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commun pour l'adorer, redescend sur la terre pour ai mer en son nom et sous ses yeux toute sa famille. Elle renferme aussi le doux espoir de la vie éternelle; car un père ne donne pas la vie à des enfants pour les tuer. On craint que l'idée des choses divines arrivant à l'enfant en bas àge ne se fausse à l'avenir ! Et d'où vient que l'on n'a pas une crainte bien mieux fondée et bien plus juste, celle de ne pas arriver à temps, en différant toute l'instruction religieuse jusqu'à l'adolescence et même au delà. Cette tardive instruction ne se fondra plus avec les premières idées et les premiers sentiments de l'enfance; elle viendra trop tard pour défendre l'innocence contre les atteintes du vice, et le jeune une fois qu'il aura pris un mauvais pli, portera même en lui le germe de l'incrédulité. La mère ne se doute guère de ses fâcheuses conséquences d'un retard; elle fait ce que le cœur maternel lui inspire, et ce que la prudence lui dicterait, si elle n'était pas tout entière au présent.

cœur,

Mais la première maîtresse de langue a encore un autre but devant les yeux. Elle ne veut pas seulement éclairer l'esprit de son élève, en le familiarisant avec la langue, elle veut encore lui former le cœur à tout le bien qu'elle connaît. En cela la piété occupe une place distinguée chez elle. Elle sait bien que son élève ressemble au petit oiseau qui ne peut pas encore soutenir son vol, et qui ne peut s'élever que rarement vers le ciel. Aussi ne demande-t-elle de lui que quelques mots de prière à son réveil, aux repas et à son coucher; bien convaincue que la pensée et le cœur y entreront pour quelque chose, et en cela elle ne se trompe pas. Elle est sûre que son enfant a de la reconnaissance pour elle et pour son père, et elle conclut qu'il en a aussi pour son Père céleste qu'elle lui a fait connaître. En effet, la religion est-elle autre chose que la piété filiale qui, s'étant d'abord attachée à une mère et à un père visibles, prend plus tard son essor vers le ciel, jusqu'au Père invisible de la famille humaine?

La mère se sert avantageusement de la piété naissante de son tendre élève pour appuyer les leçons

morales qu'elle lui donne. Quand l'occasion s'en présente, elle lui dit que le Père d'en haut aime tout ce qui est bien et hait tout ce qui est mal, qu'il sait tout jusqu'à nos plus secrètes pensées, qu'il ne bénira que les bons, et que les méchants seront punis, comme ils le méritent. C'est donc une morale religieuse qu'elle donne à son enfant, la plus intelligible pour lui et la plus fructueuse pour tous, même dans un âge avancé. Sans doute que dans cet enseignement l'intérêt est mis en jeu ; mais ce n'est pas un vil intérêt, puisqu'il est destiné à réprimer toutes les inclinations mauvaises qui compromettent la paix et la prospérité d'autrui.

Le rigorisme moral nous demande, au nom de la vertu, un désintéressement absolu; mais est-ce que l'homme, qui a tant de désirs et de besoins, en est capable? Il faudrait pour cela qu'il pût changer sa condition, ce qui ne se peut pas. C'est assez pour lui que dans la concurrence il préfère le devoir au plaisir. Ce même rigorisme voudrait encore que l'idée du bien toute seule fût toujours le motif de nos résolutions, et que l'autorité divine n'y entrât pour rien. Ici il y a évidemment un malentendu. Le Père d'en haut, que la mère fait intervenir dans la morale qu'elle tâche d'inspirer à son enfant, est la bonté en personne, et ne vaut-il pas mieux à tous égards subordonner l'élève à sa volonté, à sa surveillance et à son empire, que de le soumettre à un idéal sans force et sans vie? Ici encore nous n'hésiterons pas à donner la préférence à Ja méthode éducative de la mère.

Cependant elle aussi s'adresse à la conscience qui est la loi du Père commun, gravée au sein de l'homme. Elle ne s'avise pas de dire ce que son élève ne comprendrait pas, et probablement ce qu'elle ne sait pas très-bien elle-mème; mais elle entend ses ordres au fond de l'âme, et elle en fait part à l'enfant qui l'écoute. Ses deux grands préceptes, celui qui nous défend de faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait, et celui qui nous ordonne de traiter nos semblables comme nous voulons qu'ils

nous traitent; voilà l'esprit de la morale qui se montre en détail dans les exhortations et les remontrances qu'amène la conduite de son cher disciple. Elle donne par là l'éveil à sa jeune conscience, qui vient de plus en plus à l'appui de ses paroles, et leur imprime une autorité supérieure et une force nouvelle.

Elle a encore à sa disposition d'autres ressources dont elle use dans sa méthode foncièrement éducative; elle-même sent au fond de son âme une sympathie naturelle pour ce qui est beau, juste, grand et honnête dans les sentiments et la conduite, ainsi qu'un éloignement instinctif pour tout ce qui a des qualités contraires. Elle suppose les mêmes dispositions dans son cher élève, et elle les met à profit dans son éducation. Il va sans dire que la première maîtresse de langue s'exprime en tout cela, comme il le faut pour être bien comprise, et elle finit toujours par l'être.

