait et comptez que l'apprêt des plus grands supplices ne m'empêchera pas de vous servir. Non, rien n'est capable de me détacher de vous: notre amour est fondé sur la vertu, il durera autant que notre vie; donnez ordre au cordonnier d'aller chercher une chaise. Mais non, je ne veux pas que vous vous en fiez à lui; tenez-vous prête dès quatre heures, je vous attendrai proche de votre rue. Adieu; il n'est rien à quoi je ne m'expose pour vous: vous en méritez bien davantage. Adieu, mon cher cœur. AROUet.

III.

A MADEMOISELLE DUNOYER.

Je ne partirai, je crois, que lundi ou mardi; il sem-, ble, ma chère, qu'on ne recule mon départ que pour me faire mieux sentir le cruel chagrin d'être dans la même ville que vous, et de ne pouvoir vous y voir. On observe ici tous mes pas je ne sais même si Lefèvre pourra te rendre cette lettre. Je te conjure, au nom de Dieu, sur toutes choses, de n'envoyer ici personne de ta pärt sans en avoir concerté avec moi; j'ai des choses d'une conséquence extrême à vous dire: vous ne pouvez pas venir ici; il m'est impossible d'aller de jour chez vous: je sortirai par une fenêtre à minuit; si tu as quelque endroit où je puisse te voir; si tu peux à cette heure quitter le lit de ta mère, en prétextant quelque besoin, au cas qu'elle s'en aperçoive; enfin, si tu peux consentir à cette démarche sans courir de risque, je n'en courrai aucun; mande-moi si je peux venir à ta porte cette nuit, tu n'as qu'à le dire à Lefèvre de bouche. Informe-moi surtout de ta santé. Adieu, mon aimable maîtresse ; je t'adore, et je me réserve à t'exprimer toute ma tendresse en te voyant. AROUET.

IV.

A MADEMOISELLE DUNOYER.

Je viens d'apprendre, mon cher cœur, que je pourrai partir avec M. de M*** en poste dans sept ou huit jours; mais que le plaisir de rester dans la ville où vous êtes me coûtera de larmes! On m'a imposé la nécessité d'être prisonnier jusqu'à mon départ, ou de partir sur-le

champ. Ce serait vous trahir que de venir vous voir ce soir il faut absolument que je me prive du bonheur d'être auprès de vous, afin de vous mieux servir. Si vous voulez pourtant changer nos malheurs en plaisirs, il ne tiendra qu'à vous; envoyez Lisbette sur les trois heures, je la chargerai pour vous d'un paquet qui contiendra des habillemens d'homme; vous vous accommoderez chez elle; et, si vous avez assez de bonté pour vouloir bien voir un pauvre prisonnier qui vous adore, vous vous donnerez la peine de venir sur la brune à l'hôtel. A quelle cruelle extrémité sommes-nous réduits, ma chère? Est-ce à vous à me venir trouver? Voilà cependant l'unique moyen de nous voir: vous m'aimez; ainsi j'espère vous voir aujourd'hui dans mon petit appartement. Le bonheur d'être votre esclave me fera oublier que je suis le prisonnier de ***. Mais comme on connaît mes habits, et que par conséquent on pourrait vous reconnaître, je vous enverrai un manteau qui cachera votre justaucorps et votre visage; je louerai même un justaucorps pour plus de sûreté: mon cher cœur, songez que ces circonstances sont bien critiques; défiez-vous encore un coup de madame votre mère, défiez-vous de vousmême; mais comptez sur moi comme sur vous, et attendez tout de moi sans exception pour vous tirer de l'abyme où vous êtes; nous n'avons plus besoin de sermens pour nous faire croire. Adieu, mon cher cœur ; je vous aime, je vous adore. ARouet.

C'est le valet de pied en question qui vous porte celte lettre.

V.

A MADEMOISELLE DUNOYER.

Je ne sais si je dois vous appeler monsieur ou mademoiselle; si vous êtes adorable en cornettes, ma foi vous êtes un aimable cavalier; et notre portier qui n'est point amoureux de vous vous a trouvé un très joli garçon. La première fois que vous viendrez, il vous recevra à merveille. Vous aviez pourtant la mine aussi terrible qu'aimable, et je crains que vous n'ayez tiré l'épée dans la rue, afin qu'il ne vous manquât plus rien d'un jeune homme: après tout, tout jeune homme que vous êtes, vous êtes sage comme une fille.

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Il est certain qu'il n'est point de dieu qui ne dût vous prendre pour modèle, et il n'en est point qu'on doive imiter: ce sont des ivrognes, des jaloux et des débauchés. On me dira peut-être :

Avec quelle irrévérence

Parle des dieux ce maraud!

Mais c'est assez parler des dieux, venons aux hommes. Lorsque je suis en train de badiner, j'apprends par Lefèvre qu'on vous a soupçonnée hier: c'est à coup sûr

la fille qui vous annonça qui est la cause de ce soupçon qu'on a ici; ledit Lefèvre vous instruira de tout, c'est un garçon d'esprit, et qui m'est fort affectionné; il s'est tiré très bien de l'interrogatoire de Son E. On compte de nous surprendre ce soir; mais ce que l'amour garde est bien gardé: je sauterai par les fenêtres, et je viendrai sur la brune chez ***, si je le puis. Lefèvre viendra chercher mes habits sur les quatre heures ; attendez-moi sur les cinq en bas; et, si je ne viens pas, c'est que je ne le pourrai absolument point. Ne nous attendrissons pas en vain; ce n'est plus par des lettres que nous devons témoigner notre amour, c'est en vous rendant service. Je pars vendredi avec M. de M***; que je vienne vous voir, ou que je n'y vienne point, envoyez-moi toujours ce soir vos lettres par Lefèvre qui viendra les quérir; gardez-vous de madame votre mère, gardez un secret inviolable; attendez patiemment les réponses de Paris; soyez toujours prête pour partir; quelque chose qui arrive, je vous verrai avant mon départ : tout ira bien pourvu que vous vouliez venir en France et quitter une mère... dans les bras d'un père. Comme on avait ordonné à Lefèvre de rendre toutes mes lettres à Son E., j'en ai écrit une fausse que j'ai fait remettre entre ses mains; elle ne contient que des louanges pour vous et pour lui, qui ne sont point affectées. Lefèvre vous rendra compte de tout. Adieu, mon cher cœur ; aimez-moi toujours, et ne croyez pas que je ne hasarderai pas ma vie pour vous. AROUet.

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