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modément et à longs traits les eaux d'Hypocrêne (6), vous ne sauriez trop aimer la poésie où vous réussissez si bien ; cultivez-la donc avec ardeur, et envoyez-nous, en ce pays, quelque nouvel ouvrage de votre façon, que je puisse lire avec plaisir dans ma triste solitude.

LET TRE I I I.

A UN A MI

INCONSTANT.

Sur l'instabilité de la fortune. DOIS-JE ici me plaindre ou me taire (1)? parlerai-je de votre indigne procédé à mon égard, sans vous nommer? ou bien faut-il vous faire connoître à tout le monde pour ce que vous êtes? Non, je ne vous nommerai point dans mes vers; ce seroit vous faire trop d'honneur (2), et vous en pourriez tirer quelque gloire. Pendant que ma fortune étoit florissante (3) et assez bien affermie, vous étiez le premier à vous y attacher, et des plus empressés à me suivre : mais aussitôt que cette déesse inconstante a commencé à me regarder de mauvais œil (4), vous avez battu en retraite, parce que vous saviez que je vois avoir besoin de vous. Bien plus, vous faites semblant de ne me pas connoître ; et quand on vous parle d'Ovide, vous demandez ce que c'est. Je suis (apprenez-le malgré vous ) je suis celui qui, dès votre enfance, vous fut uni d'une amitié très-étroite je suis celui qui toujours le premier entrai dans vos affaires les plus sérieuses, comme

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aussi dans tous vos jeux et vos plaisirs les plus doux: c'est moi qui, l'un de vos plus ordinaires convives, pouvois presque passer pour être de votre maison c'est moi encore à qui vous faisiez l'honneur de dire que j'étois votre unique muse (5). Enfin, je suis celui auquel vous songez aujourd'hui si peu, que vous ne sauriez dire, perfide, s'il est vivant ou s'il est mort, et le moindre de vos soins est d'en être informé.

Si, au fond, vous ne m'avez pas aimé, au moins, de votre aveu même, vous en faisiez semblant; ou si c'étoit tout de bon, dès-là vous êtes un volage et un inconstant. Mais enfin, déclarez-vous, et dites quel sujet de mécontentement vous a fait changer: si votre plainte est injuste, dès-lors la mienne est équitable. Pour quel crime prétendu u'êtes-vous plus le même à mon égard? Je suis malheureux, il est vrai ; est-ce done là mon crime à votre compte? Si vous ne pouviez ou vous n'osiez me rendre aucun service, il falloit du moins me le dire en trois mots dans une lettre.

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Mais on dit de plus ( et j'ai peine à le croire ), on dit que vous insultez à mes malheurs, et que vous ne m'épargnez pas dans vos discours. Insensé, que faites-vous? Si la fortune vient à vous tourner le dos, on apprendra de vous-même à regarder votre disgrace d'un oil sec et indiffé

rent. Cette déesse, toujours montée sur un globe chancelant, montre assez son inconstance; tel est au-dessus du globe qui sera bientôt audessous : elle est plus mobile qu'une feuille d'arbre, ou que le vent qui remue cette feuille; votre inconstance, ô le plus faux des amis, est pareille à la sienne ! Tout ce que possède l'homme ici bas (6) ne pend qu'à un filet; et ce qui paroît au monde de plus ferme et de plus solide, tombe tout-à-coup.

Qui n'a pas entendu parler des richesses d'un Crésus (7)? Ce Crésus néanmoius ayant été pris en guerre par son ennemi fut trop heureux de racheter sa vie de tous ses trésors. Voyons encore ce tyran (8), autrefois si redouté dans Syracuse, et depuis réduit à exercer un vil emploi pour ne pas mourir de faim. Mais encore qui fut plus illustre dans le monde que Pompée, surnommé le Grand (9)? cependant Pompée fuyant devant son ennemi, est contraint d'implorer le secours d'un homme qui, autrefois, avoit rampé devant lui; et celui qui naguère s'étoit vu maître du monde entier, fut réduit à manquer de tout. Que dirons-nous encore de ce consul fameux (10) par ses triomphes sur Jugurtha et sur les Cimbres? Ce Marius, sous qui Rome fut tant de fois victorieuse est obligé de se cacher au fond d'un marais, parmi des roseaux fangeux,

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où, tout couvert de boue, il souffre mille indignités honteuses à un si grand homme?

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La puissance divine se joue des choses humaines, et à peine peut-on s'assurer d'une heure de temps dans la vie. Si quelqu'un m'avoit dit, il y a quelques années: Ovide, vous vous verrez un jour sur les bords du Pont-Euxin et en butte aux flêches meurtrières des Gêtes; tu es fou, lui aurois-je dit, purge-toi copieusement, et avale tout l'ellebore qui croît dans Anticyre(11). Tel est cependant aujourd'hui mon malheureux sort; et quand j'aurois pu me garantir de tout ce qui pouvoit m'arriver de fâcheux de la part des hommes, je ne pouvois parer aux traits de la vengeance d'un puissant dieu (12). Tremble donc, ami perfide (13), tremble pour toi; ce qui peut-être aujourd'hui répand la joie dans ton cœur, peut, au moment même, que tu parles, te devenir un juste sujet de larmes.

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