Elle est vraiment admirable dans ses moyens, comme dans son double but, cette méthode que j'ap pelle maternelle; parce que je la vois naître de la maternité même qui l'inspire à la femme, à l'aspect de l'enfant qu'elle a mis au jour, et qu'elle a nourri de sa propre substance. Avez-vous bien compris cette parole du divin Maître : « La femme, lorsqu'elle enfante, es >> dans la douleur, parce que son heure est venue » mais après qu'elle a enfanté, elle ne se souvien

plus de tous ses maux, dans la joie qu'elle a d'avoi >> mis UN HOMME au monde ! » Oh! la mère attache u prix inestimable à cet être, sorti de son sein, et qu lui a tant coûté. Elle y voit son image, et sous cett image elle voit en esprit toutes les nobles faculté qu'elle se sent en elle-même, l'éminente dignité d l'homme et les hautes destinées dont elle le pres sentiment au fond de l'âme; elle qui vient de se tro ver aux portes de l'éternité. Voilà ce qui lui inspir cette tendresse, ce zèle et cette persévérance q n'ont rien de semblable sur la terre, et voilà eno la source de ce génie maternel que l'on ne sau trop admirer.

J'espère que l'on ne m'accusera pas d'en avoir fait un tableau d'imagination. J'ai peint, d'après la nature, une belle et grande réalité que vous pouvez retrouver partout dans le monde chrétien où nous avons le bonheur de vivre. Quant à moi, qui suis né dans une famille de quinze enfants, et qui en ai vu naître dix après moi, j'ai le souvenir de ce que ma bonne mère faisait tous les jours sous mes yeux, pour élever les cadets comme elle avait élevé les aînés. Ma mère, il est vrai, mettait dans ses nobles fonctions une intelligence, une tendresse, une activité et une grâce que je n'ai pas retrouvées partout chez les premières institutrices de l'enfance; mais partout j'ai rencontré le même fond.

Plus tard, placé pendant dix-neuf ans à la tête d'une nombreuse école, composée d'enfants appartenant à toutes les classes de la société, j'ai fixé tout particulièrement mon attention sur les petits élèves qui m'étaient amenés à l'âge de six ans et quelquefois plus tôt. Comme je ne voulais pas être pour eux tout simplement un maître de lecture, d'écriture, de calcul et de récitation; mais un instituteur de l'enfance dans toute la signification du mot, je cherchai à découvrir le degré de développement et de culture que m'apportait chaque élève. Je trouvai sans doute à cet égard une grande variété, comme je m'y attendais; mais en dépit de toutes ces différentes nuances, quelque prononcées qu'elles fussent, je rencontrai partout et toujours une profonde et vaste ressemblance dans le langage, les pensées et les affections qui venaient se présenter à moi. J'avais en cela le résultat général de la méthode maternelle, et c'est à ce résultat que je rattachai soigneusement les premiers anneaux de la grande chaîne que j'avais en vue pour l'éducation de la jeunesse qui m'était confiée.

CHAPITRE II.

DE L'ENSEIGNEMENT RÉGULIER DE LA LANGUE MATERNELLe et du but

AUQUEL IL DOIT TENDRE.

On sait que l'enseignement de la mère se fait entiérement de vive voix, et toujours selon l'occasion, bien qu'il revienne sans cesse. Vous y trouverez une progression bien réelle quant aux objets sur lesquelles l'institutrice appelle l'attention et l'intelligence de son tendre disciple; car elle lui parle bien autrement au berceau qu'elle ne le fera plus tard, lorsque croissant en âge il commencera à exprimer des pensées à sa manière, ou qu'il interrogera pour apprendre ce qu'il désire savoir. Elle a toujours soin de se proportionner à son enfant; elle l'imite même par l'expression, nommant les choses comme il les nomme dans son impuissance, et altérant ainsi quelquefois les mots qu'il altère. L'enfant ne demande point cette complaisance; elle ne lui est pas utile, et la mère ferait mieux de ne pas l'avoir.

Elle a raison d'éviter tout ce qui tient à l'enseignement grammatical; cependant elle pourrait le préparer de loin par quelques légers exercices de conjugaison orale, comme nous l'avons dit plus haut; les notions de grammaire seraient absolument déplacées dans son enseignement. Dès sa naissance, l'enfant est tout entier aux choses et à la réalité vivante, et voilà que la grammaire vient lui faire violence pour l'entraîner dans une terre inconnue, dans la région des mots dont il n'a encore aucune idée, bien qu'il s'en serve toujours; et ce qui est encore pire, dans les landes arides de nos abstractions. C'est vraiment un monde tout nouveau pour lui. Faut-il s'étonner qu'il ait de la peine à y entrer même beaucoup plus tard, et qu'à tout instant sa pensée s'enfuie de ce pays inhospitalier pour elle, et que toute rebutée elle se sauve dans sa patrie où elle se trouve si bien ! Pour s'alimenter dans ce monde si nouveau, l'enfant a be

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